Chakib Khelil

Expérimenté et tenace, l’inamovible ministre algérien de l’Énergie et des Mines a été élu président de l’Opep pour la seconde fois en huit ans.

Publié le 18 septembre 2007 Lecture : 5 minutes.

A compter du 1er janvier 2008, le ministre algérien de l’Énergie et des Mines assurera, pour une année, la présidence en exercice de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep). Chakib Khelil, 68 ans, ne sera guère dépaysé. Quelques mois seulement après sa nomination, en 1999, à la tête du maroquin de l’Énergie, ses pairs du Cartel le plébiscitent une première fois à la tête de la présidence tournante de l’Opep. Six ans plus tard, il est nommé vice-président de l’organisation. Ce mandat à peine achevé, Khelil est appelé une nouvelle fois, le 11 septembre 2007, à diriger les affaires d’un cartel objet de toutes les attentions, fébrilité des cours pétroliers oblige.
Par définition, une présidence tournante obéit à des critères de rotation. L’Opep regroupant douze pays, la logique voudrait que cette fonction échoie à un État membre tous les douze ans. Pourquoi Khelil en a-t-il hérité à deux reprises en huit ans ? Dans les coulisses du siège viennois de l’Opep, on laisse entendre que l’Algérien doit ce privilège à sa grande maîtrise des dossiers. Parfait polyglotte, ayant travaillé aussi bien pour les multinationales (notamment Shell et Philips) que pour le multilatéral (au sein de la Banque mondiale de 1980 à 1999), Chakib Khelil a été amené, tout au long de sa carrière, à exercer ses talents sur les cinq continents, d’Alger à Houston et de Washington à Bogotá, avec pour seul centre d’intérêt le secteur pétrolier.
Chakib Khelil voit le jour le 8 août 1939 à Oujda, au Maroc. Au lycée, il a pour camarade de classe un certain Abdelaziz Bouteflika. Ce dernier abandonne les études pour participer à la guerre de libération. Khelil poursuit son cursus. Au lendemain de l’indépendance, en 1962, il obtient une bourse d’études qui lui permet de rejoindre l’Université du Texas, à Austin, dont il sort, en 1968, un doctorat en engineering pétrolier en poche. Il travaille avec quelques groupes pétroliers américains après un passage par le bureau d’études Mc Cord, à Dallas. En 1970, il retourne en Algérie et prend, une année plus tard, la direction du département Gisement à Sonatrach.

Technocrate, Khelil n’est pas très attiré par le monde politique, mais un premier contact avec le pouvoir intervient en 1973. Recommandé par Bouteflika, il est nommé par le président Houari Boumedienne conseiller technique pour les affaires pétrolières, puis se voit confier la direction du groupe Valhyd (Valorisation des hydrocarbures). La disparition de Boumedienne en décembre 1978 et l’avènement de Chadli Bendjedid provoquent des changements à la tête du secteur des hydrocarbures. Peu à l’aise avec la nouvelle équipe, Khelil décide de rejoindre la Banque mondiale en 1980 et prend en charge une série de projets pétroliers en Afrique, en Amérique latine et en Asie. Il y achèvera sa carrière de fonctionnaire international en octobre 1999 en prenant sa retraite anticipée, avec le rang de conseiller de haut niveau.
Abdelaziz Bouteflika brigue cette année-là la magistrature suprême. Il confie à son ancien condisciple la charge de rédiger son programme économique électoral. Khelil convainc le candidat Bouteflika de prendre l’initiative de libéraliser le secteur des hydrocarbures pour pouvoir financer son ambitieux programme de développement. À l’époque, l’insurrection islamiste battait son plein et le pays sortait d’un plan d’ajustement structurel socialement coûteux. Le pétrole, principale source de revenus pour l’économie, atteignait péniblement 22 dollars le baril. Khelil soumet au candidat son idée : lever le monopole de Sonatrach sur l’exploration et l’exploitation des sites pétroliers, la transformer en groupe économique en lui retirant le pouvoir d’accorder des concessions aux étrangers et créer les conditions de sa privatisation. Les détracteurs de Khelil crient au bradage de l’économie. Dans le staff de campagne de Bouteflika, des voix s’élèvent pour réclamer le départ de celui qui veut vendre les « bijoux de famille ». Bouteflika n’en a cure. Mieux : une fois élu, il fait de Khelil son inamovible « monsieur Pétrole et Gaz ».

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La collaboration entre les deux hommes ne sera pas de tout repos, mais le ministre survit à toutes les tempêtes politiques qui ont régulièrement menacé sa présence dans le gouvernement. En introduisant de la transparence dans la gestion – les comptes de Sonatrach sont désormais disponibles sur Internet, alors qu’ils relevaient, il n’y a pas si longtemps, du secret d’État -, Khelil se fait beaucoup d’ennemis parmi les rentiers du système : des fondés de pouvoir de comptes offshore de Sonatrach domiciliés dans les paradis fiscaux et tous ceux qui parvenaient à écouler de mystérieuses cargaisons de pétrole algérien sur le marché spot de Rotterdam. Autant de personnes qui se liguent contre le ministre, lequel persiste et signe, assurant que libéralisme et nationalisme ne sont pas antinomiques. L’hostilité d’une partie de la classe politique n’empêchera pas l’adoption de son nouveau code des hydrocarbures, mais le président Bouteflika ne signera jamais les décrets d’application, gelant le nouveau texte de loi avant de l’abroger. Pis : la nouvelle donne du marché international permet au gouvernement d’introduire de nouvelles taxes sur les superprofits réalisés par les groupes pétroliers étrangers opérant en Algérie. Et c’est Khelil, ironie du sort, qui est chargé de convaincre les partenaires étrangers du bien-fondé de la démarche. « C’en est fini pour lui, pensent ses détracteurs en se frottant les mains. Après le camouflet du retrait de sa loi, voici le discrédit dans les milieux pétroliers de la planète. » Mais Khelil gagne son pari et parvient, avec beaucoup de doigté, à faire baisser de plusieurs crans la tension avec les opérateurs étrangers.

Le ministre surmonte d’autres épreuves, telle l’affaire Brown Roots & Condor (BRC), nom d’une société mixte entre Sonatrach et le groupe américain Halliburton. Un scandale mêlant délit d’initié, surfacturation et intelligence économique. Comment Khelil a-t-il réussi à désamorcer un dossier aussi explosif ? L’expérience de ses quarante ans de carrière y est sans doute pour beaucoup. Un savoir-faire qu’il mettra aussi à profit pour traiter les dossiers qui encombrent le bureau de son nouveau siège, au Val d’Hydra : Medgaz, le contentieux avec la commission espagnole de l’Énergie, la création d’un cartel du gaz, le partenariat stratégique avec le russe Gazprom et avec le norvégien Statoil, ou encore le gazoduc Lagos-Alger. Mais si vous lui demandez quel est le projet qui lui tient le plus à cur, il répond sans hésiter : « rendre efficiente la commission africaine pour l’Énergie ».

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