Karim Ammar : « Au sud du Sahara, Poulina cherche des partenaires solides et transparents »

Déjà présent au Sénégal à travers une usine de margarine, le groupe tunisien lorgne la Côte d’Ivoire et le Ghana pour y installer des unités de production. À domicile, Poulina continue d’investir dans le secteur avicole. Son directeur général adjoint a répondu aux questions de « Jeune Afrique ».

Karim Ammar est le directeur général adjoint de Poulina et l’hériter annoncé d’Abdelwaheb Ben Ayed, fondateur du holding tunisien. © Nicolas Fauqué/Images de Tunisie.com

Karim Ammar est le directeur général adjoint de Poulina et l’hériter annoncé d’Abdelwaheb Ben Ayed, fondateur du holding tunisien. © Nicolas Fauqué/Images de Tunisie.com

Publié le 22 juillet 2015 Lecture : 5 minutes.

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L’agroalimentaire en Afrique représentait 227 milliards d’euros en 2013 mais devrait – si l’on en croit les projections – exploser d’ici 2030 pour atteindre les 900 milliards d’euros.

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Qu’il est loin le poulailler acquis en 1967 par Abdelwaheb Ben Ayed ! Aujourd’hui, Poulina, c’est un conglomérat regroupant 108 sociétés qui produisent de l’acier, distribuent des voitures, construisent des routes et des ponts… Mais le cœur du groupe reste le secteur avicole, qui représente toujours 40 % de son chiffre d’affaires. Ce dernier n’a progressé que de 1,88 % en 2014, pour atteindre 1,524 milliard de dinars (671 millions d’euros), du fait de la dépréciation du pouvoir d’achat en Tunisie, mais aussi du recul des ventes en Libye, où l’instabilité s’est accentuée, et en Algérie. Pourtant, le groupe reste confiant pour 2015 : il table sur une croissance de 7,77 % de ses revenus.

Surtout, il compte investir 180 millions de dinars cette année, dont 50 % seront injectés dans les activités avicoles, qui vont de l’alimentation animale jusqu’aux plats préparés à base de poulet. Environ 10 % de cette enveloppe seront consacrés aux autres produits alimentaires du groupe, comme ses marques d’huiles, de biscuits et de crèmes glacées… qui trouvent de plus en plus d’adeptes au sud du Sahara, où Poulina exporte mais possède actuellement peu de sites de production. Cela pourrait bientôt changer, selon Karim Ammar. Appelé à succéder au fondateur, le directeur général adjoint du groupe détaille sa stratégie.

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Jeune Afrique : Vous êtes présents au Maroc mais aussi en Chine. Pourquoi investir dans la filière agro-industrielle en Tunisie alors que le contexte économique y est morose ?

Karim Ammar : Au lendemain de la révolution, le secteur qui a résisté, c’est l’agro-industrie, tandis que les autres produits manufacturés ont largement souffert du ralentissement économique. S’agissant de l’aviculture, il faut rappeler que sous l’ancien régime, un système de quotas nous interdisait de croître, le secteur était bridé. Après la révolution, ces quotas ont disparu. Et finalement, la conjonction de la révolution et de la résistance du secteur a été salutaire : en fin de compte, notre décision d’investir dans l’aviculture est en train de porter ses fruits.

L’aviculture est-elle pour Poulina le marché qui a le plus fort potentiel de croissance ?

En Tunisie, nous pouvons encore gagner des parts de marché. Mais c’est surtout en Afrique subsaharienne que ce potentiel est énorme. D’ailleurs, cette région est très dynamique pour la plupart des secteurs sur lesquels nous travaillons : les huiles, les margarines, la crème glacée… Nous allons également nous lancer dans l’export de charcuterie de poulet en conserve : saucisses, salamis… des produits qui jusqu’ici venaient uniquement d’Europe. Au sud du Sahara, ce secteur croît fortement, en même temps que le pouvoir d’achat. En revanche, les pâtisseries sont beaucoup moins concernées, car ces pays en consomment peu.

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Allez-vous diriger vers l’Afrique subsaharienne une partie de vos investissements prévus dans l’agroalimentaire ?

