Économie et gouvernance : quand l’Afrique frissonne…

Alors que l’indice Mo Ibrahim montre que le continent souffre de problèmes de gouvernance accrus, le FMI pense qu’il devra se contenter d’une croissance de 3,8 % cette année. Mais ces rapports soulignent aussi la diversité de ses pays : quand la Cemac recule, l’UEMOA continue de progresser…

Au sud du Sahara, la croissance des pays exportateurs de pétrole devrait passer de 5,9 % en 2014 à 3,5 % en 2015. © Antonin  Borgeaud /J.A.

Au sud du Sahara, la croissance des pays exportateurs de pétrole devrait passer de 5,9 % en 2014 à 3,5 % en 2015. © Antonin Borgeaud /J.A.

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 19 octobre 2015 Lecture : 6 minutes.

L’afro-optimisme qui s’exprime depuis quelques années va devoir baisser d’un ton. Lundi 5 octobre, l’indice Mo Ibrahim démontrait que les progrès en matière de gouvernance marquent le pas en Afrique. Et mardi 6, c’était au tour de la Banque mondiale et du FMI d’annoncer un net ralentissement de la croissance économique du continent.

Si l’on en croit les chiffres publiés par le FMI, il faut oublier les 5 % de croissance annuelle auxquels semblait abonnée l’Afrique subsaharienne depuis plus de dix ans. Cette année, celle-ci ne dépassera pas 3,8 %, et la remontée prévue en 2016, à 4,3 %, n’est guère spectaculaire. La régression est comparable pour le Maghreb et le Moyen-Orient, qui déclineraient de 2,7 % en 2014 à 2,5 % en 2015 pour se reprendre et atteindre 3,9 % en 2016.

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Il faut distinguer les pays exportateurs de pétrole des pays importateurs. Au sud du Sahara, les premiers connaissent un ralentissement plus prononcé (recul de 5,9 % en 2014 à 3,5 % en 2015) que les seconds, notamment les plus pauvres (de 6,5 % à 5,8 %). En Afrique du Nord et au Moyen-Orient, le contraste est plus fort encore, puisque la croissance des importateurs d’hydrocarbures s’améliore (de 2,9 % à 3,9 %), alors que celle des exportateurs s’affaisse (de 2,6 % à 1,8 %).

Plus que jamais, l’Afrique est diverse. Sans énergies fossiles, le Maroc se porte comme un charme avec 4,9 % annoncés pour cette année, quand sa riche voisine pétrolière, l’Algérie, ne dépassera pas 3 %. Le contraste est impressionnant entre le Nigeria (4 %) ou le Gabon (3,5 %) et le petit peloton des champions qui dépasse les 8 % de croissance, comme l’Éthiopie (8,7 %), la RD Congo (8,4 %) et la Côte d’Ivoire (8,2 %).

En cause : la Chine et les gouvernements africains

Ce ralentissement a deux causes. La première est la moindre croissance de la Chine, qui est en passe d’abandonner sa politique du « tout-export », dont elle a profité depuis quinze ans. Pékin rééquilibre peu à peu son économie en privilégiant son marché intérieur, ce qui entraîne moins d’achats à l’étranger en général et en Afrique en particulier.

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Cette réorientation du colosse de 1,4 milliard d’habitants, qui achète près de la moitié de toutes les matières premières industrielles, énergétiques ou agricoles du monde, a eu pour conséquence de faire chuter spectaculairement les prix des produits de base. Le pétrole est tombé en un an et demi de plus de 110 dollars à 55 dollars le baril, mais les prix des métaux et des produits alimentaires ont eux aussi piqué du nez, provoquant des manques à gagner chez les exportateurs d’hydrocarbures ou de minerais. Et cette dégringolade n’est pas près de se terminer.

Une baisse continue © J.A.

Une baisse continue © J.A.

Les politiques conduites dans de nombreux pays africains aggravent les effets de cette secousse venue des autres continents. Forts de la manne issue de la rente minière et pétrolière – dont ils profitaient depuis plus de dix ans et croyaient qu’elle serait éternelle -, bien des gouvernements ont généreusement octroyé des allocations en tous genres, subventionné les produits alimentaires et même les carburants.

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Ils se retrouvent aujourd’hui coincés : leurs recettes chutent, mais les populations qui ont profité de ces largesses gardent, elles, leurs habitudes de consommation pétrolière. Plus que les autres, les pays producteurs ont succombé à cette tentation et ne savent plus comment réaugmenter les prix trop bas de l’essence. Ces derniers encouragent la consommation de produits raffinés, or la plupart des pays, comme l’Algérie, le Nigeria ou le Gabon, sont contraints de les importer à grands frais.

