Critiquées, les agences de développement montent au créneau

Mises en question parce qu’elles soutiennent des projets haut de gamme, les institutions de financement du secteur privé défendent leur stratégie. Ou la revoient…

Le projet Garden City, à Nairobi, abritera le plus grand centre commercial d’Afrique de l’Est. © Garden City

Le projet Garden City, à Nairobi, abritera le plus grand centre commercial d’Afrique de l’Est. © Garden City

Publié le 29 mai 2014 Lecture : 4 minutes.

Une fois encore, les agences d’aide au développement européennes sont sous le feu des critiques. Une campagne lancée par l’ONG altermondialiste World Development Movement (WDM), relayée par le quotidien britannique marqué à gauche The Guardian, dénonce ce qu’elle considère comme les excès de la politique d’investissement de CDC, l’agence de développement britannique consacrée aux investissements dans le secteur privé. « Des millions de livres de l’aide britannique destinés à lutter contre la pauvreté à l’étranger ont été investis dans des projets haut de gamme », assène le journal.

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CDC

Au Kenya, CDC a misé 25 millions de dollars (18,2 millions d’euros) sur Garden City, à Nairobi. Ce projet immobilier abritera des centaines d’appartements haut de gamme, un hôtel d’affaires et le plus grand centre commercial d’Afrique de l’Est. À Maurice, un investissement a été réalisé via le britannique Actis chez un promoteur dont le portefeuille comporte entre autres un village de luxe proposant des villas en bord de mer à plus de 500 000 dollars l’unité.

« Si vous vivez dans un bidonville à Nairobi, voir de l’aide au développement investie dans des complexes hôteliers de luxe est une insulte ». Nick Dearden, le directeur de WDM

CDC n’est pas le seul à financer ce type de projets. Ainsi, la Société financière internationale (IFC) est le co-investisseur de CDC dans Garden City.

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En Égypte, la filiale de la Banque mondiale a aussi annoncé en 2013 qu’elle allait investir 185 millions de dollars dans Mall of Arabia, le plus grand centre commercial du pays.

Quant au français Proparco, il a financé des Club Med au Maroc, en Égypte et à Maurice, ainsi que la chaîne d’hôtels de luxe Serena, active notamment en Afrique de l’Est, via Akfed, le Fonds Aga Khan pour le développement économique.

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Contresens

À première vue, ces investissements semblent en décalage avec le combat contre la pauvreté censé caractériser l’action de ces institutions. Pour reprendre la formule choc de Nick Dearden, le directeur de WDM, « si vous vivez dans un bidonville à Nairobi, voir de l’aide au développement investie dans des complexes hôteliers de luxe est une insulte ».

« Contresens ! » rétorque Laurent Demey, cofondateur d’Amethis Finance, un investisseur spécialisé sur l’Afrique, fin connaisseur des agences de développement pour avoir codirigé Proparco pendant de nombreuses années. « Tout d’abord il ne s’agit pas d’aide au développement. Il s’agit d’investissements de nature privée soutenant des projets rentables. Au nom de quoi investir dans un hôtel cinq étoiles ne contribuerait-il pas à lutter contre la pauvreté ? Plus vous montez en gamme, plus il y a d’employés par client. Sans oublier les filières de formation mises en place par l’industrie touristique de luxe. »

« Plus vous montez en gamme, plus il y a d’employés par client ».
Laurent Demey, d’Amethis Finance

Pour de nombreux pays africains, le tourisme haut de gamme constitue une ressource primordiale en raison de sa contribution en devises et en revenus fiscaux aux budgets des États.

Quant aux centres commerciaux, un porte-parole de CDC explique : « Le secteur de la construction a été jugé prioritaire, car il crée de nombreux emplois peu ou moyennement qualifiés, ouverts aux plus pauvres. CDC a investi dans ce projet parce qu’il donne aux travailleurs locaux la possibilité de construire et de vendre des produits de qualité. Certains de ces produits sont bon marché, d’autres chers, mais ce n’est pas la question. Le luxe introduit de la confusion, car il met l’accent sur l’acheteur plutôt que sur le producteur. »

La recherche systématique de rentabilité est une préoccupation récente chez les bailleurs. À la Banque mondiale, c’est Paul Wolfowitz, président de l’institution entre 2005 et 2007, qui a placé la question du profit au nombre des priorités.

Suivant cet exemple, les autres agences de développement qui, pour la plupart, lèvent leurs ressources sur les marchés à des conditions commerciales et non pas auprès du contribuable, ont également inscrit l’obligation de rentabilité dans leur politique d’investissement. Ainsi, en 2012, Proparco a dégagé 39,3 millions d’euros et CDC 223 millions de livres (272,5 millions d’euros) de bénéfices.

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Selon ce nouveau schéma, l’aide publique au développement se focalise notamment sur les dons aux infrastructures – routes, écoles, hôpitaux -, tandis que les activités de prêt ou de prise de participation capitalistique sont orientées vers les entreprises privées. « Dans le même temps, ces agences sont de plus en plus exposées en termes d’image et doivent consacrer un temps extraordinaire à expliquer qu’elles ne dépensent pas l’argent public et qu’elles réinvestissent leurs profits dans d’autres projets de développement, explique un expert. À l’inverse, on imagine la satisfaction du public s’il apprenait que ses impôts servent à renflouer des institutions d’aide au développement déficitaires. »

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Face aux critiques qui leur sont adressées, nombre de ces agences de développement ont modifié leur stratégie. Déjà secoué par une autre polémique en 2012, CDC a arrêté d’investir dans les pays considérés comme « émergés » – la Russie ou la Chine – pour se concentrer quasi exclusivement sur l’Afrique et l’Asie du Sud (des régions censées nécessiter plus d’aide).

Ultime argument, ces organismes martèlent qu’ils prennent des risques en investissant directement dans des entreprises de plus petite taille, quitte à gagner moins d’argent. Ainsi, Proparco a lancé Fisea, un fonds doté de 250 millions d’euros qui se spécialise dans des opérations plus petites et plus risquées en Afrique. Une façon de retrouver leur vocation première : prendre des risques pour prouver aux investisseurs privés qu’il est possible de gagner de l’argent dans les pays pauvres. Et puis, un jour, laisser définitivement la place.

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