Enquête

Finance islamique : pourquoi les formations se multiplient

Secteur méconnu de la finance mondiale il y a encore quelques années, la finance islamique connaît une forte progression sur le continent africain. Certaines écoles reconnues d’Afrique de l’Ouest et du Nord ont d’ores et déjà lancé des programmes de formation pour répondre aux nombreux enjeux de cette nouvelle industrie. Décryptage.

Par - à Panafricain
Mis à jour le 5 avril 2021
Bandar Ben Mohammed Hajjar, président de la Banque islamique de développement (BID). © Abdeljalil Bounhar/AP/SIPA/2017

Abdeljalil Bounhar/AP/SIPA/2017

Secteur méconnu de la finance mondiale il y a encore quelques années, la finance islamique connaît une forte progression sur le continent africain. Certaines écoles reconnues d’Afrique de l’Ouest et du Nord ont d’ores et déjà lancé des programmes de formation pour répondre aux nombreux enjeux de cette nouvelle industrie. Décryptage.

C’est le 21 mars 2018 que la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) décide de publier le premier texte règlementaire sur la finance islamique, jusqu’ici limitée aussi bien par l’absence de cadre juridique et fiscal que par l’insuffisance de ressources humaines dédiées.

Basée sur le respect du principe de partage des pertes et des profits, la finance islamique répond en effet à des critères stricts et conformes aux principes de la charia, la loi islamique. Cela suppose l’interdiction de l’intérêt et de la spéculation ou encore l’interdiction de financer des secteurs considérés comme illicites (jeux de hasard, alcool, armement, etc.).

Une première formation au Sénégal

Dans le sillage de cette filière en plein essor estimé par le FMI à plus de 2 000 milliards d’euros dans le monde plusieurs écoles profitent de ce nouveau filon pour ouvrir des formations diplômantes, certifiantes et qualifiantes. À l’instar de BEM Dakar au Sénégal qui a, dès novembre 2017, pris le pas de ce bouleversement de l’environnement bancaire africain en lançant son premier master spécialisé en finance islamique en partenariat avec Kedge Business School.

Pour ce faire, l’établissement s’appuie sur des clusters recherchés axés sur les enjeux sociétaux et digitaux de la finance islamique, des partenariats institutionnels multisectoriels et une équipe pédagogique de professionnels et d’enseignant-chercheurs.

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« L’objectif est de former plus que des praticiens mais des véritables développeurs de la finance islamique en Afrique de l’Ouest, assure le directeur académique de BEM, Elias Erragragui. L’association de profils internationaux et locaux au sein de notre équipe pédagogique nous permet de capitaliser sur les expériences de déploiement de cette jeune industrie à l’échelle mondiale tout en orientant les projets professionnels de nos étudiants vers les enjeux régionaux ».

Ce n’est pas seulement ouvert aux banquiers mais à toute personne qui désire acquérir des connaissances dans ce secteur. »

Depuis la mise en place d’un cadre réglementaire favorable au déploiement de la finance islamique en Afrique de l’Ouest, le Sénégal s’inscrit dans la continuité d’un élan continental incluant de nombreux pays tel que le Nigéria, le Maroc, le Togo ou encore la Côte d’Ivoire.

De la formation professionnelle à la formation initiale

En Tunisie, l’université Dauphine de Tunis propose depuis janvier 2019 un executive master en finance islamique. « Notre stratégie a été de lancer dans un premier temps en 2015 quatre blocs de formation interne réservés aux employés de la Banque Centrale de Tunisie avant de l’ouvrir aux autres banques, explique Amina Zeghal, directrice générale de Dauphine Tunis. Cette année, nous avons lancé la première promotion ouverte aux étudiants. Ce n’est pas seulement ouvert aux banquiers mais à toute personne qui désire acquérir des connaissances dans ce secteur. Inutile d’avoir un background financier, les juristes peuvent par exemple être intéressés ».

