Algérie – Salah Guemriche : « Avec le Hirak, la peur a changé de camp »

Pour l’essayiste et ex-journaliste algérien Salah Guemriche, le Hirak a permis de repousser le mur de la peur, qui a tétanisé des générations depuis la guerre d’Indépendance en Algérie. Et si, aujourd’hui, le mouvement s’essouffle un peu, il ne fléchit pas.

Les Algériens portent un drapeau national géant lors d’une manifestation à Alger, en Algérie, le vendredi 15 mars 2019 (photo d’illustration). © Toufik Doudou/AP/SIPA

Les Algériens portent un drapeau national géant lors d’une manifestation à Alger, en Algérie, le vendredi 15 mars 2019 (photo d’illustration). © Toufik Doudou/AP/SIPA

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Publié le 22 février 2020 Lecture : 6 minutes.

Photos, slogans, caricatures… Dans son essai La Reconquête (Orients Editions, septembre 2019), l’ex-journaliste algérien Salah Guemriche décrypte les images des manifestations du Hirak depuis ses débuts, le 22 février 2019. L’essayiste, qui a suivi ce soulèvement depuis la France – où il réside -, via les réseaux sociaux et grâce aux archives d’amis restés au pays, donne à voir l’originalité des premières manifestations à Alger contre un cinquième mandat présidentiel de Abdelaziz Bouteflika. Et, en particulier, le détournement des portraits officiels du président déchu. La foule n’hésite alors pas à brandir symboliquement des cadres vides et à s’y photographier en premier plan, en lieu et place d’un pouvoir vieillissant. Tout comme la mise en avant de l’humour qui caractérise le mouvement.

L’auteur met en valeur d’autres marqueurs de changement impulsés par ce Hirak. Les pleurs ou les sourires de policiers face à des manifestants qu’ils sont pourtant censés contenir. Ou encore l’évolution des mobilisations de différents corps de métiers : avocats, artistes, journalistes. Le sensible rapport à la France y est également décortiqué, tout comme le refus, par les protestataires, d’un scénario à la Sissi (Égypte). Et enfin, le va-et-vient avec d’autres épisodes d’une Histoire algérienne douloureuse, faite de luttes, dont certains acteurs et précieux témoins ont aujourd’hui rejoint ce Hirak.

Jeune Afrique : Votre dernier ouvrage a pour titre La Reconquête. Est-ce une manière de suggérer que le Hirak fait écho à une autre page de l’Histoire algérienne, celle de l’Indépendance ?

Salah Guemriche : J’ai d’abord pensé à le titrer La Reconquête de l’Indépendance, avant de ne retenir que La Reconquête, tout court. C’est un titre bravache puisqu’il sous-entend « reconquête de l’Algérie ». Il me semble évident que, dans l’esprit des « hirakistes », cette idée était sous-jacente : comme si en 1962, au moment de l’Indépendance, le peuple était passé d’une occupation à une autre, d’une oppression à une autre.

Diriez-vous que l’indépendance post-coloniale a été confisquée par la classe dirigeante ?

Oui. Et c’est un euphémisme. J’avais évoqué cette question dans mon roman : Un été sans juillet, paru en 2004 (éd. du Cherche Midi) alors que Bouteflika entamait son deuxième mandat. La toute première phrase du livre est : « Le jour où l’Algérie entrait dans l’indépendance, Larbi entre dans le coma ». C’est comme si, à mes yeux de romancier, le Hirak était venu sortir mon héros de son coma. Ce mouvement a une pleine conscience de sa force et signe en cela un point de non-retour.

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