Les Aigles de Carthage sur un nuage

Sa première Coupe d’Afrique des nations, la Tunisie la doit plus à la rigueur qu’au génie. Il n’empêche : elle a bien mérité sa victoire.

Publié le 23 février 2004 Lecture : 5 minutes.

Le 14 février 2004, 16 h 55 : la Tunisie, victorieuse du Maroc, 2 buts à 1, vient de gagner la Coupe d’Afrique des nations (CAN). Les 60 000 spectateurs du stade de Radès chavirent de bonheur. Un succès en forme de revanche, après des années de déboires et de doute. Un succès qui doit plus au travail, à la rigueur et à l’intelligence qu’au génie, et qui n’est pas sans rappeler, dans sa conception et dans son déroulement, celui de l’équipe de France à la Coupe du monde 1998.
Fin 2002. Roger Lemerre, traumatisé par son échec avec l’équipe de France au Mondial asiatique, débarque en Tunisie, pays où il avait déjà officié, comme entraîneur, entre 1983 et 1984, à l’Espérance sportive de Tunis. Les dirigeants de la Fédération, à la recherche d’un technicien expérimenté pour préparer la CAN 2004, redonner une âme et un fond de jeu à une sélection en panne de résultats depuis des lustres, l’engagent pour deux ans. Le deal est clair. Il sera respecté. L’entraîneur aura une latitude d’action maximale, bénéficiera de conditions de travail idéales, pourra aller au bout de ses idées. Mais la Tunisie devra se qualifier au moins pour les demi-finales.
Lemerre compose son staff, choisit son adjoint, Nabil Maaloul. Les deux hommes se connaissent et s’apprécient. Le premier a dirigé le second quand il entraînait l’Espérance. La méthode Lemerre suscite d’abord le scepticisme : le Français, qui refuse obstinément de communiquer avec les journalistes et de s’expliquer sur ses choix, multiplie les essais, testant en tout une cinquantaine de joueurs. La préparation, axée sur le travail physique, est contrariée par les blessures. Celle du meneur de jeu, Sélim Benachour. Et celle, plus embêtante encore, du latéral de l’Ajax Amsterdam, Hatem Trabelsi, le meilleur élément de l’équipe. Convalescents, ils sont maintenus dans un groupe qui prend forme à la fin du mois de novembre 2003.
La Tunisie version 2004 ne ressemble pas à ses devancières. C’est un amalgame réussi entre joueurs locaux et professionnels européens. Khaled Badra, défenseur, capitaine, âme de l’équipe et héros de la demi-finale contre le Nigeria, et Riadh Bouazizi, l’infatigable récupérateur, sont parmi les seuls rescapés des précédentes campagnes. Des vieux briscards ont été écartés, d’autres sont partis à la retraite. La sélection s’est ouverte sur la diaspora, elle a intégré des joueurs nés ou ayant débuté à l’étranger, comme Adel Chedli, Allaedinne Yahia ou Mehdi Nafti. Le clivage entre les locaux et les « français » s’est estompé. « L’équipe est restée soudée tout au long de la préparation, et elle a réussi à garder une mentalité et une approche professionnelles, dit Ali Boumnijel. Avant, ici, on ne connaissait pas trop ça. »
Cette réflexion du gardien et vétéran de la sélection prend tout son sens quand on sait que l’ancien Bastiais a été en butte, pendant des années, à l’hostilité déclarée de Chokri el-Ouaer, l’inamovible portier et capitaine de l’Espérance, parti à la retraite en décembre 2001.
L’adaptation très rapide de Santos, le buteur brésilien naturalisé tunisien en décembre 2003, est un autre signe de ce radical changement d’état d’esprit. L’équipe, peu réaliste en attaque, se cherchait depuis longtemps un renard des surfaces. Mais, même si le Sochalien avait joué deux ans en Tunisie (à l’Étoile du Sahel) et avait gardé des liens avec ses anciens coéquipiers, notamment avec Ghodbane et Jaziri, son compère à la pointe des Rouge et Blanc, la « pièce rapportée » aurait pu souffrir du rejet ou de l’ostracisme des autres sélectionnés. Il n’en a rien été. Au contraire. Santos a été d’un apport déterminant. Il a marqué, quatre fois, dont une fois en finale. Il a fait marquer. Sa présence, synonyme de danger permanent pour l’adversaire, a suffi à inspirer une belle confiance à ses coéquipiers, rassurés de savoir qu’ils disposaient maintenant d’un buteur patenté. Et le duo avec Zied Jaziri, dribbleur et provocateur à souhait, a superbement fonctionné.
La Tunisie est montée en puissance pendant le tournoi. Ses deux victoires d’entrée contre le Rwanda et la RD Congo ont permis aux titulaires de s’économiser en prévision des quarts de finale. Opposés au Sénégal, les Tunisiens ont livré un combat physique impressionnant. « C’était le match-référence dont nous avions besoin, explique Nabil Maaloul. Nous redoutions l’impact athlétique de cette équipe. » Les Aigles de Carthage ont tenu le choc.
À partir de là, toujours selon l’adjoint de Lemerre, plus rien ne pouvait normalement arriver à ses protégés, les doutes avaient été évacués. Illustration face au Nigeria. Conquérants, les Tunisiens ont privé leur adversaire de ballon pendant une bonne partie de la rencontre, puis ont su puiser dans leurs réserves pour arracher l’égalisation après l’ouverture du score par Jay-Jay Okocha. L’équipe, malgré une baisse de régime pendant les prolongations, a résisté, et Boumnijel, qui a gagné en sérénité à mesure que le match avançait, a multiplié les sauvetages. On connaît la suite : victoire, au mental, aux tirs au but.
En finale, contre des Marocains fringants après leur large succès face au Mali, les Tunisiens savaient qu’ils seraient émoussés. Ils ont donc opté pour une stratégie risquée mais payante : un début de match à bloc, couronné par une ouverture du score rapide, et une gestion plus défensive de la suite de la partie. Rejoints à la marque en fin de première mi-temps par les Lions de l’Atlas, les coéquipiers de José Clayton, l’autre Brésilien du team, naturalisé tunisien en 1998, ont réussi à consentir un ultime effort et à marquer une deuxième fois pour conquérir le trophée qui manquait à leur palmarès.
Victorieuse de la première CAN de son histoire, la Tunisie savoure. Comme celui des Bleus en 1998, le triomphe des Rouge et Blanc est d’abord celui de la volonté. Et c’est aussi, pour reprendre les mots employés par Nabil Maaloul immédiatement après la remise du trophée, « la réparation d’une injustice et d’une anomalie historique » : de toutes les nations qui comptent dans le football africain, c’était la seule à n’avoir jamais gagné de CAN. C’est maintenant chose faite. Décomplexés, les Aigles de Carthage seront-ils capables de rééditer leur exploit, mais loin de leur base ? Rendez-vous dans deux ans pour une confirmation…

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