La productivité extrêmement faible de l’agriculture africaine – 1,8 tonne de maïs à l’hectare, contre 4 tonnes en Asie – ne permet pas de créer suffisamment d’emplois pour compenser les licenciements dans les industries extractives

Croyant pouvoir gager leurs investissements sur les perspectives alléchantes de leur sous-sol, de nombreux gouvernements n’ont pas constitué de réserves en devises, préférant s’endetter sur les marchés, où les taux étaient très bas jusqu’à présent. Mais alors que la Réserve fédérale américaine pourrait les faire remonter dans les prochains mois, ces pays se trouvent aujourd’hui en grand danger.

Surtout, les États africains ont peu diversifié leur économie. D’une part, l’essentiel de leurs recettes repose sur un ou deux produits de base comme le pétrole, l’or, le cuivre, le coton ou le café. Les pays tels que l’Algérie, le Nigeria, le Gabon ou l’Angola, dont 80 % à 100 % des exportations sont constituées d’hydrocarbures, sont très vulnérables. Hormis au Nigeria, au Maroc ou en Afrique du Sud, les recettes des services (banques, assurances, négoce, télécoms) ne peuvent pas compenser le manque à gagner des ressources du sous-sol. La productivité extrêmement faible de l’agriculture africaine – 1,8 tonne de maïs à l’hectare, contre 4 tonnes en Asie – ne permet pas de créer suffisamment d’emplois pour compenser les licenciements dans les industries extractives.

D’autre part, la majorité de l’Afrique continue d’exporter son bois, son pétrole ou ses minerais à l’état brut. C’est en Asie, en Europe ou en Amérique que la valeur ajoutée la plus importante est produite à partir de ces matières premières. Là encore, cela prive l’Afrique de recettes précieuses et l’empêche d’attirer les investissements qui prépareraient l’avenir. Le continent n’est toujours pas maître de ses richesses.

La solution : le volontarisme politique

Les solutions ? À court terme, tous les pays affectés par le ralentissement doivent faire des économies budgétaires. Ce qui n’est pas aisé, surtout lorsqu’il existe des risques politiques, notamment électoraux. Mais il faut voir plus loin. « La fin du super-cycle des matières premières constitue une opportunité pour les pays africains de relancer leurs réformes afin de moderniser leurs économies et de diversifier leurs sources de croissance », souligne Makhtar Diop, vice-président de la Banque mondiale pour l’Afrique subsaharienne. Il ajoute – et cela vaut aussi pour l’Afrique du Nord : « La mise en œuvre de bonnes politiques pour stimuler la productivité agricole et réduire les coûts de l’électricité tout en augmentant l’accès au courant permettra d’accroître la compétitivité et de soutenir la croissance de l’industrie légère. »

Une baisse continue © J.A.

Une baisse continue © J.A.

À plus long terme donc, les remèdes passent par le volontarisme politique. Citons en exemple le Rwanda, qui diversifie son économie tout en se préparant à devenir la Suisse de l’Afrique, ou l’Éthiopie, qui construit méthodiquement une industrie textile de premier plan. Un système fiscal moderne serait nécessaire au continent, où les prélèvements publics dépassent rarement 15 % de la richesse nationale quand ils s’élèvent à plus de 50 % en Europe. Comment assurer les services publics et bâtir les infrastructures nécessaires à un développement durable et partagé avec si peu de moyens ?

Enfin, affirme Alfredo Calcagno, économiste à la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), « il faut que les économies en développement ne se sentent pas obligées de suivre les règles bancaires et financières pensées par les pays riches ». Autrement dit, ne pas imposer aux banques africaines les ratios de sécurité valables pour les pays riches. Et revoir l’ancrage des monnaies par rapport au dollar (franc congolais en RD Congo et ouguiya en Mauritanie) ou à l’euro (franc CFA), qui pénalise les États, dont la devise baisse ou monte de façon aberrante par rapport à leur situation économique. Faut-il ajouter que la stabilité politique et la paix sont, pour l’Afrique, les vraies parades aux dépressions venues d’ailleurs ?

Des prix durablement en berne

Les gouvernements, qui tablent sur une remontée prochaine des prix des matières premières qu’ils exportent, vont déchanter. La dégringolade des cours des produits de base – de 14 % depuis le mois de février – devrait se poursuivre. Selon le FMI, le prix moyen du baril de pétrole ne se redressera pas significativement dans les années à venir : 51,62 dollars en 2015, 50,36 dollars en 2016 et 55,42 dollars en 2017.

Même sinistrose pour les métaux (- 22 % en 2015 et – 9 % en 2016) et pour les denrées alimentaires (- 17 % en 2015 et – 5 % en 2016). Les seuls produits agricoles africains qui connaissent des cours vigoureux sont le cacao et le coton.

Les grands groupes en difficulté (Glencore-Xstrata, Anglo American) ferment des mines en Zambie ou en Afrique du Sud et renvoient à des jours meilleurs la mise en exploitation de nouveaux filons (Madagascar, Mauritanie). Le FMI estime que ces perspectives moroses « pourraient amputer le taux de croissance des pays exportateurs de ces produits de près de 1 point par an durant la période 2015-2017 par rapport à 2012-2014 ».

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