Hamas dernière chance pour la paix ?

Pourquoi l’arrivée au pouvoir du mouvement islamiste renforce, paradoxalement, les possibilités d’un règlement définitif du conflit.

Publié le 22 mai 2006 Lecture : 20 minutes.

Israël doit aujourd’hui faire face non seulement aux menaces du Hamas, mais aussi à l’hostilité plus générale du monde musulman. Les deux sont souvent amalgamés, mais c’est un amalgame dangereux, parce qu’il brouille l’analyse à la fois des périls et des opportunités créés par la victoire électorale du Hamas.
L’hostilité du monde musulman à l’égard de l’Occident est alimentée par les humiliations infligées à leurs coreligionnaires palestiniens, qui vivent sous occupation israélienne, et par ce que les musulmans considèrent comme le vol de la Palestine, contrée qui fait partie du Dar al-Islam, le domaine éternel des musulmans. Cette hostilité est perçue comme une preuve de la confrontation religieuse et culturelle entre l’Islam et l’Occident chrétien, qui, selon Samuel Huntington, a remplacé la guerre froide. Pourtant, le conflit entre les Israël et les Palestiniens est plus politique que religieux, la société palestinienne étant l’une des plus laïques du monde arabe. Même pour le Hamas, la composante nationale de sa lutte l’emporte généralement sur les impératifs « mondialistes ». Ce n’est pas seulement parce que la plupart des Palestiniens s’opposent aux objectifs religieux du Hamas, en particulier lorsqu’il prétend régenter leur comportement individuel, mais surtout parce que le Hamas lui-même est autant un mouvement national qu’un mouvement religieux. En réponse à une demande d’Ayman al-Zawahiri, le numéro deux d’al-Qaïda, qui voulait que le Hamas continue de mener une lutte violente pour récupérer jusqu’à « la dernière parcelle du sol palestinien, terre musulmane occupée par les infidèles », un dirigeant du mouvement islamiste a expliqué sans ambages qu’« à nos yeux, l’islam est totalement différent de l’idéologie de Zawahiri. [] Notre lutte est dirigée contre l’occupation israélienne et notre seul objectif est de rétablir nos droits et de servir notre peuple. » À présent que le Hamas détient la majorité au Conseil législatif palestinien et occupe le poste de Premier ministre, la disparité entre le Hamas et l’Islam politique exogène crée une opportunité qui ne pourrait exister sans un gouvernement dirigé par le Hamas.
Dans le choix des candidats au Conseil législatif, les « pragmatiques » du Hamas, conduits par Ismaïl Haniyeh, le nouveau Premier ministre, et Abdelaziz Duaik, le nouveau président du Conseil législatif, l’ont visiblement emporté sur les « durs », dont beaucoup, d’ailleurs, ont adopté un ton plus modéré. Ils savent que le Hamas n’a pas gagné les élections grâce à son idéologie sans compromis, mais parce qu’il avait un programme modéré susceptible de rendre de meilleurs services à la population. Si les modérés l’emportaient durablement et s’il y avait une longue coexistence entre Israël et une Autorité palestinienne dirigée par le Hamas, les implications d’une telle coexistence seraient extrêmement importantes pour les relations d’Israël avec les Palestiniens, mais aussi pour le monde musulman en général. Car l’imprimatur donné par le Hamas à un tel arrangement serait pour Israël une « police d’assurance » que le Fatah serait bien en peine de lui garantir.
Dans un récent ouvrage, Scars of War, Wounds of Peace (« Cicatrices de guerre, blessures de paix »), Shlomo Ben Ami, ex-ministre israélien des Affaires étrangères, écrit que la disparition d’Arafat a été une « tragédie » parce qu’il était « le seul dont la signature sur un accord de compromis et de réconciliation, qui inclurait le renoncement à des rêves impossibles, aurait pu être légitime aux yeux de son peuple », et il a emporté cette légitimité avec lui dans sa tombe. La possibilité d’un accord israélo-palestinien jouissant d’une légitimité comparable – sinon supérieure – a peut-être ressurgi avec l’arrivée du Hamas sur la scène politique.
