Développement de l’économie numérique en Afrique : fondements, défis et perspectives

L’Afrique est le dernier « océan bleu numérique » du monde, c’est-à-dire un de ces grands espaces dynamiques encore dans une phase d’émergence. Dans ce contexte, les pays et les grandes entreprises du monde entier rivalisent pour développer l’infrastructure numérique sur le continent.

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L’épidémie de Covid a profondément modifié le modèle de croissance économique mondiale. Depuis le début de l’épidémie, les pays africains ont progressivement pris conscience du rôle clé de l’économie numérique sur leur avenir. Pour relever les défis de développement, l’Afrique accélère les ajustements politiques concernant l’économie numérique. Nous proposons ici un aperçu sommaire.

Les fondements du développement de l’économie numérique de l’Afrique

L’économie numérique se développe rapidement non seulement en Europe, aux États-Unis, en Asie de l’Est et ailleurs, mais s’étend également à la vaste région africaine. L’Internet mobile est progressivement devenu populaire en Afrique et de nombreuses formes de l’économie numérique ont été acceptés par les gouvernements et les populations locales.

Le 11 novembre 2020, la Société financière internationale (SFI) et Google ont publié conjointement le rapport « E-Conomy Africa 2020 » en soulignant qu’au niveau macro, l’économie Internet de l’Afrique atteindra 5,2 % du PIB du continent d’ici 2025, contribuant ainsi à près de 180 milliards de US dollars à l’économie africaine.

D’un point de vue général, la technologie financière, le commerce électronique, la technologie de la santé, les médias et le divertissement, les applications de téléphonie mobile et la logistique B2B sont les domaines les plus importants qui favorisent le développement rapide de l’économie Internet de l’Afrique. La rentabilité des sociétés informatiques sur le continent africain a aussi souvent dépassé celle des autres secteurs au cours des dernières années.

 © Plus de 170 délégués africains participent à la Conférence mondiale de développement des télécommunications en juin 2022 (People.cn)

© Plus de 170 délégués africains participent à la Conférence mondiale de développement des télécommunications en juin 2022 (People.cn)

  1. Les technologies de l’information et de la communication se développent rapidement en Afrique

Selon l’Union internationale des télécommunications (UIT), la couverture de téléphonie mobile (la proportion de la population vivant à portée d’un signal de téléphonie mobile) en Afrique est de 88,4 %, ce qui est légèrement supérieur à la proportion de la population actuellement à portée d’un signal de téléphonie mobile 3G (77 %). L’accès à Internet et les taux d’utilisation dans les pays africains augmentent également. La proportion d’individus utilisant Internet est passée de 24,8 % en 2017 à 28,6 % fin 2020, et le nombre de ménages ayant accès à Internet est passé de 14,2 % en 2017 à 14,3 % fin 2020, soit une légère augmentation de 0,1 %.

L’UIT a estimé que de 2020 à 2021, 14,3 % des foyers africains avaient accès à Internet, contre 57,4 % au niveau mondial. Les données de l’UIT montrent également que la proportion d’utilisation d’Internet en Afrique supérieure à la moyenne mondiale de 51,4 % sont principalement représentée par quatre pays : Maurice, Cap-Vert, Seychelles et Afrique du Sud, tandis que dans la plupart des pays africains, la part de l’Internet personnel est inférieure à 30 %.

En Afrique, la construction d’infrastructures de télécommunications, notamment des centres de données et de câbles optiques, est devenue un point chaud pour les investisseurs. Selon les statistiques de l’UIT, en profitant de la baisse des prix concernant la téléphonie et les données mobiles, les services de télécommunications et de technologies de l’information sont devenus de plus en plus abordables en Afrique.

Par exemple, Maurice et le Gabon proposent les forfaits haut débit mobile les plus attirants, avec des prix inférieurs à la moyenne internationale. Quant aux pays tels que Seychelles, le Nigeria et le Botswana, le prix des forfaits haut débit mobile représente 2 à 3 % du revenu national brut (RNB) par habitant, ce qui indique que ces trois pays sont susceptibles d’atteindre la norme moyenne mondiale d’ici 2023.

