Kengo wa Dondo, le retour

En accédant à la présidence du Sénat, l’ancien Premier ministre de Mobutu qui avait disparu de la scène devient le deuxième personnage de l’État. Et pourrait être un élément clé d’une nouvelle donne politique.

Publié le 21 mai 2007 Lecture : 6 minutes.

Pour un coup dur, c’en est un. Le 11 mai, l’Alliance pour la majorité présidentielle (AMP), la coalition qui soutient le chef de l’État congolais, Joseph Kabila, a échoué dans sa tentative de prendre le Sénat, dernier bastion qui lui manquait pour le contrôle de toutes les institutions du pays. Un homme, un revenant, a contrarié ce projet : Léon Kengo wa Dondo, l’un des caciques du régime défunt du maréchal Mobutu Sese Seko. Il a été élu, contre toute attente, président de la Chambre haute du Parlement, face au candidat du pouvoir, Léonard She Okitundu. Une victoire liée à plusieurs facteurs.
D’abord, l’ambition de l’ancien Premier commissaire d’État, puis Premier ministre zaïrois. « Kengo ne se serait jamais contenté d’être un simple sénateur. Il aurait carrément cédé son siège à son suppléant », explique un membre de la majorité présidentielle. Ensuite, la solidarité régionale. Vingt sénateurs sont originaires, comme lui, de l’Équateur (Nord-Ouest), dont le premier vice-président Édouard Mokolo wa Pombo, autre ancien du mobutisme. Puis le poids des indépendants dans l’Hémicycle. Sur 108 sièges, l’AMP en a 58, le Mouvement de libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba 14, et les indépendants 26. Sans compter plusieurs autres issus de l’ancien régime. Kengo, à qui répugnent les seconds rôles, s’est attelé à séduire ses collègues. Beaucoup d’entre eux ont eu à travailler dans les différents gouvernements qu’il a dirigés, quand ils ne sont pas tout simplement ses amis. Pour eux, « il incarne l’autorité et peut contribuer à faire marcher un pays en panne ».
Enfin, et peut-être surtout, le choix de She Okitundu par le palais présidentiel. La candidature de l’ex-directeur de cabinet de Joseph Kabila n’a pas emporté l’adhésion de tout le monde. Lors du scrutin, certains sénateurs AMP n’ont pas voté pour lui. Notamment ceux qui n’ont pas apprécié « l’arrogance » du clan présidentiel lorsqu’il a obligé le sortant, Mgr Bodho Marini, Abdoulaye Yérodia et André-Philippe Futa à retirer leurs candidatures au profit d’Okitundu. Par ailleurs, plusieurs élus du Kasaï (Centre), au nom de l’« équilibre ethnique », ont estimé que le Sankuru, district d’origine de She Okitundu, dans le même Kasaï, avait déjà « trop » de représentants dans les nouvelles institutions.
« Kengo a le bras long. Il n’entreprend jamais rien sans savoir où il va », affirme un sympathisant. Mais jusqu’où peut aller cet homme de 72 ans ? Une chose est sûre : il vient de loin, depuis ce 12 avril 1997, lorsqu’il quitte, à bord d’un avion de Swissair, la capitale de ce qui s’appelle encore Zaïre, alors que les troupes de Laurent-Désiré Kabila, soutenues par les armées rwandaise et ougandaise, sont en train de faire tomber le régime Mobutu. La veille, il était encore Premier ministre du gouvernement de transition. Devenir la deuxième personnalité de l’État, dix ans après avoir perdu le pouvoir, est une véritable prouesse pour Kengo wa Dondo.
Pourtant, son nom ne fait pas l’unanimité au Congo, car, ainsi que le note un membre de la majorité présidentielle, « dans l’opinion, il continue à être jugé par rapport aux années Mobutu ». Au point que, lorsqu’il remet pour la première fois le pied à Kinshasa un jour de 2003, son cortège est accueilli à coups de pierres sur une partie du trajet. Mais cela n’ébranle pas la volonté de cet homme, qui, à travers ses réseaux, et sans avoir à le crier, nourrit à l’époque de grandes ambitions présidentielles. Il en avait vu d’autres, lui, métis né à Libenge en mai 1935, d’un père juif polonais devenu belge (son nom originel est Léon Lobitsh) et d’une mère d’origine rwandaise. Parmi ses amis d’enfance dans sa province natale de l’Équateur, il compte déjà un certain Mobutu.
