Maroc – France : dessine-moi un imam

Aux termes de l’accord signé le 19 septembre à Tanger, le royaume s’est engagé à assurer la formation des futurs chefs religieux musulmans de l’Hexagone.

Mohammed VI avec François Hollande et Jack Lang à bord d’un train pour Tanger, le 20 septembre. © ALAIN JOCARD/POOL/AFP

Mohammed VI avec François Hollande et Jack Lang à bord d’un train pour Tanger, le 20 septembre. © ALAIN JOCARD/POOL/AFP

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 5 octobre 2015 Lecture : 3 minutes.

«La France manque d’un dispositif fiable de formation des imams et, en attendant qu’il soit mis en place, il vaut mieux travailler avec le Maroc », résume un diplomate français. Devant le roi Mohammed VI et le président François Hollande, venu en visite de travail et d’amitié à Tanger, le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, et le ministre marocain des Habous, Ahmed Toufik, ont signé, le 19 septembre, un accord par lequel le royaume s’engage à « prendre en charge, à compter de l’année 2015, la formation d’élèves imams français au sein de l’Institut Mohammed-VI de Rabat ».

Inaugurée en mars 2015, la structure accueille déjà, entre autres, des étudiants marocains mais aussi maliens, tunisiens, guinéens ou ivoiriens envoyés par leurs pays pour s’initier à la science de « l’islam du juste milieu », cet « islam modéré » que veulent les autorités françaises, synonyme dans l’accord d’une pratique « ouverte et tolérante à même de prévenir toute forme de radicalisation ».

Deux cents Maliens étudient déjà à l’institut, qui se prépare à recevoir une cinquantaine d’aspirants français pour un cursus de trois ans

la suite après cette publicité

La définition de cet islam marocain du « juste milieu », acharite, malékite et soufi, date du début des années 2000. L’idée de former à une telle pratique des séminaristes étrangers a germé quand a éclaté la crise malienne, en 2012. Le royaume s’est investi financièrement et politiquement auprès de l’État malien, proposant notamment de former ses religieux afin de combattre le radicalisme. Ainsi, deux cents Maliens étudient déjà à l’institut, qui se prépare à recevoir une cinquantaine d’aspirants français pour un cursus de trois ans, lequel sera complété par un an de « formation civile et civique » dans l’Hexagone afin d’inculquer aux étudiants le cadre républicain et laïc français.

Si, au niveau domestique, la promotion par le Maroc de cet islam du « juste milieu » vise à contrôler les prêches pour brider la progression du radicalisme, « il est davantage destiné, à l’international, à ce que l’on reconnaisse au royaume un rôle de référent religieux, un soft power qui favorisera ses autres politiques de coopération », explique Yousra Abourabi, spécialiste de la politique étrangère marocaine.

Pour moi, on a un peu surdimensionné cette signature pour donner plus de poids politique à cette visite, affirme Bernard Godard

Côté français, « il ne s’agit pas d’une nouveauté, la démarche ayant été engagée par un accord en 2008. Pour moi, on a un peu surdimensionné cette signature pour donner plus de poids politique à cette visite », observe Bernard Godard, le « Monsieur Islam » du ministère français de l’Intérieur de 1997 à 2014. Et les tentatives multidirectionnelles de l’État français de favoriser la constitution d’un « islam de France » par la formation de ses cadres se multiplient depuis près de trente ans.

Mais le principe de laïcité a fait avorter les tentatives d’intégrer des pôles d’enseignement dans les universités et, à cause de la difficulté de l’apprentissage, de la faiblesse des rémunérations et, surtout, d’une crise des vocations, les rares initiatives qui ont abouti ont eu un succès très mitigé. Nabil Ennasri, président du Collectif des musulmans de France, parfois critiqué pour des positions jugées communautaristes, rappelle que des centres viables, nationaux et républicains existent bien, comme l’Institut européen des sciences humaines (IESH) de Château-Chinon, pour lequel il déplore le refus de l’État de le reconnaître comme un établissement universitaire privé.

la suite après cette publicité

Concédant que la rareté des aspirants à l’imamat en France est l’obstacle majeur à une formation nationale, il en déplore cependant l’externalisation et évoque, comme Bernard Godard, la « schizophrénie » du système actuel. Selon ce dernier, la clé se situe dans la création d’une grande structure à la faveur du rassemblement des moyens et des voix d’une communauté musulmane de France encore trop désunie.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image