Les promesses du fleuve

Alors que le pays dispose d’un gigantesque potentiel hydroélectrique, seuls 6,5 % des ménages congolais ont accès à l’électricité.

Publié le 21 avril 2008 Lecture : 5 minutes.

L’entrée dans la vaste concession d’Inga, située dans la province du Bas-Congo, à 40 kilomètres en amont de Matadi et à 200 kilomètres en aval de Kinshasa, est soumise à contrôle. Passeport, ordre de mission, sourires et échanges de politesses. Tout est en règle. La voiture peut s’engager sur la route goudronnée qui traverse le site, noyé dans une végétation luxuriante et plongé dans un silence quasi religieux que seuls les chants d’oiseaux et les cris des singes viennent interrompre. Bâtiments et villas de part et d’autre de la route, et nous voilà arrivés au Belvédère. Devant nos yeux, sous un ciel d’acier, le fleuve Congo, bouillonnant d’écumes, étale toute sa puissance. Parsemé d’une myriade d’îlots de verdure, son lit, ici large de trois à quatre kilomètres, débite, selon les saisons, 30 000 à 60 000 m3 d’eau à la seconde. Construits dans le coude que forme le fleuve à cet endroit, les barrages semblent perdus dans l’immensité des lieux.
À Inga – contraction d’Ingeta, qui signifie « oui » en kikongo -, le fleuve pourrait produire jusqu’à 45 000 MW d’électricité, soit près de la moitié du potentiel du pays. Rien de plus normal, donc, que d’avoir aménagé deux centrales hydroélectriques sur ce site stratégique (voir encadré). Mais malgré ce potentiel, la capacité installée d’Inga ne dépasse pas pour l’heure 1 775 MW. En fait, la production actuelle n’est même que de 700 MW. Et pour cause : sur les quatorze turbines existantes, sept sont hors d’état de fonctionner. De quoi désespérer tous ceux qui dépendent de ce site, dont une partie de la production alimente les villes de Kinshasa, Matadi, Boma et Bandundu, les districts du Bas-Fleuve et des Cataractes, dans la province du Bas-Congo, ainsi que quelques zones du Katanga. Le reste de l’électricité – soit 150 MW aujourd’hui contre 250 MW auparavant – est exporté vers le Congo-Brazzaville, le Zimbabwe, l’Angola, la Zambie et l’Afrique du Sud.

Des centrales vétustes
La capacité installée d’Inga, et encore moins sa production actuelle, ne peut satisfaire la demande. Difficile d’ailleurs d’estimer les besoins nationaux, faute d’informations fiables. Pour en savoir plus, le ministère de l’Énergie a demandé à chaque secteur d’activité de chiffrer ses besoins mais, jusqu’à présent, seuls les opérateurs miniers l’ont fait. Selon Africa Energy Intelligence, les besoins en électricité de Kinshasa sont évalués à 600 MW. Un chiffre qui devra être revu à la hausse, compte tenu de la relance de l’économie et de l’immobilier.
S’il est le plus important, Inga n’est pas le seul site producteur d’électricité du pays, qui possède 87 centrales, dont 47 hydroélectriques, soit une capacité installée de 2 500 MWÂÂ pour une production de seulement 1 050 MW. Pour accroître cette dernière, une « Lettre de politique énergétique » a été élaborée en 2007. Le secteur a été totalement libéralisé, mais les prix resteront réglementés. Et si l’accent est mis sur l’hydroélectricité (qui représente actuellement 99,7 % de la production totale d’énergie du pays), il est prévu de promouvoir les autres sources d’énergie, à l’exception du nucléaire. Quant aux biocarburants, leur développement ne pourra se faire au détriment de l’agriculture. Tous les types de partenariats, notamment publics-privés, sont encouragés. Quelque 38 projets – réhabilitation, modernisation ou construction de centrales électriques ou à gaz – ont été identifiés. Certains opérés par des producteurs indépendants d’énergie, comme le canadien MagEnergy, sont en cours de réalisation.
Inga reste « le » grand espoir de la RDC et d’autres pays africains pour résoudre la crise énergétique qui les mine. D’où la nécessité de remettre à niveau ses centrales. C’est l’objet du Projet de développement du marché de l’électricité pour la consommation domestique et à l’exportation (PMEDE), financé par la Banque mondiale et la Banque africaine de développement (BAD). D’un montant de 499 millions de dollars, le PMEDE s’articule en plusieurs volets, dont l’un porte sur la réhabilitation des six turbines d’Inga I et de quatre turbines d’Inga II A, tandis qu’un autre prévoit la construction d’une deuxième ligne à très haute tension (THT) entre Inga et Kinshasa. Le 10 avril, la BAD a signé un accord de dons de 58 millions de dollars avec la RDC pour la réhabilitation des deux centrales et des réseaux de distribution. La turbine numéro 3 d’Inga II A est d’ores et déjà en cours de réparation sur un financement de MagEnergy en partenariat avec la Snel (Société nationale d’électricité).