Un dénouement aussi optimiste est-il possible ? Il est à tout le moins trop tôt pour l’exclure avant de connaître la trajectoire politique et idéologique du nouveau gouvernement. L’orientation probable de cette trajectoire m’a été expliquée par un dirigeant important du Hamas :
– La direction politique du Hamas n’exclut pas, le moment venu, des changements importants de sa politique à l’égard d’Israël et même de mutuels ajustements de frontières. De tels changements dépendent de la reconnaissance des droits palestiniens par Israël. Le Hamas n’accordera rien sans une pleine réciprocité.
– Le Hamas n’est pas opposé à des négociations avec Israël, à condition que les négociations soient fondées sur le principe qu’aucune des deux parties ne peut agir unilatéralement pour changer la situation qui prévalait avant la guerre de 1967, et que les négociations, quand elles redémarreront, prennent comme point de départ les frontières de 1967.
– Le Hamas ne renoncera pas à sa croyance religieuse que la Palestine est un waqf, un bien de mainmorte accordé par Dieu aux musulmans pour l’éternité. Cependant, cette croyance idéologique n’exclut pas un accommodement avec les réalités temporelles et le droit international, y compris l’existence de l’État d’Israël. (Le problème et sa solution ont leur équivalent du côté israélien. Les Juifs religieux croient que Dieu a promis la totalité de la Palestine au peuple juif pour l’éternité. Et ils se refusent à renoncer à leur revendication religieuse. Toutefois, ils sont disposés à en différer la mise en uvre jusqu’à une ère messianique.)
– Le Hamas est prêt à observer une hudna, une trêve, qui mettrait fin à toute violence. Sur ce point aussi, il doit exister une complète réciprocité, et Israël doit, de son côté, cesser toutes les attaques contre les Palestiniens. Si Israël accepte cette trêve, le Hamas prendra la responsabilité d’interdire et de punir les violations palestiniennes, d’où qu’elles émanent. Le Hamas admet qu’il ne peut pas demander la reconnaissance du gouvernement légitime de la Palestine s’il n’est pas prêt à faire respecter un tel cessez-le-feu.
– La première priorité du Hamas sera de revitaliser la société palestinienne en renforçant l’État de droit, l’indépendance de la justice, la séparation des pouvoirs et la fiabilité des services de sécurité. Il s’efforcera de mettre fin à la corruption dans l’administration et d’améliorer les conditions de vie des Palestiniens.
– Le Hamas ne cherchera pas à imposer des normes de comportement religieux à la population palestinienne, telles que le port du voile, bien qu’il estime que certaines règles de bonne conduite – mais non pas d’observance religieuse – doivent être respectées par tout un chacun en public.
Des indications du même ordre ont été apportées depuis quelque temps par d’autres modérés du Hamas. Ismaïl Abou Chanab (assassiné par Israël) avait déclaré que le Hamas arrêterait sa lutte armée si « les Israéliens acceptaient de se retirer totalement des territoires occupés depuis 1967 et proposaient un calendrier ». Un autre dirigeant du Hamas, Mohamed Ghazal, a déclaré, l’an dernier, que la charte du Hamas n’était pas le Coran : « Historiquement, nous croyons que toute la Palestine appartient aux Palestiniens, mais nous parlons maintenant de la réalité, de solutions politiques Je ne pense pas que ce soit un problème de négocier avec les Israéliens. » Ce point de vue est partagé par Hassan Youssef, dirigeant du Hamas de Cisjordanie, aujourd’hui en prison en Israël : « Nous avons accepté le principe d’un État palestinien à l’intérieur des frontières de 1967. » Plus récemment, Haniyeh a déclaré que non seulement il était d’accord pour une rencontre entre le président Mahmoud Abbas et Ehoud Olmert, mais que si Abbas en tirait quelque profit pour le peuple palestinien, le Hamas réviserait ses positions.
