L’ISM, cas d’école de l’enseignement privé

Plus de vingt ans après sa création, l’Institut supérieur de management de Dakar continue de montrer le chemin aux autres établissements. Ses maîtres mots : expansion, diversification, innovation.

Le campus du Point E accueille 2000 étudiants © Guillaume Bassinet pour Jeune Afrique

Le campus du Point E accueille 2000 étudiants © Guillaume Bassinet pour Jeune Afrique

Julien_Clemencot

Publié le 21 juillet 2014 Lecture : 5 minutes.

Au commencement, en 1992, l’Institut supérieur de management (ISM) de Dakar s’est installé dans une maison, rue des Écrivains, au Point E, un quartier favorisé de la capitale sénégalaise. Puis, très vite, la première business school privée du pays a investi une deuxième villa, puis une troisième, puis une quatrième… Aujourd’hui, ses 2 000 étudiants dakarois ont colonisé une grande partie du quartier : ils occupent cinq immeubles reconnaissables à leur façade orange.

En un peu plus de deux décennies, l’ISM est devenu un groupe tentaculaire. Outre une école de gestion et de management, il comprend un institut consacré au droit, un autre à l’informatique (qui obtiendra le statut d’école d’ingénieurs à la rentrée prochaine), mais également des lycées et une université du savoir-faire pour les élèves ayant décroché avant le bac. Amadou Diaw, président et fondateur de l’ISM, a en outre dupliqué son modèle sur neuf campus régionaux (Mbour, Kaolack, Fatick, Thiès, Diourbel, Louga, Saint-Louis, Ziguinchor, Kolda), qui accueillent 2 000 étudiants supplémentaires. « Les enseignements sont identiques. Ceux qui acceptent de s’y inscrire voient leurs frais de scolarité divisés par deux », explique-t-il.

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Naufrage

Un développement d’autant plus notable qu’il ne se fait pas au détriment des résultats scolaires. Cette année encore, les taux de réussite enregistrés au bac et au bachelor devraient dépasser 90 %. « En retenant un dossier sur deux lors de l’entrée en licence, nous ne sélectionnons pas assez nos étudiants, déplore cependant son président. Nous devons attirer plus de candidats. » S’il freine son expansion, l’ISM ne devrait pas avoir de mal à y parvenir.

Avec 50 professeurs permanents, l’ISM fait déjà figure d’exception en Afrique de l’Ouest, où la plupart de ses concurrents se contentent de professeurs visiteurs

Classé quatrième meilleure école de management d’Afrique francophone par Jeune Afrique en 2013, il profite du naufrage de l’enseignement public. « À Dakar, moins de 15 % des étudiants de l’université Cheikh-Anta-Diop obtiennent leur licence en trois ans. Le sureffectif – 90 000 étudiants pour 25 000 places – rend les conditions d’apprentissage très difficiles », estime Abdoul Alpha Dia, professeur à l’ISM et à l’université de Bambey. Résultat : les écoles privées attirent 40 % des effectifs du supérieur, un chiffre appelé à progresser encore. Quelque 200 établissements bataillent déjà sur ce marché.

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Face à cette concurrence, l’état-major de l’ISM affiche sa volonté d’élever son niveau. « C’est une préoccupation permanente », insiste Serge Daboiko, directeur associé. Certification ISO, reconnaissance des cursus par le Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur (Cames), cofondation de l’Association africaine des écoles de commerce (AABS), adhésion à la Fondation européenne pour le développement du management (EFMD), création de la Conférence des grandes écoles du Sénégal… L’ISM ne manque pas une occasion de se poser en locomotive de l’enseignement privé. « L’ISM a montré le chemin aux autres établissements », reconnaît Abdou Sene, responsable du secteur privé au ministère de l’Enseignement supérieur. Cette stratégie séduit aussi des partenaires académiques de renom, notamment en France. Sciences-Po Paris et Grenoble École de management reçoivent chaque année des dizaines d’étudiants de l’ISM, le temps d’un semestre.

