Nigeria : Biafra, quand l’histoire se répète

On croyait la guerre depuis longtemps oubliée, mais un sécessionnisme biafrais a refait surface dans le sud-est du pays. Signe d’un profond malaise et d’une mémoire toujours à vif.

Manifestants exigeant la libération de Nnamdi Kanu, nouveau champion de la cause biafraise, le 18 novembre 2015 à Aba, dans le Sud-Est. © PIUS UTOMI EKPEI/AFP

Manifestants exigeant la libération de Nnamdi Kanu, nouveau champion de la cause biafraise, le 18 novembre 2015 à Aba, dans le Sud-Est. © PIUS UTOMI EKPEI/AFP

Christophe Boisbouvier

Publié le 30 janvier 2016 Lecture : 2 minutes.

Près de cinquante ans après la guerre du Biafra, qui a fait 1 million de morts entre 1967 et 1970, la rébellion biafraise a un nouveau visage. Après le colonel Ojukwu, décédé à Londres en novembre 2011, voici Nnamdi Kanu, un Anglo-Nigérian de 45 ans, qui s’appuie sur un parti sécessionniste, Indigenous People of Biafra (Ipob), et un média de propagande, Radio Biafra, basé à Londres et interdit au Nigeria depuis juillet 2015. L’objectif de Kanu ? L’indépendance des cinq États de la « zone sud-est » du Nigeria, où les Ibos – la troisième communauté du pays – sont majoritaires. Enclavé et sans ressources pétrolières, ce territoire abrite quelque 19 millions d’habitants.

Depuis l’arrivée du nordiste Muhammadu Buhari à la tête du Nigeria en mars 2015, les messages de Nnamdi Kanu redoublent de violence. Le leader biafrais accuse le nouveau président de ne s’entourer que de conseillers originaires du Septentrion. « C’est faux, répond le général Buhari. Le ministre du Pétrole, celui du Travail et le gouverneur de la Banque centrale appartiennent à la communauté ibo. » Surtout, le chef rebelle n’hésite pas à prôner la lutte armée. En septembre 2015, à Los Angeles, aux États-Unis, devant le Congrès mondial ibo, Kanu déclare : « Nous avons besoin de fusils et de balles. Si nous n’obtenons pas le Biafra, tout le monde devra mourir. »

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Le 19 octobre, à son retour au Nigeria, Nnamdi Kanu est arrêté par la sécurité nationale et poursuivi pour « sédition, incitation ethnique et crime perfide ». Cette arrestation met le feu aux poudres. Dans les grandes villes de la « zone sud-est », le parti Ipob rassemble des dizaines de milliers de personnes. Le 2 décembre, à Onitsha, les partisans de Kanu tentent de s’emparer du grand pont qui enjambe le fleuve Niger et qui marque à leurs yeux la frontière entre Biafra et Nigeria. La police tire à balles réelles. Dix morts, dont deux policiers. Les manifestants mettent le feu à la principale mosquée de la ville et détruisent huit camions appartenant au nordiste Aliko Dangote, l’homme d’affaires le plus riche du continent.

La nostalgie de la « Republic of Biafra » 

Pour Muhammadu Buhari, déjà confronté dans le nord-est du pays à l’insurrection de Boko Haram, cette révolte du Sud-Est tombe au plus mal. Du coup, le chef de l’État nigérian hausse le ton : « Je ne ferai aucun compromis sur l’unité nationale. Il y a une accusation de crime perfide contre Nnamdi Kanu, et j’espère que la justice va instruire ce dossier. » Mais pour Wole Soyinka, la manière forte ne peut suffire. Pendant la guerre de 1967-1970, le célèbre écrivain, issu de la communauté yoruba et soupçonné de sympathie pour la cause biafraise, a fait deux ans de prison. Aujourd’hui, le lauréat du Nobel de littérature 1986 affirme : « Le Biafra est une mémoire qui ne peut être effacée. »

Derrière ce retour de flamme, il n’y a pas que le malaise social d’une région déshéritée. Dans le secret des maisons, beaucoup d’anciens montrent encore à leurs enfants ces billets couleur vert menthe de 1967 portant la mention « Republic of Biafra ». À la fin de la guerre, en 1970, le président du Nigeria, le général Gowon, a déclaré : « Il n’y a ni vainqueur ni vaincu. » Mais, aujourd’hui, beaucoup d’enfants du Sud-Est nourrissent encore un sentiment de revanche. Muhammadu Buhari devra sans doute faire des gestes d’apaisement.

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