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Pour sortir de l’ombre
Même remises à niveau, les centrales d’Inga I et II ne pourront, à elles seules, satisfaire la demande du pays et de ses voisins d’Afrique australe. C’est pourquoi, les projets de construction de deux centrales hydroélectriques en aval d’Inga II ont été réactivés. Le plus avancé est celui d’Inga III, actuellement à l’étude. Et pas question de limiter sa production aux besoins de la seule RD Congo : « Le principe d’exporter une partie de l’électricité est acquis. Cinq pays seront concernés par Inga III : la RDC, l’Angola, l’Afrique du Sud, la Namibie et le Botswana », précise un conseiller du ministre de l’Énergie. Reste à identifier et préciser les besoins. Ce sera, entre autres, la mission de Westcor (Western Power Corridor), un partenariat qui regroupe les sociétés nationales des cinq pays intéressés. Et, en attendant que Westcor se prononce sur les apports financiers de chacun de ses membres, la RDC a lancé les études techniques et financières de la future centrale.
Réalisées par le bureau d’études SNC-Lavalin, grâce à un financement du gouvernement canadien, les études de préfaisabilité d’Inga III viennent d’être achevées. Financée par l’australien BHP Billiton (10 millions de dollars), futur client et désireux de construire une usine de production d’aluminium dans le Bas-Congo, par la BAD (9,5 millions de dollars) et la Banque mondiale (1,15 million de dollars), qui constituent le comité de pilotage du projet, l’étude de faisabilité technique sera lancée prochainement et devrait être achevée dans le courant de 2009. Reste à finaliser les termes de référence et à lancer l’appel d’offres pour sélectionner la société qui sera chargée de la tâche.
L’étude de faisabilité financière, pour sa part prise en charge par la Banque mondiale, est assurée par le français BNP-Paribas. Elle permettra de déterminer le coût exact de réalisation de la centrale (estimée pour l’heure à 3,6 milliards de dollars) ainsi que le prix de revient du KW/heure, mais aussi d’identifier les membres du futur consortium qui gérera Inga III. Selon qu’il participera financièrement ou non à la réalisation du projet, Westcor en sera membre ou sera simple client. On estime à 4 320 MW la capacité de production de la future centrale. De quoi faire rêver les millions d’Africains concernés !
Le second projet, baptisé Grand Inga, semble quant à lui relever de l’utopie. Sa capacité atteint 39 000 MW ! Et pourtant, le potentiel est là. Véritable projet intégrateur à l’échelle continentale, il prévoit de desservir trois grandes zones : l’Égypte, l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique australe. Autant dire qu’aucun pays ne pourra réaliser, seul, un tel chantier, le montant nécessaire à la réalisation de l’ouvrage étant estimé entre 40 milliards et 50 milliards de dollars ! Reste à savoir qui composera le consortium. Au vu de l’état d’avancement des projets, la RDC n’y verra vraiment clair que d’ici à une dizaine d’années.

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