Abdelkrim el-Khattabi rend les armes

Publié le 23 mai 2005 Lecture : 3 minutes.

L’éphémère République indépendante du Rif, de septembre 1921 à mai 1926, aura marqué le prélude à la libération du Maroc tout entier. L’émir Abdelkrim, l’homme à la djellaba et à la rezza (« turban »), a légué à la postérité la mémoire d’une extraordinaire épopée.

Abdelkrim el-Khattabi est né en 1882 dans le village rifain d’Ajdir, au sein de la puissante famille berbère des Beni Ouriaghel. Après des études approfondies à Tétouan puis à la prestigieuse université Karaouiyine de Fès, il s’installe dans la ville de Melilla. Il devient journaliste au Telegrama del Rif, cadi (« juriste »), et travaille pour l’administration espagnole pendant quelques années.
De retour dans son Ajdir natal en 1919, refusant le joug colonial, il décide de libérer le Rif. Ce massif montagneux situé en bordure du littoral méditerranéen est alors sous domination espagnole, le reste du pays étant placé sous protectorat français. Lettré, polyglotte, maniant la plume et le verbe avec virtuosité, Abdelkrim se révèle un leader charismatique et un stratège avisé. Il fédère les tribus berbères de la région, forme une armée d’environ 75 000 hommes et, à partir de 1920, prend les armes contre l’occupant.
Bien avant les guerres d’Indochine et d’Algérie, celle du Rif marque la toute première insurrection anticoloniale du XXe siècle. De victoire en victoire, l’émir repousse les Espagnols sur les côtes. Il leur inflige une cuisante et fulgurante défaite en juillet 1921 (20 000 morts dans les rangs ennemis) au cours de la bataille d’Anoual, qui fait partie des mythes fondateurs de la nation marocaine.

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Le héros auréolé de gloire proclame en septembre 1921 la République indépendante du Rif, tandis que Madrid envisage d’évacuer le territoire. Mais le pouvoir d’Abdelkrim el-Khattabi commence à inquiéter sérieusement Paris lorsqu’il envoie des émissaires dans les autres régions pour les inviter à le rejoindre dans la rébellion. Le maréchal Lyautey, résident général, craint que la guérilla ne s’étende à la zone du protectorat français. L’Espagne et la France s’allient pour une riposte d’envergure. Sous le commandement du maréchal Pétain, des renforts massifs – un demi-million de soldats – sont mobilisés pour mater les Rifains. Le rapport de force est inégal : face à une armée régulière, nettement supérieure en armement et en nombre, la déroute des troupes berbères est inéluctable. C’est le début de la fin. Les villages sont rasés par l’aviation et l’artillerie. À l’issue de combats acharnés, l’émir, vaincu, met un terme à cinq ans de lutte en capitulant le 27 mai 1926. L’aventure militaire prend fin, mais l’épopée ne s’arrête pas à cette reddition. Abdelkrim est déporté avec sa famille à l’île de la Réunion. Vingt et un ans plus tard, en mai 1947, l’administration décide de le transférer en France, mais il parvient à s’échapper pendant l’escale du navire en Égypte, où il trouve asile. Dans sa résidence de Koubbeh Garden au Caire, la légende vivante reçoit les grandes figures politiques de l’époque et fonde le Comité de libération du Maghreb avec les leaders nationalistes marocains Abdelkhaleq Torres et Allal el-Fassi ainsi que le chef du Néo-Destour tunisien, Habib Bourguiba.

Le Maroc obtient son indépendance en 1956 sous la conduite du futur roi Mohammed V. Mais Abdelkrim refuse obstinément de revenir au pays tant que le dernier soldat étranger n’en sera pas parti et que l’Algérie voisine ne sera pas libre. L’irréductible combattant pour la libération de l’Afrique du Nord s’éteint au Caire en 1963, à l’âge de 80 ans. Nasser lui organise des funérailles nationales cependant que la presse marocaine ne lui consacre qu’un entrefilet dans une gazette.
Si l’histoire officielle du pays a occulté celui qui a écrit l’une de ses plus belles pages en incarnant – même fugacement – un Maroc libre, la réhabilitation est désormais en marche : à peine intronisé en 1999, le roi Mohammed VI a effectué son premier voyage en province dans le Rif – une région auparavant boudée par Hassan II – et rencontré Saïd el-Khattabi, le fils de l’émir. Le rapatriement de la dépouille d’Abdelkrim est prévu avant la fin de l’année 2005, ainsi que l’édification d’un mausolée. Ainsi entrera au panthéon des grands hommes du XXe siècle celui qui servit de modèle à Mao Zedong, Che Gevara et Ho Chi Minh, lequel le considérait comme le précurseur de la lutte anticoloniale.

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