Ces sentiments sont en contradiction flagrante avec le caractère parfaitement odieux de la charte du Hamas du 18 août 1988, qui fait une lecture antijuive des sources islamiques et reprend des calomnies antisémites tel le tristement célèbre Protocoles des Sages de Sion. Ce langage de haine n’est pas entièrement absent des documents et des déclarations de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) d’avant les accords d’Oslo, et l’on peut trouver une diabolisation comparable des Palestiniens par certains groupes juifs, y compris des partis politiques israéliens qui préconisent le nettoyage ethnique en Cisjordanie. Les dirigeants israéliens affirment qu’aucun processus de paix n’est possible avec un gouvernement dirigé par le Hamas. Mais certains observateurs estiment au contraire qu’aucun accord de paix durable entre Israël et les Palestiniens n’est possible sans la participation du Hamas. Le 4 septembre 2003, Efraïm Halévy, un ancien patron du Mossad, déclarait au quotidien Haaretz : « Le Hamas représente environ le cinquième de la société palestinienne. Parce que c’est un groupe actif, engagé et lucide, il aura un poids politique encore supérieur. C’est pourquoi ceux qui pensent qu’il est possible d’ignorer un élément aussi central de la société palestinienne se trompent lourdement. Tous ceux qui pensent que le Hamas s’évaporera un jour se trompent également. Abou Mazen [Mahmoud Abbas, à l’époque le Premier ministre] ne tuera pas des milliers de Palestiniens pour mettre au pas les mouvements islamistes. À mon avis, la stratégie à adopter avec le Hamas devrait être d’utiliser la force brutale contre son aile terroriste, mais de faire comprendre en même temps à ses dirigeants que s’ils adoptent une attitude modérée et s’intègrent à l’establishment palestinien nous ne considérerons pas cette attitude comme négative. Je pense que, au bout du compte, le Hamas sera forcément un partenaire du gouvernement palestinien. Si cela se produit, il y a une chance qu’il puisse être raisonné. Sa force destructive sera réduite. »
Quoi qu’il en soit, l’idée que l’écrasante victoire du Hamas signifie « la fin du processus de paix » est absurde. Le processus de paix est mort lorsque Sharon a été élu Premier ministre en 2000. Plus exactement, il a été tué – avec préméditation – par « l’unilatéralisme » avec lequel Sharon a procédé à l’évacuation de Gaza. Le fait qu’il procédait au désengagement contre la volonté des colons a détourné l’attention de son refus de négocier avec les Palestiniens. L’unilatéralisme continue de servir d’euphémisme pour désigner une politique qui a exproprié la moitié de ce qui aurait dû être la Palestine et concentré la population arabe, qui est sur le point de dépasser en nombre la population juive, dans des bantoustans territorialement coupés les uns des autres, au mépris de la promesse d’un État palestinien indépendant, souverain et viable faite par la « feuille de route » de 2003, établie par le Quartet (États-Unis, Union européenne, ONU et Russie).