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D’autres établissements supérieurs mise sur le potentiel économique et social qu’offre cette nouvelle industrie et ouvrent des formations. À Dakar encore, le Centre africain d’études supérieures en gestion (Cesag) participe à la mise en œuvre de programmes divers en Afrique de l’Ouest sous la tutelle de la BCEAO. À Agadir au Maroc, l’École supérieur de management du Sud (ESMS) a développé un partenariat avec le centre marocain de la finance participative QUODWA installé à Marrakech.

Une tendance éphémère ?

Dans la zone anglophone, d’autres pays pourraient également sauter le pas. À l’instar du Kenya et son gouvernement qui souhaite renforcer le positionnement de Nairobi comme hub financier régional. Début juillet, la banque islamique kenyane Gulf African Bank a mis en service la première carte de crédit basée sur les principes de financement islamique. Côté formation, le Coast International Collège, situé à Mombasa, s’est quant à lui rapproché d’une université malaisienne pour offrir une formation diplômante en finance islamique.

« Il faut être mesuré. La finance islamique se développe mais reste une niche »

Ce déploiement de formations répond directement à un besoin en compétences. Par des programmes courts ou longs, chaque école tente de répondre à tous les niveaux d’expertise. « Il y a un véritable besoin de formation à destination des cadres des secteurs bancaires et financiers aussi bien que des régulateurs, observe Elias Erragragui de BEM Dakar. Nous estimons que le besoin de cadres et employés formés aux pratiques de la finance islamique s’élèvera à plus de 300 emplois par an sur ces dix prochaines années ».

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Amina Zeghal de Dauphine Tunis préfère la prudence : « Il y a clairement un manque de compétences dans cette expertise-là en Tunisie et ailleurs. C’est pourquoi nous avons décidé à la demande du secteur de concevoir des programmes qui répondent à un besoin local. Mais il faut être mesuré. Cela se développe mais reste une niche aux proportions raisonnables ».

Les formations sont plus développées au Moyen-Orient, en Malaisie, en Indonésie, à Chypre, en France et en Angleterre ».

Pourtant, près de 25 pays africains ont modifié leur législation ces dernières années pour développer peu à peu cette nouvelle industrie. De leurs côtés, les banques islamiques continuent plus que jamais leur expansion, avec plus d’une centaine d’établissements installés sur le continent.

« Les formations sont plus développées au Moyen-Orient, en Malaisie, en Indonésie, à Chypre, en France et en Angleterre, note Salifou Kouraogo, directeur général de la Banque Islamique du Niger. Mais cela se déploie progressivement en Afrique, notamment au Maroc, en Tunisie et en Afrique de l’Ouest ».

Une finance qui séduit

Face à la chute des prix des matières premières et la saturation des financements conventionnels, les instruments financiers islamiques semblent représenter une alternative de plus en plus crédible pour financer des projets de développement. « Les pays africains majoritairement musulmans sont naturellement séduits par l’arrivée d’une finance plus conforme à leurs valeurs et principes éthiques, conclut Elias Erragragui. La nécessité de responsabiliser les pratiques financières au service de l’intérêt général est un impératif de plus en plus revendiqué ».

La BID vient de conclure au début du mois de juillet un accord avec l’Académie mondiale des sciences pour financer un programme de bourses. »

Le nombre de formations issues d’écoles supérieures convaincues du haut potentiel de la finance islamique ne devrait donc pas tarder à exploser à mesure que les États africains émettront de plus en plus de Sukuk (emprunts obligataires conformes à la charia).

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Alors qu’elle dispose d’un « comité charia » qui contrôle l’origine des fonds et leur utilisation, la Banque islamique de développement (BID) vient de conclure au début du mois de juillet un accord avec l’Académie mondiale des sciences pour financer un programme de bourses à hauteur de 2,4 millions de dollars sur quatre ans. Ce financement permettra d’accorder 25 bourses doctorales en moyenne chaque année à des étudiants originaires des pays membres de la banque tels que le Cameroun, le Sénégal, le Togo, l’Algérie, le Maroc, le Burkina Faso, le Niger, le Gabon, la Tunisie, le Bénin et le Tchad.