La majeure partie sera consacrée à la Tunisie et ira dans le secteur avicole et dans des lignes de conditionnement de desserts et de produits surgelés. Mais nous allons aussi investir en Afrique subsaharienne, à commencer par le Sénégal. Dans ce pays, notre marque de margarine Jadida se vend très bien, nous y avons construit une unité de production en partenariat avec une entreprise locale, Senico-CCD. Avec elle, nous allons investir environ 30 millions d’euros dans l’extension de cette activité mais aussi dans une raffinerie d’huile, une unité de mayonnaise et une autre de pâte à tartiner. Les terrains sont déjà acquis et les investissements devraient s’achever avant la fin de 2016. Nous envisageons également d’investir dans l’élevage de poulets. Avec ces produits locaux, l’objectif est de se substituer aux exportations de nos produits depuis la Tunisie, qui sont massives. D’ailleurs, le Sénégal nous permet d’exporter vers les pays voisins : c’est important pour nous car l’export depuis la Tunisie est très compliqué.

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Pourtant, de nombreux flux maritimes relient le Maghreb à l’Afrique de l’Ouest. Pourquoi est-ce si compliqué ?

Il n’y a pas de port de transbordement en eau profonde en Tunisie, contrairement à Tanger, au Maroc, ou à Algésiras, en Espagne. Par conséquent, seuls les petits bateaux peuvent venir dans les ports tunisiens [les conteneurs qu’ils embarquent doivent ensuite être transférés sur de plus gros navires, dans un autre port]. Il y a également des difficultés de traitement des conteneurs au port de Radès et un manque de disponibilité des navires, sans compter les problèmes de congestion et d’attente en rade des bateaux. Il faut donc compter entre quarante-cinq et soixante jours par voie maritime depuis la Tunisie, c’est très long. Cela implique des immobilisations financières énormes : vous n’êtes pas payé et le client n’a pas sa marchandise. En outre, les produits finis peuvent être soumis à des réglementations douanières. Avoir des capacités de production sur place est donc très profitable.

Quand les choses se calmeront en Libye, ça va démarrer plein pot

Envisagez-vous de vous implanter dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest ?

Nous aimerions aller en Côte d’Ivoire, mais nous regardons aussi le Ghana. Poulina est à la recherche de partenaires solides, sérieux et transparents. L’objectif est de trouver des entreprises, quelles que soient leur structure et leur taille, qui puissent nous aider à aborder le marché du pays d’accueil, tandis que nous apportons l’expertise logistique et technique.

En Afrique du Nord, vos affaires dans l’agroalimentaire se portent plutôt bien, à l’exception semble-t-il de la Libye, où vous exploitez une usine de crème glacée. Envisagez-vous de fermer cette unité ?

Il est en effet très compliqué de travailler en Libye aujourd’hui, la situation étant très instable. Les usines, qui emploient 300 personnes [tous secteurs confondus, Poulina étant également présent dans la céramique, l’emballage, etc.], sont en bon état et fonctionnent dès qu’il est possible de les faire tourner. Cela peut être un jour sur deux, selon qu’il y a ou non du gaz, de l’électricité… Cela ne tourne pas à un rythme élevé, mais donne au moins de quoi couvrir les charges. Pour autant, nous n’envisageons pas du tout de fermer nos unités en Libye. On y croit énormément. Quand les choses se calmeront, ça va démarrer plein pot. Donc nous sommes prêts.

Poulina en chiffres. © DR

Poulina en chiffres. © DR

En Tunisie, vous vous êtes lancés dans la grande distribution, avec les supermarchés Magasin général. Souhaitez-vous reproduire l’expérience à l’étranger ?

Pourquoi pas ? Stratégiquement, nous répondons évidemment présents s’il y a des opportunités à l’étranger. C’est l’essence même du groupe que d’être ouvert à toute expansion.

De nombreuses filiales produisent à la fois des poulets et des fruits. Pourquoi cette association ?

Aujourd’hui, nos élevages respectent les normes et les directives européennes en termes d’éloignement des bâtiments d’élevage par rapport aux premières habitations, aux axes routiers, etc. Par conséquent, il nous faut beaucoup d’espace. Nous achetons donc de très grands terrains, de 500 ou 600 ha, et entre les bâtiments d’élevage nous plantons des arbres, dont les fruits sont exportés en Europe. C’est par ailleurs un secteur que nous sommes en train de développer, avec l’installation de stations de conditionnement, des programmes d’innovation et un référencement de nos fruits dans les centrales d’achat européennes.

Vous avez déclaré que Poulina voulait investir dans les énergies renouvelables. Ce choix est-il lié à vos activités agro-industrielles ? S’agit-il de biomasse ?

Il ne s’agit pas de biomasse, mais cette stratégie s’appuie bien sur nos actifs agricoles. Nous avons plus de 600 000 m2 d’élevages couverts, donc nous sommes intéressés par le photovoltaïque. En recouvrant ces toitures de panneaux solaires, nos gains d’énergie seraient non négligeables.

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