Cet unilatéralisme reste la politique de Kadima, le nouveau parti fondé par Ariel Sharon et dirigé par le nouveau Premier ministre Ehoud Olmert. En fait, l’objectif de Kadima a été largement atteint. On pouvait lire dans Haaretz, le 14 février : « Ces dernières années, le gouvernement israélien a presque totalement coupé la Cisjordanie de la vallée du Jourdain et transformé la vallée du Jourdain en région juive Entre l’expansion vers l’est de la grande colonie israélienne de Maaleh Adumim, l’expansion vers l’ouest des communautés de la vallée du Jourdain et l’expansion des blocs de colonies vers la Ligne verte, il ne reste aux Palestiniens aucun territoire sur lequel fonder un État. »
Olmert et sa ministre des Affaires étrangères, Tzipi Livni, ont pris la tête d’une campagne internationale visant à isoler le Hamas et à le mettre à genoux s’il ne renonce pas au droit à une « résistance » violente contre l’occupation et ne reconnaît pas le droit à l’existence d’Israël. Ces deux exigences sont paradoxales de la part d’Olmert et de Livni, car ils sont l’un et l’autre des « princes » du Likoud : le terme s’applique aux fils et aux filles politiquement actifs des fondateurs de l’Irgoun qui doivent dans une large part leur carrière à cette ascendance. En vérité, si l’on en croit l’historien Benny Morris, l’auteur de Righteous Victims (« Vertueuses victimes »), c’est l’Irgoun qui a été le premier à cibler systématiquement des civils. Il écrit que « l’apparition du terrorisme arabe en 1937 a déclenché une vague d’attentats de l’Irgoun contre des foules et des autobus arabes, apportant une nouvelle dimension au conflit ». Alors que, dans le passé, les Arabes « tiraient » sur des voitures et sur des piétons et lançaient parfois une grenade, tuant ou blessant quelques passants, désormais, « pour la première fois, des bombes puissantes étaient placées dans des endroits où de nombreux Arabes étaient rassemblés, tuant et blessant aveuglément des dizaines de personnes. Cette innovation, ajoute-t-il, n’a pas tardé à faire des émules arabes. » À ma connaissance, ni Olmert ni Livni n’ont renié l’activité terroriste de l’Irgoun, ce qui confère à leur condamnation du Hamas un certain parfum d’hypocrisie. Il ne s’agit pas de suggérer que les attentats-suicides du Hamas n’ont pas été des actes de barbarie. Et si l’on n’y met pas fin, ce serait une raison suffisante pour placer le gouvernement du Hamas en quarantaine et travailler à sa chute. Il s’agit de rappeler que l’histoire même du Likoud prouve que des terroristes peuvent changer s’ils ont des raisons de penser que des objectifs nationaux légitimes peuvent être atteints par des moyens politiques.
Si les gouvernements israéliens ont manqué de talent pour faire la paix, ils n’en ont pas manqué pour inventer de nouveaux euphémismes destinés à tromper leurs concitoyens et le monde entier sur leurs intentions réelles. L’un des derniers en date est de parler de la « conversion de grands blocs de colonies », une manière d’intégrer officiellement à Israël de nombreuses implantations tout en en évacuant d’autres. Cela devrait permettre d’aboutir à une frontière israélienne permanente et à la solution des deux États du président Bush. De fait, comme l’écrivait le 19 mars Gideon Lévy dans Haaretz, « alors que les augures et les sondages indiquent un virage à gauche, avec une majorité pour la création d’un État palestinien et une évacuation des colonies, la véritable carte politique a pris un net virage à droite ». Le « nouveau consensus » sur le maintien d’importants blocs de colonies du côté israélien de la frontière s’ajoute au « consensus » précédent sur le refus d’accorder aux Palestiniens la moindre portion de Jérusalem-Est. Cela permet de prétendre qu’Israël doit garder des territoires palestiniens qui représentent la moitié de la Cisjordanie. Et, explique Lévy, c’est ce que l’on présente en Israël comme une défaite des colons et un virage à gauche : « Ceux qui disent que la vision du Grand Israël a été remplacée par un partage de la terre trompent le pays. Il en va de même de ceux qui prétendent assez légèrement que les Israéliens admettent désormais la nécessité de mettre fin à l’occupation. La vérité est bien pire : le discours israélien continue à encourager l’aspiration nationale la plus profondément enracinée, à savoir ne pas faire cadeau de la moindre miette du gâteau. »
