Interview

Thierry Zomahoun : « Les jeunes africains veulent être à la fois scientifique et entrepreneur »

PDG du réseau d’Instituts africains des sciences mathématiques (AIMS), qui organise tous les deux ans le Next Einstein Forum, le béninois Thierry Zomahoun revient sur la vitrine du savoir panafricain que représente ce rendez-vous bisannuel et les projets qu’il a permis de mettre en place.

Par - à Rwanda
Mis à jour le 10 août 2018
Thierry Zomahoun au Next Einstein Forum de Kigali, le 28 mars 2018 © Gabriel Dusabe/2018

Gabriel Dusabe/2018

PDG du réseau d’Instituts africains des sciences mathématiques (AIMS), qui organise tous les deux ans le Next Einstein Forum, le béninois Thierry Zomahoun revient sur la vitrine du savoir panafricain que représente ce rendez-vous bisannuel et les projets qu’il a permis de mettre en place.

L’édition 2018 du Next Einstein Forum (NEF), rendez-vous bisannuel de la communauté scientifique panafricaine, s’est tenue à Kigali au Rwanda, du 26 au 28 mars. En marge de l’événement, organisé par le réseau d’Instituts africains des sciences mathématiques (AIMS), Thierry Zomahoun, son PDG, a accepté de revenir pour Jeune Afrique Emploi & Formation, sur sa vision de l’enseignement des sciences sur le continent et ce qui a été accompli depuis la première édition du forum en 2016.

JA : Deux ans après la première édition du NEF, quelles avancées constatez-vous en matière de collaboration entre les scientifiques, d’accès au savoir et de visibilité des jeunes chercheurs du continent ?

Thierry Zomahoun : Les résultats sont très encourageants. Nous avons tout d’abord été surpris de constater que le NEF est une plateforme qui manquait aux jeunes scientifiques africains. Certains ne se connaissaient pas du tout alors qu’ils travaillaient dans les mêmes champs d’expertise. Après la première édition à Dakar en 2016, nous avons vu se développer très rapidement une dynamique collaborative panafricaine de chercheurs qui ont commencé à collaborer. C’était ce que nous voulions.

Un autre enjeu était la promotion de la science. C’est pourquoi 54 ambassadeurs scientifiques ont été nommés au cours de la première édition. La plupart évoluent dans les sciences dures mais pas tous. Nous voulions qu’ils puissent porter le message de l’importance des sciences et de l’innovation pour la transformation du continent africain et nous sommes satisfait du résultat.

Nous avons été surpris de constater que le NEF est une plateforme qui manquait au jeunes scientifiques africains.

Nous avons également lancé la semaine africaine dont on ne pensait pas qu’elle aurait autant de succès. Il s’agissait de faire intervenir nos 54 ambassadeurs auprès d’enfants du primaire et du secondaire pour leur parler de sciences. Elle a eu lieu dans une quinzaine de pays entre les deux éditions du NEF. Elle est parvenue à susciter un vif intérêt chez les enfants, signe qu’il faut investir la base et démystifier la science.

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En parlant des sciences dures, on voit en ce moment que la physique, la chimie ou encore les maths sont très mis en avant, dans un contexte où l’enseignement se rapproche des besoins des entreprises. Est-ce le signe de la mort des sciences sociales ?

Pas du tout. Comme le disait François Rabelais, « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Nous disons la même chose dans ce forum. La science ne fera rien toute seule. Elle ne fera que ce que l’humain décide d’en faire. S’il décide d’en faire du bien, la science fera du bien, s’il décide le contraire, elle suivra.

Comme le disait François Rabelais, « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Nous disons la même chose dans ce forum. La science ne fera rien toute seule.

