[Tribune] Présidentielle en Algérie : les derniers feux d’un système aux abois

Huit mois après les premières manifestations populaires, le pouvoir militaire algérien donne l’impression de tenir bon et entend imposer son élection présidentielle dans un contexte répressif.

Une pancarte exigeant le départ du chef d’état-major de l’armée, le général Ahmed Gaïd Salah, en mai 2019 à Alger (image d’illustration). © Anis Belghoul/AP/SIPA

Une pancarte exigeant le départ du chef d’état-major de l’armée, le général Ahmed Gaïd Salah, en mai 2019 à Alger (image d’illustration). © Anis Belghoul/AP/SIPA

Adlene Mohammedi © DR
  • Adlene Mohammedi

    Docteur en géographie politique de l’université Paris-1 Panthéon-Sorbonne et spécialiste de la politique arabe de la Russie.

Publié le 21 octobre 2019 Lecture : 3 minutes.

Selon les mots de Lénine, une révolution triomphe quand « ceux d’en bas » ne veulent plus et « ceux d’en haut » ne peuvent plus. Cela décrit assez bien la situation actuelle : les Algériens ne veulent plus d’un régime corrompu qui les a méthodiquement méprisés et humiliés, et ce régime ne peut plus s’imposer à eux, comme il l’a fait depuis ses débuts.

Le bras de fer entre les manifestants – qui marchent avec la même vigueur et la même détermination qu’au début de la lutte en février – et l’état-major concerne désormais la tenue de la présidentielle prévue le 12 décembre. Un scrutin perçu par les dirigeants comme le moyen de tourner la page du soulèvement populaire et de sauver le régime.

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Nous savions que le régime était cryptocratique et que le vernis civil des années Bouteflika masquait mal une réalité essentiellement militaire. Nous découvrons désormais un pouvoir militaire décomplexé qui, après avoir sacrifié quelques symboles – des oligarques, des politiciens et des proches de l’ancien président – , mène directement son dernier combat contre la volonté populaire.

Le chef d’état-major, Ahmed Gaïd Salah, semble bien être l’ultime gardien de ce pouvoir. Après avoir consciencieusement soutenu le « clan » Bouteflika et s’être accommodé d’un chef de l’État fantôme, il s’est donné pour mission de sauver le système et incidemment quelques intérêts privés qui lui sont arrimés. Cette tâche est sans doute trop ardue pour un homme qui a cruellement manqué de clairvoyance jusqu’ici.

Désordre moral dans les discours et les actes

En attendant sa fin inévitable, ce pouvoir moribond déploie sa capacité de nuisance sans tenir le moindre compte de ses propres règles. Il n’incarne pas l’ordre – face au désordre supposé des foules qui lui tiennent tête – mais l’arbitraire et la chienlit. Ce ne sont pas les militaires qui se cachent derrière les civils pour sauver les apparences, mais le gouvernement « chargé d’expédier les affaires courantes » qui se cache derrière les généraux pour hypothéquer clandestinement l’avenir du pays.

Dans cette bataille finale, le pouvoir compte bien exacerber le désordre moral qu’il a longtemps instillé. Par les discours et par les actes. Les discours sont ceux d’un chef de l’armée qui « désalgérianise » celles et ceux qui luttent légitimement pour l’éviction de ceux qui les ont trahis en prétendant gouverner en leur nom. Et voilà l’accusation de trahison par magie inversée !

Les généraux peuvent compter sur un climat international favorable, qui applaudit leur élection comme on applaudissait la prolongation du mandat de Bouteflika

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Les actes sont ceux d’une police qui réprime les opposants. Et d’une justice aux ordres qui condamne à la fois ceux qui ont été sacrifiés par leurs anciens complices et ceux qui ont le malheur d’exprimer une idée dissonante ou de brandir un drapeau. L’oligarque véreux est ainsi confondu avec le militant téméraire.

En apparence, les généraux, qui font la pluie et le beau temps, sont en position de force. D’ailleurs, peut-être pensent-ils avoir le peuple à l’usure et pouvoir lui imposer le statu quo – et donc s’assurer l’impunité. Ils peuvent compter sur un climat international favorable, qui applaudit leur élection comme on applaudissait la prolongation aberrante du mandat de Bouteflika, et sur une élite autoproclamée – au mieux pusillanime, au pire corrompue – sensible au clairon de l’état-major, à savoir une cohorte d’affidés issus du régime, érigés en médiateurs ou en candidats, et de télégraphistes déguisés en journalistes.

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Suicide du pouvoir

Cela ne suffira pas. Le suicide du pouvoir est peut-être bruyant, violent, long, lent… Cela reste un suicide. Le processus a commencé il y a longtemps, quand des décideurs ont jugé opportun de faire élire une photo, un cadre, s’autonomisant du peuple jusqu’à l’absurde. Ce processus risque fort de s’achever quand le scrutin de décembre sera annulé. Que pourront-ils bien inventer après trois élections présidentielles avortées la même année ?

Tandis que les membres du gouvernement, les « médiateurs » et les faux candidats rasent les murs, les manifestants répètent tous les mardis et tous les vendredis que cette élection n’aura pas lieu. Ils ont innové, le 13 octobre, en s’emparant massivement des rues pour contester la nouvelle loi sur les hydrocarbures, adoptée en Conseil des ministres. Les Algériens n’ont donc pas besoin d’un isoloir fourni par leurs bourreaux pour s’exprimer. « En haut », on pense pouvoir organiser une énième élection sans eux. « En bas », on veut un futur sans malfrats à la tête de l’État.

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