RDC : le dispositif anticorruption de Félix Tshisekedi au banc d’essai

Rattachée à la présidence, l’Inspection générale des finances est au cœur de la stratégie de Félix Tshisekedi. A-t-elle pour autant les moyens de mener à bien sa mission ?

Félix Tshisekedi. © Présidence RDC

Félix Tshisekedi. © Présidence RDC

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Publié le 3 novembre 2020 Lecture : 5 minutes.

« Je suis professionnellement né à l’Inspection générale des finances. » Installé dans son vaste bureau de l’avenue des Armées, Jules Alingete Key, nouveau patron de l’Inspection générale des finances (IGF) – qu’il a rejointe comme simple stagiaire en 1988 –, se montre étonnamment disert en ce début de mois d’octobre.

À 57 ans, ce natif de la province du Maï-Ndombe (Ouest) s’est vu confier, le 30 juin, les rênes de cette agence rattachée à la présidence, sur laquelle compte désormais Félix Tshisekedi pour mener à bien l’une de ses promesses phares : lutter contre la corruption.

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Jusqu’alors directeur de cabinet adjoint de la ministre de l’Économie nationale, Acacia Bandubola Mbongo (issue de l’UDPS, le parti de Tshisekedi), Jules Alingete est devenu un collaborateur privilégié du chef de l’État dans un domaine stratégique pour le président et ses soutiens étrangers.

Jules Alingete, à Kinshasa, RDC, en octobre 2020. © olin Delfosse pour JA

Jules Alingete, à Kinshasa, RDC, en octobre 2020. © olin Delfosse pour JA

Le nouveau patron de l’IGF semble prendre goût à la lumière et assure vouloir impulser un changement d’attitude. Le 13 août, il a effectué sa première sortie médiatique, au cours de laquelle il s’est étendu sur les missions actuelles de l’IGF. Contrôles dans les secteurs les plus rentables pour l’État, examen des exonérations fiscales, non fiscales et douanières… Un vaste programme.

Ministres pointés du doigt

Ce changement d’attitude, dans une agence peu habituée à communiquer sur ses résultats et encore moins sur ses enquêtes, Jules Alingete l’assume.

« Ne pas communiquer n’a pas payé par le passé. Après les contrôles, nous faisions nos recommandations, ensuite, ça ne se passait qu’entre nous et la personne mise en cause, qui avait tout le loisir de jouer de ses relations pour étouffer l’affaire. Nous voulons que cela change », explique-t-il, plaidant pour ce qu’il appelle la « réprobation sociale ».

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« Nous prenons le parti de donner le nom de ceux qui sont à l’origine des malheurs qui nous arrivent. » Ainsi, en août, plusieurs ministres, dont celui de la Santé, Eteni Longondo, ont été pointés du doigt, suspectés du détournement de fonds alloués à la gestion de l’épidémie de Covid-19.

Il y a des prélèvements injustifiés dans le compte général du Trésor

Alors que le Premier ministre assurait avoir débloqué 10 millions de dollars, le chef de la lutte contre la pandémie, Jean-Jacques Muyembe, disait avoir géré moins de 1,5 million de dollars sur cette somme. Depuis, le ministre de la Santé et celui des Finances ont contesté les faits. Mais une demande d’autorisation de poursuites concernant Eteni Longondo est toujours devant le Parlement.

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L’agence aurait déjà mené d’autres enquêtes, notamment au sein de la Banque centrale du Congo (BCC), sur le projet agro-industriel de Bukanga Lonzo et sur le Go Pass, la redevance prélevée dans les aéroports, censée aider au développement de leurs infrastructures.

« Il y a des prélèvements injustifiés dans le compte général du Trésor, et un problème avec les commissions que la BCC se paie sur les bénéfices de celui-ci », précise Alingete. Au sujet de Bukanga Lonzo, il dénonce « un éléphant blanc qui a englouti plus de 280 millions de dollars » et assure que l’IGF va prochainement communiquer ses résultats.

Chasse aux sorcières ?