Alchimie

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Pour percer au-delà de l’Afrique de l’Ouest, l’école sénégalaise, qui accueille en permanence des étudiants d’une vingtaine de nationalités, doit néanmoins encore faire ses preuves. Notamment en décrochant les meilleures accréditations internationales, comme l’européenne Equis ou les américaines Amba et AACSB. « Actuellement, deux critères nous en empêchent : le nombre trop restreint de publications [ouvrages, études de cas ou articles] de nos professeurs et la proportion de titulaires de doctorats parmi nos enseignants, qui n’est que de 30 % alors qu’il en faudrait 70 %. L’objectif est d’y parvenir d’ici à 2020 », affirme Amadou Diaw. D’Alger à Kinshasa, aucune école privée d’Afrique francophone ne remplit actuellement cette condition.

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L’ouverture de bureaux dès l’année prochaine dans une dizaine de pays africains devrait permettre au groupe de recruter de nouveaux universitaires. Avec 50 professeurs permanents, l’ISM fait déjà figure d’exception en Afrique de l’Ouest, où la plupart de ses concurrents se contentent de professeurs visiteurs. « Nous travaillons aussi à l’élaboration d’une dizaine d’études de cas par an, ce qui nous permettra, d’ici à quelques années, de proposer à nos étudiants une majorité de supports pédagogiques correspondant à l’environnement des affaires africain », précise Mame Yauto Faye, chargée de l’innovation.

Provoquer des ruptures, innover pour faire émerger un nouvel entrepreneuriat ouest-africain… Avec son équipe, composée presque exclusivement d’anciens élèves de l’ISM, Amadou Diaw cherche en permanence la bonne alchimie. Pour stimuler la créativité, l’école pousse ses étudiants à investir le champ social par le biais d’actions en faveur des populations démunies ou de l’environnement. Une approche citoyenne également appliquée à la création de « junior entreprises », comme ce projet de transformation d’os de seiches et de coquilles d’huîtres en compléments alimentaires destinés aux volailles.

« Il s’agit de donner aux étudiants les clés pour créer leur activité, mais aussi de revaloriser l’image du chef d’entreprise », précise le fondateur. Parmi les autres innovations de l’établissement, on peut citer la création, en 2002, de la première école doctorale privée du Sénégal, l’instauration d’attachés de classes pour faire le lien entre l’administration et les élèves, ou encore l’accent mis sur les langues asiatiques, avec des cours de coréen, de chinois et de japonais.

L’ISM, qui finance son développement grâce aux frais d’inscription, reste en revanche en retrait en matière de recours à des investisseurs privés. Un choix assumé.

Carrière

Et la méthode Diaw porte ses fruits. « Avant, nous étions vus comme une école de pauvres [l’ISM a octroyé 2 000 bourses depuis sa création]. Depuis quelques années, les familles aisées commencent à nous envoyer leurs enfants », se réjouit-il. Mais les mentalités évoluent lentement.

Lorsqu’il interroge les étudiants boursiers en première et en deuxième année de licence, beaucoup avouent que leur souhait initial était de partir en Europe. Pourtant, l’accession d’anciens élèves à des postes de direction, par exemple à la tête de BGFI Côte d’Ivoire, de l’hôpital principal de Dakar ou du spécialiste de l’offshoring PPCI, prouve que l’ISM offre de belles perspectives de carrière. Pour mieux capitaliser sur ses 16 000 alumni, une personne s’occupe depuis un an de l’animation du réseau des diplômés.

À la pointe dans bien des domaines, l’ISM, qui finance son développement grâce aux frais d’inscription, reste en revanche en retrait en matière de recours à des investisseurs privés. Un parti pris assumé par son président, soucieux de préserver l’indépendance du groupe. Il reconnaît d’ailleurs que sa décision est loin de faire l’unanimité en interne. Mais la filialisation du groupe par activités – après les lycées, les instituts de droit et d’informatique sont gérés de manière autonome depuis la rentrée 2013 – pourrait annoncer une inflexion de cette position. Amadou Diaw, président tout-puissant, parfois un brin paternaliste avec ses équipes, envisagerait-il de passer la main ? « Ne pas préparer ma succession serait une erreur de management monumentale », avoue-t-il. Un comble pour le fondateur de l’ISM.

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