 © En novembre 2015, Africa Com 2015 s’est tenu en Afrique du Sud et la société chinoise Huawei y a participé (People.cn)

© En novembre 2015, Africa Com 2015 s’est tenu en Afrique du Sud et la société chinoise Huawei y a participé (People.cn)

  1. Le nombre d’utilisateurs du haut débit fixe et mobile augmente progressivement en Afrique

Au cours des dernières années, les marchés du haut débit fixe et mobile dans les pays africains ont affiché une dynamique de croissance. Au 31 août 2022, 54 pays d’Afrique ont rejoint l’UIT. Le nombre d’abonnements de téléphonie mobile a augmenté dans la plupart des pays africains pendant la pandémie. Mais il faut constater que de 2020 à 2021, le nombre d’utilisateurs actifs du haut débit mobile pour 100 habitants en Afrique est de 33,1, encore loin derrière la moyenne mondiale de 75.

Les proportions d’abonnements au haut débit fixe en Afrique sont les plus faibles par rapport aux autres régions dans le monde, en raison du manque d’infrastructures traditionnelles, ainsi que le coût relativement faible du déploiement de l’infrastructure haut débit sans fil. Selon les estimations de l’UIT, la proportion d’utilisateurs du haut débit fixe en Afrique de 2020 à 2021 est de 0,5 pour 100 habitants, ce qui est bien inférieur à la moyenne mondiale de 15,2. Toutefois, le nombre d’abonnements au haut débit fixe pour 100 habitants a augmenté dans la plupart des pays africains. Parmi eux, Maurice et les Seychelles ont les données les plus élevées : le nombre d’utilisateurs du haut débit fixe pour 100 habitants est bien supérieur à la moyenne mondiale, atteignant respectivement 21,7 et 20,3.

Au niveau national, la bande passante internationale par utilisateur d’Internet augmente dans presque tous les pays africains. Parmi eux, le Kenya possède la bande passante internationale par habitant la plus élevée, avec un débit de 566,41 kilobits, tandis que son taux de croissance annuel composé est de 52 % de 2015 à 2019. Environ un tiers des pays africains possède un taux de croissance de la bande passante internationale entre 20 % et 40 %, tandis qu’une poignée de pays, dont le Soudan du Sud, l’Éthiopie, le Niger, le Sénégal, le Swaziland, l’Afrique du Sud, le Gabon, la Sierra Leone, la Gambie et le Cap-Vert, n’ont connu qu’une croissance modeste inférieur à 10 %, voire aucune croissance.

  1. L’épidémie a accéléré la transformation numérique de l’Afrique

Si l’épidémie a eu un impact négatif sur la croissance économique de l’Afrique, elle a pourtant offert des opportunités historiques pour accélérer la transformation numérique de certains pays africains. Pendant le Covid, l’éducation en ligne, le travail à distance et les réseaux sociaux cloud, ont joué un rôle important.

D’une part, l’épidémie a stimulé la volonté de transformation numérique des gouvernements et des entreprises locales, créant directement de nombreux nouveaux besoins. D’un autre côté, le Covid a accéléré non seulement la construction de l’infrastructure numérique de l’Afrique, mais a également favorisé l’amélioration et la promotion sur le marché de nouveaux outils numériques. Dans l’ensemble, l’épidémie en tant qu’élément extérieur bouleversant, a renforcé la détermination et la volonté des gouvernements africains d’accélérer la transformation numérique.

Le Covid a accru la grande résilience de certaines entreprises africaines dotées d’une bonne base numérique. Certaines entreprises africaines ont profité de leurs avantages numériques pour construire des plates-formes favorisant la connexion en temps réel des ressources industrielles et la mise en correspondance des acteurs, bénéficiant ainsi à un grand nombre de petites et moyennes entreprises qui y ont accès. Selon les statistiques, un total de 564 startups en Afrique a levé plus de 2 milliards de US dollars en 2021. Le nombre de startups a triplé par rapport à 2020 avec un taux d’augmentation de 42,1 %. Parmi eux, le Nigeria, l’Égypte, l’Afrique du Sud et le Kenya représentent la part la plus importante du nombre de nouvelles startups.