Beaucoup s’interrogent cependant sur l’efficacité réelle de l’IGF. Car, jusque-là, ses rapports tombés aux oubliettes sont légion et ne concernent pas seulement l’ancienne administration. En effet, le début du mandat de Félix Tshisekedi a été marqué par l’affaire dite des « 15 millions », en référence au montant en dollars qui aurait été détourné de la ligne de crédit destinée à compenser les pertes des sociétés pétrolières à la suite du gel des prix à la pompe.

Révélée par un rapport de l’IGF en juillet 2019, l’affaire a fait grand bruit et conduit à un bras de fer entre le cabinet du président, alors dirigé par Vital Kamerhe, et l’agence. Depuis, plus rien. Idem pour les audits conduits à la même période au sein de la Fédération des entreprises du Congo (FEC). Une absence de suites concrètes que nombre d’observateurs redoutent.

Entre 30 % et 40 % de nos recettes partent en fumée

Le plus dur reste donc à faire. D’autant que, dans un contexte de fortes tensions au sein de la coalition au pouvoir, cette agitation autour de l’IGF inquiète certains membres de l’ancienne administration, qui n’hésitent pas à accuser Félix Tshisekedi de mener une chasse aux sorcières et d’instrumentaliser l’agence pour régler ses comptes.

« La première mission que nous avons conduite est celle de la gestion des fonds Covid-19, et c’est un ministre appartenant à l’UDPS [Eteni Longondo] qui est impliqué. Il n’y a là rien de politique », se défend Alingete.

Depuis que l’IGF a annoncé, il y a quelques semaines, qu’elle allait enquêter sur les exonérations et compensations octroyées par l’État ces dernières années, les accusations d’instrumentalisation ont redoublé. « Entre 30 % et 40 % de nos recettes partent en fumée, explique Jules Alingete. À ce jour, nous avons recensé plus de 2 000 actes d’exonération dans le cadre du code des investissements et du code minier, au profit de régies financières, d’opérateurs économiques ou même de personnes physiques. »

Réseaux mafieux

Certaines des compensations et exonérations injustifiées pourraient concerner des personnalités et des entreprises influentes, qui se retrouveraient dans le viseur de l’IGF. « Nous avons affaire à des réseaux mafieux, très bien organisés, presque à tous les niveaux, indique Jules Alingete. Aussi avons-nous besoin de l’accompagnement institutionnel, et pourquoi pas politique, dont ce service a longtemps manqué. »

La tâche s’annonce ardue pour l’agence, qui a prévu de se pencher au début de 2021 sur le Fonds de promotion de l’industrie (FPI) et le Fonds national d’entretien routier (Foner), et ne peut compter que sur 112 agents administratifs et un corps d’une quarantaine d’inspecteurs des finances. « Un effectif insuffisant pour faire face à tous ces problèmes », reconnaît Alingete, qui prévoit une soixantaine de recrutements. Mais l’IGF n’est plus seule.

Si le chef de l’État semble faire preuve de bonne volonté, un rapport trop dérangeant a les moyens d’être enterré

En juillet, le chef de l’État a lancé l’Agence de prévention et de lutte contre la corruption (APLC), pilotée par Me Ghislain Kikangala et soutenue par les États-Unis. Il s’est aussi attaché les services de l’avocat camerounais Akere Muna, qui séjourne actuellement à Kinshasa pour conseiller le président et sa nouvelle agence.

« Le problème de ce dispositif est qu’il dépend exclusivement de la présidence, souligne Florimond Muteba, le patron de l’Observatoire de la dépense publique (Odep). Même si le chef de l’État semble faire preuve de bonne volonté, un rapport trop dérangeant a les moyens d’être enterré… »

Pour le patron de l’Odep, plutôt que de créer de nouvelles structures, il faudrait mettre l’accent sur la relance de la Cour des comptes, dont les 51 magistrats n’ont pas encore prêté serment. « Ce n’est qu’à ce prix, dit-il, que cette politique pourra être prise au sérieux. »

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