Il ne s’agit pas de dire que même un gouvernement israélien sincèrement attaché à la recherche de la paix n’aurait aucune raison de craindre une Autorité palestinienne dirigée par le Hamas. Mais un gouvernement israélien accordant plus d’importance à la paix qu’à l’acquisition de nouveaux territoires n’aurait pas préparé une victoire du Hamas, ce que le gouvernement de Sharon a sûrement fait avec son unilatéralisme. Mieux encore, il n’aurait pas répondu à de telles craintes en menaçant de mettre les Palestiniens « à la diète ». C’est Dov Weissglas, le premier conseiller d’Olmert (après avoir été celui de Sharon), qui a fait cette proposition humiliante, en expliquant à ses collègues – lesquels, dit-on, ont bien ri – qu’il voulait aider les Palestiniens à perdre un peu de poids. Haaretz oppose ce comportement méprisant à celui du Hamas, qu’il juge « plus responsable » dans un éditorial du 21 février : « Le Hamas, lui, parle d’une nouvelle ère, d’une transition du terrorisme à la politique, d’une opposition à l’occupation par d’autres moyens et d’aspirations à une hudna à long terme. » Comme pour confirmer ce qu’écrivait Haaretz, l’ancien chef du Shin Beth, Avi Dichter, aujourd’hui une vedette du soi-disant parti centriste Kadima, a déclaré que lorsqu’il y aurait un nouvel attentat terroriste, Haniyeh serait la cible toute désignée d’un assassinat. Shaul Mofaz, le ministre de la Défense d’alors, ajoutait que les soixante-quatorze députés du Hamas étaient eux aussi candidats à des assassinats ciblés. À de rares exceptions près, les Israéliens croient que pour être accepté comme « un partenaire pour la paix », le Hamas doit d’abord reconnaître l’État hébreu, puisque de son côté Israël a depuis longtemps admis que les Palestiniens avaient droit à leur État en Cisjordanie et à Gaza. Mais c’est faux. De fait, Israël a repoussé ses frontières de plus de 50 % au-delà des territoires accordés à l’État juif par l’ONU en 1947, alors que les territoires accordés aux Palestiniens ont déjà été réduits de près de 60 % – et ce avant même qu’on ait pris en compte les colonies et les autres expropriations israéliennes de Cisjordanie. Si le Hamas déclarait qu’il accepte la légitimité d’Israël, mais seulement sur la moitié du territoire qui constituait l’État juif avant la guerre de 1967, cette déclaration ne serait sûrement pas prise au sérieux en Israël. Pourtant, c’est exactement ce que les Israéliens considèrent comme une position acceptable de leur gouvernement concernant la légitimité d’un État palestinien. Or une telle position oblige les Palestiniens à reconnaître non pas la moitié mais la totalité de l’État d’Israël d’avant 1967, et bien davantage. C’est pourquoi Haniyeh a expliqué que la reconnaissance d’Israël par les Palestiniens dépendra de « quel Israël » on demandera la reconnaissance. Est-ce que ce sera un Israël avec ses frontières d’avant 1967, ou bien un Israël qui s’est emparé de la moitié des territoires palestiniens restants ? Si c’est de ce dernier qu’il s’agit, le Hamas ne reconnaîtra pas l’État hébreu. Haniyeh a ajouté que tant qu’on n’aura pas dit aux Palestiniens lequel de ces deux Israël doit être reconnu, ce n’est pas une demande à laquelle les Palestiniens sont tenus de répondre.
Qu’y a-t-il de déraisonnable dans une telle position ? Sur quoi repose la critique israélienne et américaine d’une politique qui est le reflet exact de celle d’Israël à l’égard d’un État palestinien ? Poser ces questions, c’est définir ce que sera le principe central de la politique du Hamas : ce n’est pas l’élimination de l’État juif, mais une exigence incontournable de réciprocité. L’exigence de réciprocité est aussi la réponse du Hamas à deux autres conditions mises en avant par Israël pour négocier avec lui : l’acceptation de tous les accords précédents et la renonciation à la violence. Mais les Israéliens ne peuvent sûrement pas penser que le Hamas ignore qu’Israël n’a pas accepté les précédents accords avec les Palestiniens. À chaque fois où il a parlé de la prétendue acceptation de la Feuille de route par Israël avec le président Bush et d’autres dirigeants internationaux, Sharon a invariablement ajouté la formule « telle qu’acceptée par le gouvernement d’Israël », ce qui ajoutait à la Feuille de route quatorze conditions qui rendaient nulles et non avenues ses dispositions principales. Par exemple, la Feuille de route stipule explicitement que les deux parties doivent immédiatement satisfaire à leurs obligations respectives – dans le cas d’Israël, arrêter l’implantation des colonies et supprimer les avant-postes illégaux ; dans le cas des Palestiniens, arrêter les attentats terroristes – quel que soit le degré de mise en conformité de l’autre partie. Le gouvernement israélien a fait savoir qu’il ne se conformerait à aucune de ses obligations tant que les Palestiniens n’auraient pas mis fin aux violences et aux incitations à la violence contre Israël, et n’auraient pas « démantelé l’infrastructure terroriste ».