Avant l’apparition du Covid, certains experts estimaient que l’application de la 5G était trop précoce en Afrique subsaharienne. L’hypothèse était que l’investissement dans l’infrastructure 5G précéderait la demande des clients. Cependant, l’épidémie a entraîné une augmentation de la demande Internet, dans la mesure où les gens se sont tournés vers le travail à domicile et ont exigé davantage de ressources de divertissement et d’éducation en ligne. Par exemple, pendant le confinement en Afrique du Sud, la société de communications mobiles Vodacom a constaté une augmentation de 40 % du trafic sur son réseau mobile et de 250 % sur son réseau fixe. La perception selon laquelle la 5G n’a pas encore pris forme en Afrique évolue donc lentement. Vodacom et MTN ont alors lancé les réseaux 5G plus tôt que prévu en 2020. Le même genre d’essais a été suivi au Gabon, au Kenya, au Nigeria et en Ouganda. Bien que la 5G soit encore à ses débuts de développement en Afrique, elle commence à apparaître sur le continent.

 © En novembre 2015, Africa Com 2015 s’est tenu en Afrique du Sud (People.cn)

© En novembre 2015, Africa Com 2015 s’est tenu en Afrique du Sud (People.cn)

Les défis du développement économique numérique de l’Afrique

L’économie numérique de l’Afrique a progressé depuis l’épidémie, mais les obstacles inhérents au développement du continent, tels que la faiblesse des infrastructures, l’insuffisance des fonds, le manque de technologie et la pénurie de talents, ne peuvent être ignorés. Le retard du processus de numérisation sont des faits incontestables auxquels sont confrontés la plupart des pays africains.

  1. Les difficultés domestiques

Premièrement, le déficit d’infrastructure numérique demeure. Les obstacles structurels à l’infrastructure numérique en Afrique varient considérablement selon la taille et la densité de la population, le niveau d’urbanisation, l’accès aux ressources numériques et l’environnement géographique.

Par exemple, les pays africains qui n’ont pas d’accès direct à la mer connaissent des coûts de transport international plus élevés. De nombreux pays africains ont une population à dominante rurale, ce qui rend difficile le déploiement d’infrastructures de communications numériques terrestres. Les taux d’utilisation des technologies informatique varient aussi considérablement selon les économies de la région africaine. Ce taux atteint plus de 60 % dans les économies les plus développées, tandis que celui dans les économies les moins avancées est inférieur à 10 %.

Deuxièmement, les coûts des paiements financiers numériques sont relativement élevés. L’Afrique a toujours été considérée comme la région où le coût des paiements financiers numériques est le plus élevé au monde, en raison d’une faible intégration économique, de violentes fluctuations des taux de change, de goulets d’étranglement dans la chaîne d’approvisionnement, des fluctuations des prix de l’énergie et des pressions inflationnistes, ainsi que l’inefficacité des systèmes de paiement.

Troisièmement, il existe une pénurie de talents dotés de compétences numériques. Actuellement, seule une petite proportion de la population des pays africains possède d’excellentes connaissances numériques et compétences professionnelles. Afin de résoudre le dilemme de l’insuffisance des talents numériques, certains pays africains recherchent l’aide du marché international. De nombreux emplois sont sous-traités à d’autres pays, et certains postes locaux hautement qualifiés doivent embaucher des étrangers. Pour briser le « goulot d’étranglement des talents », les pays africains doivent investir beaucoup dans les mains d’œuvre, les canaux financiers et les ressources matérielles, alors que le délai restera relativement long.

  1. Les obstacles internationaux

Au niveau international, les exigences différentes des principaux pays en matière de coopération internationale dans le domaine numérique avec l’Afrique, ainsi que la concurrence féroce pour la souveraineté numérique, ont également eu un impact important sur le développement de l’économie numérique de l’Afrique.

Par exemple, la Chine et les États-Unis sont des acteurs à la fois importants et influents en matière de développement numérique de l’Afrique, tandis que la volonté et l’attitude des pays africains à coopérer changent souvent avec l’ajustement de la géopolitique et des relations des grandes puissances avec l’Afrique, ce qui rend difficile les coopérations durables.

Ces dernières années, les entreprises américaines ont fréquemment investi dans des sociétés africaines de technologie financière. Dans le même temps, la Chine a aussi proposé de mettre en œuvre 10 projets d’économie numérique pour l’Afrique. À l’heure actuelle, la Chine détient une part importante du marché des smartphones en Afrique, et les applications numériques développées ou investies par des entreprises financées par la Chine sont de plus en plus utilisées sur le continent.

En outre, la concurrence pour les règles internationales de « souveraineté numérique » devient de plus en plus féroce, et les pays africains y participent passivement. Les règles et normes d’utilisation des données, qui dictent non seulement le fonctionnement de l’infrastructure Internet, mais aussi la manière dont le contenu numérique est exploité et dont les appareils mobiles communiquent, sont tout aussi importantes.

