Au Nigeria, Tiger Brands échoue sur Dangote Flour

L’acquisition du leader de la farine devait consacrer l’offensive du géant sud-africain sur le continent. Un an et demi plus tard, c’est la bérézina.

Dangote Flour Mills a été acquis par Tiger Brands en octobre 2012. © Akintunde Akinleye/Reuters

Dangote Flour Mills a été acquis par Tiger Brands en octobre 2012. © Akintunde Akinleye/Reuters

ProfilAuteur_FredMaury

Publié le 3 juin 2014 Lecture : 4 minutes.

Certains diraient qu’il avait tout pour plaire. Jeune, sud-africain et noir, look de cadre financier, CV irréprochable… Pourtant, quelques mois au Nigeria ont mis Thabi Segoale à terre. Le 4 mars, celui que le quotidien sud-africain Business Day avait sacré « meilleur talent de Tiger Brands » deux ans plus tôt a quitté la direction de Dangote Flour Mills (DFM), filiale du groupe agroalimentaire sud-africain acquise en octobre 2012. Deux mois plus tard, Tiger Brands annonçait faire une croix sur la moitié de son investissement dans DFM, soit 849 millions de rands (environ 60 millions d’euros).

Déceptions

la suite après cette publicité

Depuis la reprise de 63 % du numéro deux nigérian de la farine, le groupe coté à Johannesburg subit déception sur déception. En novembre 2013, DFM plombait les résultats annuels du groupe avec une perte opérationnelle de 389 millions de rands. Six mois plus tard, les profits semestriels plongeaient de 57 % à cause de la filiale nigériane.

JA2785p113 info

Pendant les cinq années précédant sa nomination nigériane, Thabi Segoale avait pourtant transformé l’activité grains sud-africaine de Tiger Brands en une cash machine. Mais avec DFM, il est tombé sur un os. « Nous anticipions des pertes, mais pas de cette ampleur », concédait il y a quelques mois Peter Matlare, le directeur général du groupe. Le 21 mai, devant les analystes, il a tenté de faire diversion, rappelant que 75 % du chiffre d’affaires et 91 % de la marge opérationnelle étaient réalisés « à la maison ». Soulignant aussi un résultat opérationnel en hausse de 9 % sur les six derniers mois, porté par les très bons résultats à l’export.

>>>>> Lire aussi : Le sud-africain Tiger Brands sort ses griffes

la suite après cette publicité

Mais la communauté financière n’a retenu que l’échec de DFM. L’acquisition du nigérian auprès du groupe Dangote n’est pas la première manoeuvre de Tiger Brands en Afrique. Le sud-africain s’est déjà offert Chococam au Cameroun, Haco au Kenya, EATBI en Éthiopie et même Deli Foods, ainsi que 49 % de UAC Foods au Nigeria. Mais cette opération est de loin la plus importante.

Surcapacité

la suite après cette publicité

À l’époque, DFM et ses 170 millions d’euros de revenus (en 2013) constituaient pour Tiger Brands un moyen de s’imposer sur l’un des marchés les plus prometteurs du continent. Pourtant, les signaux négatifs étaient déjà là. En 2010, les profits de DFM avaient chuté de 51 %.

Après un an et demi de difficultés, Tiger Brands estime encore possible d’améliorer la situation.

« L’entreprise est à court d’argent. Elle s’appuie sur sa maison mère [le groupe Dangote alors] et tire parti de sa chaîne d’approvisionnement pour masquer l’ampleur de ses problèmes », jugeaient les analystes de Thaddeus un an avant le rachat de l’entreprise.

Depuis, la situation a empiré. « Le secteur nigérian de la meunerie est en très nette surcapacité, expliquent les équipes du courtier African Alliance. La capacité a augmenté de 25 % depuis 2010. » Résultat : DFM n’utilise que 30 % environ de son outil industriel et ne peut pas répercuter auprès du consommateur la hausse des cours du blé, qui sont 60 % plus élevés aujourd’hui qu’en janvier 2010.

Et ce n’est pas tout. Tiger Brands affirme avoir mis un terme à la politique généreuse de crédits accordés auparavant par DFM. Demandant à ses clients de payer comptant. Mais la mauvaise volonté de certains a entraîné des pertes importantes. « DFM a aussi eu des problèmes liés à la qualité de ses achats, notamment celle du blé, précise Julien Véron, analyste chez Investec. Après le changement d’actionnaire, DFM a souffert de son affiliation à l’Afrique du Sud. Aliko Dangote est intervenu lui-même pour rectifier le tir. »

Malheurs nigérians

Pour les Sud-Africains, il y a deux faces de l’histoire de l’aventure nigériane. Celle de MTN d’une part, dont les opérations dans le pays ouest-africain sont passées en première position (devant l’Afrique du Sud). Celle de Telkom d’autre part et, maintenant, de Tiger Brands.

Voulant suivre les pas de MTN, l’opérateur télécoms public s’offre entre 2007 et 2009 la totalité du capital de Multi-Links pour environ 410 millions de dollars (300 millions d’euros). Mauvaise technologie, problème de leadership, Telkom fait une croix sur son investissement et le cède à bon prix à Helios Towers, gestionnaire de tours qui avait déclenché une procédure judiciaire contre Multi-Links…

Quelles solutions ?

Après un an et demi de difficultés, Tiger Brands estime encore possible d’améliorer la situation. Toutefois, il étudie toutes les possibilités : une fusion avec un autre acteur ou la cession. S’il admet avoir pris une très mauvaise décision en augmentant ses prix mi-2013, DFM soutient que, depuis décembre et le réajustement des prix, les volumes sont repartis en hausse de 31 %. La filiale de fabrication de sacs Dangote Agro Sacks a été cédée fin 2013 pour 497 millions de rands, réduisant un peu la vertigineuse dette de DFM (environ 1,6 milliard de rands).

Tiger Brands entend proposer des produits à plus forte valeur ajoutée. « Le grand pari est de lancer des boulangeries industrielles qui, comme les pâtes alimentaires, augmenteront le taux d’utilisation et donc l’absorption des coûts fixes, révèle Julien Véron. Les marges d’exploitation dégagées par leurs boulangeries en Afrique du Sud sont de l’ordre de 30 %. »

Réinvestir pour relancer la machine ? Tiger Brands annonce croire toujours au Nigeria et à l’Afrique. Les marchés financiers, eux, attendent les premiers bénéfices. Quand ? « Je ne peux pas vraiment vous dire, a reconnu Noël Doyle, le nouveau patron des activités nigérianes. Il y aura des progrès significatifs en 2015, mais nous perdrons toujours de l’argent. Peut-être en 2017 ? »

L'éco du jour.

Chaque jour, recevez par e-mail l'essentiel de l'actualité économique.

Image

Contenus partenaires