L’Union européenne (UE), mais aussi le gouvernement américain ont reconnu publiquement que l’appropriation par Israël de larges portions de la Cisjordanie viole le droit international, la Feuille de route et les résolutions de l’ONU. Ce n’est pas un porte-parole du Hamas, mais Condoleezza Rice, qui a déclaré, le 8 février, dans une conférence de presse après une rencontre, à Washington, avec Tzipi Livni, que « la position des États-Unis sur l’unilatéralisme israélien est très claire et n’a pas bougé. Personne ne doit essayer de déterminer unilatéralement les conditions d’un accord sur le statut final. » Rice a ajouté que la lettre de Bush à Sharon reconnaissant la nécessité de prendre en considération les « nouveaux centres de populations de la Cisjordanie » ne donne pas licence à quiconque « d’essayer de le faire d’une manière préemptive ou prédéterminée, parce que ce sont des points de négociation du statut final ».
Quant au problème de la violence, le Hamas a annoncé une « accalmie » (tahdi’a) il y a plus d’un an, et il l’a largement respectée, malgré la reprise par Israël des assassinats ciblés, un moment suspendus en réponse à l’initiative du Hamas. Le Hamas a maintenant proposé d’observer une longue hudna et attend une réponse d’Israël. Que le Hamas démobilise ou non son aile terroriste, les Brigades Ezzeddine al-Qassam, il est hautement probable qu’un Hamas responsable de l’administration et du bien-être du peuple palestinien sera très différent d’un Hamas dans l’opposition. Le Hamas est maintenant au gouvernement et il sait qu’il ne peut pas gouverner et agir en même temps comme une force terroriste.
La vérité est que même si le Hamas reconnaissait demain Israël et démantelait son « infrastructure terroriste », il n’y aurait pas la moindre perspective d’une reprise d’un processus de paix sans une très forte pression des États-Unis sur Tel-Aviv. Or il n’y a guère de perspective d’une telle pression américaine. Israël est allé trop loin dans ses décisions unilatérales pour se réengager brusquement dans un processus de paix qui exigerait une acceptation par les Palestiniens de la prolongation d’une présence israélienne en Cisjordanie. Et le Hamas ne serait pas d’accord sur un processus de paix qui reviendrait sur des acquis confirmés par les États-Unis et l’UE.
Et pourtant, la conséquence de la victoire du Hamas est peut-être que les possibilités d’un modus vivendi et finalement d’un accord entre Israéliens et Palestiniens se sont renforcées. Le Hamas comme le gouvernement israélien estiment que leurs intérêts respectifs sont mieux servis, non pas par un retour rapide à un processus de paix, mais par une période prolongée de coexistence de fait. Un répit dans les pressions en faveur d’une reprise du processus de paix permettrait à Israël de poursuivre son intention déclarée de procéder à de nouveaux désengagements unilatéraux dans certaines régions de la Cisjordanie, et d’assurer ainsi une majorité démographique juive du côté israélien de la frontière.
Quant au Hamas, de nouveaux retraits israéliens lui donneraient le délai dont il a besoin pour reprendre la construction des institutions palestiniennes et une réhabilitation de la vie sociale et économique, ruinée par l’occupation.
Pour les Israéliens, un cessez-le-feu prolongé serait compatible avec les exigences de Sharon, selon lesquelles un arrangement à long terme, mais provisoire, devait précéder les négociations sur le règlement définitif. Pour le Hamas, un cessez-le-feu prolongé serait compatible avec ses positions, selon lesquelles il n’est pas prêt pour l’instant à proposer à Israël beaucoup plus qu’une trêve à long terme. Comme le notait au début de mars le journaliste libanais Rami Khouri, il semble possible qu’il y ait entre Israël et le Hamas « un accord qui ne dise pas son nom ».
