Bakary Sambe : « Le dialogue avec les jihadistes maliens risque d’être contre-productif »

La perception du conflit au Sahel ne correspond pas à la réalité du terrain. C’est la conviction de Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute, qui plaide pour dépasser la seule analyse via le prisme de l’extrémisme religieux et prendre toute la mesure de l’importance, dans la perpétuation de la crise, des trafics qui alimentent les groupes jihadistes.

Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute et professeur à l’université Gaston-Berger de Saint-Louis, à Dakar, le 15 mai 2019. © Clément Tardif pour JA

Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute et professeur à l’université Gaston-Berger de Saint-Louis, à Dakar, le 15 mai 2019. © Clément Tardif pour JA

Aïssatou Diallo.

Publié le 27 février 2020 Lecture : 7 minutes.

Trafic de drogues ou d’armes, contrebande de cigarettes, de médicaments, vol de bétail, rackets, orpaillage… Profitant de la porosité des frontières et de l’absence de l’État dans de vastes territoires, les groupes jihadistes et mouvements armés qui sévissent dans le Sahel se financent grâce à une multitude d’activités illicites.

Si de multiples rapports et études ont documenté ce phénomène, les analyses sur les ressorts de la violence à l’œuvre dans cette région ne prennent pas assez en compte ce phénomène, estime Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute et professeur à l’université Gaston-Berger de Saint-Louis au Sénégal.

Le chercheur, qui plaide pour que cette donnée soit mieux prise en compte dans les tentatives de compréhension des enjeux sécuritaires, et donc dans les politiques mises en œuvre pour y faire face, insiste également sur la nécessité de « renforcer les facteurs de résilience » qui permettent aux communautés de résister à l’extrémisme violent.

Quant à la main tendue par Bamako aux jihadistes, Bakary Sambe juge que, si le président Ibrahim Boubacar Keïta a annoncé tenter d’ouvrir de dialoguer avec Iyad Ag Ghaly et Amadou Koufa, c’était « une initiative par dépit » face à l’échec des solutions militaires.

Surtout, le chercheur doute que ce changement de stratégie puisse effectivement porter ses fruits, estimant même qu’elle risque d’être  » contre-productive ». Selon lui, ce dialogue pourrait couper les chefs jihadistes locaux de leurs bases et donner plus de poids aux groupes étrangers, tels que l’État islamique au grand Sahara (EIGS).

Jeune Afrique : Pourquoi estimez-vous qu’il existe un écart entre la perception qu’à la communauté internationale du conflit dans le Sahel et la réalité du terrain ?

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Bakary Sambe : La terminologie « lutte contre le jihadisme dans le Sahel » elle-même pose problème. Les populations locales les appellent des bandits, des voyous, des agresseurs… Pour moi, nous sommes passés à une ère du post-jihadisme, un mix entre le jihadisme idéologique qui prévalait à l’époque d’Oussama Ben Laden, et le narcotrafic, le trafic d’armes et le grand banditisme. Cela se combine avec des heurts intercommunautaires, qui sont instrumentalisés par ces groupes.

La communauté internationale a une perception du conflit qui a une quarantaine d’années de retard. Et elle a, en outre, une responsabilité dans la situation actuelle : dans les années 1980-1990, on a imposé les programmes d’ajustement structurels à nos États, on a imposé de faire le moins d’État et d’investir le moins possible dans l’éducation, la santé et de libéraliser les entreprises publiques. Il y a également un manque de coordination entre les différentes stratégies au Sahel.

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Cette multiplicité des stratégies et des acteurs ne reflètent-elle pas, également, la complexité du terrain, entre groupes jihadistes, groupes armés, milices d’auto-défense

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