Mais nous n’avons pas vu beaucoup de sociologues ni d’économistes durant ces trois jours…

Non, nous n’en avons pas beaucoup. Mais sur les panels, il n’y avait pas que des scientifiques. Nous avons vu des managers, des chefs d’entreprise et aussi des spécialistes de sciences humaines. Ils ne sont pas aussi nombreux que les scientifiques. Mais cette observation est un problème récurrent qui ne touche pas que l’Afrique. Pendant longtemps les sphères de disciplines étaient isolées les unes des autres. Prenez l’exemple des mathématiciens, ils ont très longtemps été dans leur coin, personne n’entendait parler d’eux, tout comme les laborantins ou les chefs d’entreprise. Tout le monde se regardait en chien de faïence. Aujourd’hui, même s’il y a encore quelques cloisonnement qui persistent, nous essayons de rapprocher les disciplines et de construire des passerelles. Et ce que l’on constate désormais, c’est que les jeunes physiciens du XXIème siècle ne sont plus comme ceux du XXème siècle.

Aucun des grands défis auxquels l’Afrique et le monde sont confrontés ne peuvent être résolus simplement en utilisant une seule discipline.

C’est à dire ?

Avant il y avait les professeurs de maths et de physique qui refusaient d’acheter un téléphone portable. Aujourd’hui, ces mêmes profils sont au contacts avec des activistes de la société civile, avec des entreprises. Ils sont très ouverts. Discutez avec tous les jeunes scientifiques que nous avons au sein du forum ou dans le réseau Aims, beaucoup disent vouloir devenir des scientifiques accomplis tout en étant chef d’entreprise parce qu’ils veulent se faire de l’argent. Ce n’est pas un discours qu’on entendait avec la génération des années 1960 et 1970, c’était même tabou.  Il y a donc un phénomène de construction de passerelles entre disciplines. Aucun des grands défis auxquels l’Afrique et le monde sont confrontés ne peuvent être résolus simplement en utilisant une seule discipline. Pour résoudre des problèmes sociaux nous avons besoins de physiciens, de mathématiciens, de sociologues et d’historiens.

C’est une dynamique qui prendra du temps. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons décidé pour l’édition de 2020 à Nairobi, d’attirer de grands philosophes, en plus des médailles Fields et des Nobel de physique ou de chimie. Après tout, nous voulons inspirer les jeunes.

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Comment garantir l’égalité d’accès à l’enseignement scientifique sur le continent ?

Par la construction d’écosystèmes de savoir. Dans ce genre d’écosystème, vous trouvez des universités, des pôles de recherche et développement, des pôles d’apprentissage, pôles de formation certifiantes, vous avez des investisseurs publics et privés… En fait c’est un village du savoir que les États doivent systématiquement mettre en place. Et je crois qu’ils l’ont compris : au Sénégal, vous avez la Cité du savoir, l’Innovation City ici à Kigali, vous avez la Silicon Savannah à Nairobi ou encore Sèmè City au Bénin. C’est en créant ces écosystèmes que les États africains pourront dénicher les talents scientifiques, parce que le talent ne dépend pas de l’université…

Nous allons lancer le premier master en machine learning.

Mais pour intégrer ces écosystèmes encore faut-il être informé de leur existence…

La question est de savoir comment repérer, canaliser, drainer et développer la dynamique des jeunes qui créent des choses utiles à leur communauté mais dans leur coin. Certains sont perdus dans leur village, dans leur ville, leur quartier. Or les laisser livrés à eux mêmes, c’est étouffer leur génie. La meilleure manière de développer un mouvement c’est, au niveau national, de faire comprendre à ces jeunes que quelque part dans leur pays, il y a un endroit où ils peuvent se rendre pour développer leurs idées. Dans cet écosystème, ceux qui n’ont pas de diplôme mais du génie ont l’espace pour créer expérimenter, développer et accéder aux financements.

Concernant le développement du réseau Aims, quelles sont vos perspectives pour cette année et à plus long terme ?

Nous allons lancer le premier centre de recherche en sciences et technologies quantiques sur le continent, ici au Rwanda. Nous allons lancer aussi le premier master en machine learning et nous voulons une plus grande collaboration entre Aims et les agents d’implémentation de l’Union Africaine.

Pas d’ouverture de nouveaux établissements ?

Cela fait partie de la stratégie à long termes. Mais pour le moment nous préférons développer la qualité de la formation, la qualité de la recherche et capitaliser sur les établissements existants.

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