Docteur en droit de l’Université libre de Bruxelles, Kengo fait partie des tout premiers hauts cadres formés au début des années 1960. Entré dans la magistrature, il gravit les échelons jusqu’à devenir procureur général de la République. Nous sommes dans les années 1970. Son seul nom fait trembler nombre de ses compatriotes, qui le considèrent comme un pur et dur dans un pays habitué à l’impunité. Parmi ses hauts faits d’armes de l’époque, nul n’a oublié l’emprisonnement, en 1979, d’un intouchable : Franco Lwambo Makiadi, l’un des géants de la musique zaïroise, poursuivi pour exécution publique de chansons licencieuses. Tout le Zaïre est stupéfait. Mais le procureur général de la République, sûr de son droit, promu président du Conseil judiciaire, ne s’en émeut guère. Pour lui, la loi c’est la loi. Et il symbolise la droiture. La disgrâce arrive vite. Le tout-puissant dispensateur du pouvoir judiciaire tombe. Lot de consolation : Mobutu l’envoie en Belgique comme ambassadeur.
L’année 1982 marque le retour en force de Kengo sur le devant de la scène : il est nommé Premier commissaire d’État. Sa mission : redresser l’économie. Pour cela, il faut appliquer le programme d’ajustement structurel élaboré par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI). Quatre ans durant, le chef du gouvernement devient l’incarnation de la rigueur, avec son lot de souffrances : réduction du nombre de fonctionnaires, coupes claires dans les budgets, privatisations L’assainissement des finances de l’État débouche sur une priorité, qui n’est pas le social, mais le remboursement de la dette extérieure. La politique de Kengo ne passe pas. Mobutu, reprenant à son compte le mécontentement populaire, a une phrase terrible : « On ne mange pas la rigueur. »
Le Premier commissaire d’État est limogé en octobre 1986. Pendant un an, il est ministre des Affaires étrangères. Mais alors que le régime zaïrois est au plus mal, il est renommé à la tête du gouvernement en 1988. Jusqu’à ce jour d’avril 1989 où le président zaïrois décide de mettre fin au règne du parti unique. Déchargé de ses fonctions en 1990, Kengo prend ses distances vis-à-vis de son ami d’enfance. Cette rupture se caractérise par la création de son propre parti, l’Union des démocrates indépendants (UDI), où se retrouvent une bonne partie des anciens compagnons de Mobutu. C’est une position d’équilibriste entre l’opposition radicale et la mouvance présidentielle. L’ancien procureur intraitable est devenu, disent la plupart de ses compatriotes, l’un des hommes les plus riches du pays. En tout cas, il mène grand train.
L’anarchie qui règne au sein de la classe politique zaïroise dans les années 1990 est telle que, une fois de plus, au prix d’incroyables acrobaties, Kengo wa Dondo est élu Premier ministre par le Parlement de transition en 1994. Cela tombe mal : le génocide vient d’avoir lieu au Rwanda et des centaines de milliers de réfugiés rwandais, dont des hommes en armes, se retrouvent sur le sol zaïrois, dans le Kivu. Le Premier ministre tente de résoudre le problème en optant pour le retour des Rwandais chez eux. Une décision difficile à mettre en application sans le soutien de la communauté internationale. Kengo continue tant bien que mal à gérer la transition en arrêtant un calendrier électoral. Mais, en septembre 1996, la rébellion déclenchée par Kabila remet tout en question. Alors qu’il se trouve à Nairobi, au Kenya, pour des pourparlers liés à la crise née de cette guerre, le Premier ministre est destitué par le Parlement de transition. Ses origines maternelles rwandaises (et plus précisément tutsies) en seraient la cause, disent certains, alors que d’autres évoquent son incapacité à maîtriser la situation. En avril 1997, un mois avant l’entrée de Kabila à Kinshasa, Kengo wa Dondo prend le chemin d’un exil doré en Belgique. La tombe de sa mère est profanée.
À en croire certaines sources, Kengo était rentré à Kinshasa dans l’espoir de devenir Premier ministre. Au second tour de la présidentielle de 2006, il a appelé à voter pour Jean-Pierre Bemba, le fils de son ami Bemba Saolona. Mais, prudent, il n’a pas voulu entrer dans l’Union pour la nation (UN). Il a préféré rester « un libéral, un homme du centre ». Gizenga s’étant trouvé en travers de sa route, il attend peut-être son heure. Ses réseaux sont tellement étendus que ce n’est pas mission impossible. Mais, en prenant la tête du Sénat, il devient, selon l’article 75 de la Constitution, le deuxième personnage de l’État succédant à Joseph Kabila si celui-ci venait à disparaître ou était frappé d’incapacité. Un handicap cependant : n’étant pas né de parents congolais, Kengo wa Dondo ne peut briguer la magistrature suprême.

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