En 2020, la Commission européenne a publié une stratégie numérique qui combine protectionnisme et promotion des normes en s’en servant comme point de départ pour se positionner en tant que leader mondial de la future économie numérique. Les États-Unis sont un allié potentiel de l’Union européenne dans l’établissement de règles internationales de « souveraineté numérique ». Au cours de sa campagne, le président américain Biden a déclaré qu’il bâtirait une alliance plus étroite avec des « alliés démocrates » pour empêcher que les règles de l’ère numérique soient écrites par la Chine et la Russie. Après l’élection de Biden, l’UE a proposé la création d’un « Conseil commercial et technologique UE-États-Unis » (EU-US Trade and Technology Council) pour faire face à l’essor de la Chine dans le domaine numérique.

Les perspectives de développement de l’économie numérique en Afrique

Dans le contexte du conflit russo-ukrainien, de la guerre commerciale mondiale et de la concurrence dans l’économie numérique, les pays africains doivent reconnaître les opportunités et les défis auxquels ils sont confrontés. Il est prévisible que le redressement et le développement de l’Afrique dans « l’ère post-épidémique » seront encore plus indissociables d’Internet. Il est particulièrement important de comprendre avec précision la situation spécifique et les tendances de développement de l’économie numérique de l’Afrique.

D’un point de vue mondial, la communauté internationale est optimiste quant au potentiel de développement économique numérique de l’Afrique. Du 6 au 16 juin 2022, la Conférence mondiale de développement des télécommunications (CMDT) s’est tenue pour la première fois au Rwanda, un pays africain. La conférence a appelé la communauté internationale à renforcer la coordination et à travailler ensemble pour réduire la fracture numérique mondiale. Le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, a indiqué dans un discours vidéo que les peuples africains ont rencontré certains revers dans le développement durable, tandis que la technologie numérique aura un grand potentiel pour aider à surmonter ces défis. Le président Kagame du Rwanda a déclaré que façonner l’économie numérique et garantir que personne ne soit laissé de côté nécessitent un effort international concerté pour fournir des formations aux compétences numériques aux peuples vulnérables.

Au niveau continental, le processus d’intégration régionale de l’Afrique s’accélère et l’Union africaine a proposé une stratégie de transformation numérique : la « Stratégie de transformation numérique de l’Afrique (2020-2030) ». L’Union africaine prévoit d’établir un marché unique numérique sécurisé d’ici 2030 pour garantir la libre circulation des personnes, des services, des capitaux, permettant aux individus et entreprises de participer à la transformation numérique du continent. Le projet de système de câble africain actuellement en construction est l’un des projets majeurs de cette stratégie. Le câble sous-marin à haut débit de 23 000 milles encerclera l’ensemble du continent africain et doublera la capacité Internet du continent lorsqu’il sera achevé en 2024. La modernisation de l’Internet sur le continent africain s’accélère également : d’ici 2025, environ 65 % des Africains devraient avoir accès à l’Internet mobile. On estime que d’ici 2025, la valeur du marché des centres de données en Afrique devrait atteindre 3 milliards de dollars.

Au niveau national, les gouvernements africains attachent une grande importance à l’économie numérique. Le ministère sud-africain des communications et des technologies numériques a publié un projet de politique nationale en matière de données et de cloud en 2021, incluant l’économie numérique dans son plan de développement prioritaire. En juin 2021, le gouvernement nigérian a annoncé la création du Centre national des technologies émergentes, du Centre national d’innovation numérique et d’entrepreneuriat, ainsi que l’établissement du Centre d’intelligence artificielle et de robotique. Début 2022, le pays a publié le « Plan national pour l’économie numérique 5G ».

Le gouvernement éthiopien a annoncé une nouvelle politique donnant la priorité au développement de l’économie numérique, en introduisant un certain nombre de nouvelles lois et réglementations. Du 31 mai au 2 juin 2022, le gouvernement algérien a organisé le « Sommet Afrique numérique : Algérie 2.0 », réunissant plus de 1 200 professionnels du secteur et plus de 100 représentants venus de plus de 20 pays d’Afrique et d’autres régions du monde. Actuellement, certains pays africains ont saisi l’opportunité de la numérisation, d’une part en explorant l’adoption de monnaies numériques par les banques centrales, et d’autre part en proposant des alternatives aux crypto-monnaies privées.

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