Le Hamas doit observer la trêve qu’il a proposée et empêcher les attentats non seulement de la part de ses militants, mais aussi de la part du Djihad islamique, des Brigades d’al-Aqsa et des autres groupes terroristes. Mais pour qu’il puisse le faire, Israël doit mettre fin à ses assassinats ciblés et à ses incursions dans les zones palestiniennes. Encore plus important, Israël doit déclarer publiquement que les lignes de ses désengagements unilatéraux ne sont pas des frontières permanentes, lesquelles ne seront fixées que par des négociations avec les Palestiniens. Et si l’on veut que cette déclaration soit crédible, Israël doit cesser de renforcer sa présence en Cisjordanie pour assurer l’irréversibilité de ses limites prétendument « temporaires ».
Paradoxalement, un tel arrangement, qui laisserait la porte ouverte à un règlement plus officiel du conflit dans quelques années, n’est probablement possible qu’avec une Autorité palestinienne dirigée par le Hamas. Car celui-ci peut expliquer de façon crédible que le fait d’accepter une période de transition est compatible avec son refus idéologique de faire des concessions formelles qui ne soient pas fondées sur la reconnaissance par Israël des droits palestiniens et sur une réciprocité. Dans l’intervalle, le Hamas peut, au cours de cette période de transition, nettoyer les écuries palestiniennes souillées par la corruption. En opposition directe avec le point de vue du Fatah, selon lequel la réforme des institutions doit attendre la création d’un État palestinien, le Hamas, de même que les réformateurs palestiniens non islamistes, a toujours soutenu qu’un gouvernement palestinien honnête et efficace est la condition préalable de la réalisation des objectifs nationaux palestiniens.
Peut-être l’espoir d’une attitude modérée du Hamas sera-t-il déçu. Si c’est le cas, il sera toujours temps pour Israël et d’autres pays d’imposer des sanctions que le Hamas et l’Autorité palestinienne auront alors pleinement méritées. Mais de récentes déclarations de certains de ses dirigeants sur leurs nouvelles priorités donnent fortement à penser que leurs idées sont en train d’évoluer. Par exemple, le Dr Nassereddine Cha’er, adjoint du Premier ministre, a déclaré le 27 mars à Haaretz que « le nouveau gouvernement ne rejette pas la coordination et la cooptation pour résoudre les problèmes qui se posent avec quiconque, y compris avec Israël ». La hâte avec laquelle le gouvernement israélien cherche à discréditer et à faire chuter le Hamas affaiblit la possibilité de faire connaître la vérité. Elle risque aussi de faire échouer les perspectives d’une éventuelle modération du Hamas.
Le général Shlomo Brom, qui était jusqu’à une époque récente conseiller adjoint à la sécurité nationale de l’armée israélienne, a déclaré que si l’échec du gouvernement du Hamas était provoqué par une politique israélienne d’isolement et entraînait sa chute, l’échec et les souffrances qui en résulteraient pour la population palestinienne devraient être attribués non pas au Hamas, mais à Israël et à l’Occident. Ce qui creuserait probablement le fossé entre les États-Unis, les Palestiniens et le monde musulman. En revanche, une politique israélienne et occidentale d’engagement et de négociation avec le Hamas pourrait favoriser des changements fondamentaux de la politique du Hamas et éventuellement de son idéologie. Le grand avantage d’une stratégie d’engagement sur une stratégie d’isolement est qu’Israël pourrait passer à une politique de confrontation s’il est avéré que l’engagement a échoué. Un changement en sens inverse ne serait pas possible. Et le prix d’un échec risque fort d’être la fin de la solution des deux États, avec tout ce que cela implique pour l’avenir de l’État juif, qui se trouve dans une région où le « choc des civilisations » est peut-être en gestation.

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