Quand les Khadafi jouaient les invités encombrants en Algérie

Accueillis par Bouteflika en août 2011, la seconde épouse du dictateur et trois de ses enfants ont été une réelle source d’embarras pour les services algériens.

Safia Kadhafi © AFP

Safia Kadhafi © AFP

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Publié le 17 février 2016 Lecture : 3 minutes.

Autour du dictateur (de haut en bas et de g. à dr.) : Moussa Koussa, Hannibal (son fils), Aïcha (sa fille), Ahmed Gueddaf Eddem et Béchir Saleh. © AMMAR ABD RABBO/ABACAPRESS.COM MONTAGE J.A. ;  XINHUA/ZUMA/REA ; NTB SCANPIX/SIPA ; JULIAN SIMMONDS/REX FEATURES/SIPA ; PATRICK ROBERT POUR J.A. ;
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Libye : que reste-t-il des Kadhafi ?

Cinq ans après le début de la révolution qui a précipité la chute du « Guide », la traque des membres de son clan et de ses milliards continue d’alimenter tous les fantasmes. Que font-ils, que savent-ils et surtout où sont-ils ? Enquête.

Sommaire

Cette nuit du dimanche 28 août 2011, un convoi de six voitures blindées roule à tombeau ouvert dans le désert libyen en direction de la frontière algérienne. Il transporte Safia, la seconde épouse de Kadhafi, Hannibal et Aïcha, deux de leurs enfants, Mohamed, le fils aîné du « Guide », né de son premier mariage, et plusieurs petits-enfants. Arrivés devant le poste frontalier, les Kadhafi sont priés de patienter. À des milliers de kilomètres de ce no man’s land, le président Bouteflika consulte ses proches collaborateurs avant de prendre sa décision : l’asile leur est accordé pour raisons humanitaires. Le chef de l’État en informe Ban Ki-moon, le secrétaire général de l’ONU, ainsi que Mahmoud Jibril, le président du conseil exécutif du Conseil national de transition (CNT) libyen.

Depuis sa cache à Bani Walid, à 170 km au sud de Tripoli, Mouammar Kadhafi a-t-il tenté de rejoindre sa famille en Algérie ? Plusieurs fois, le colonel a téléphoné à Abdelaziz Bouteflika, mais celui-ci n’a pas souhaité répondre à ses appels. Pourtant, depuis que Kadhafi est arrivé au pouvoir, en 1969, les deux hommes entretiennent d’excellentes relations. Le chef de l’État algérien a d’ailleurs confessé à maintes reprises son admiration pour le despote libyen. Mais de là à lui accorder le refuge alors que la Libye sombre dans le chaos, il y a un pas que Bouteflika ne veut pas franchir.

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Le 29 août 2011, à 8 h 45, une partie de la famille Kadhafi entre donc dans le territoire algérien. Sur le point d’accoucher, Aïcha est aussitôt évacuée par hélicoptère dans un hôpital de la région, où elle donne naissance à une fille. Les hôtes libyens sont d’abord installés sous haute protection dans une résidence de Djanet, dans le sud-est du pays. Plus tard, ils emménageront à Bousfer, une station balnéaire à l’ouest d’Oran.

Aïcha provoque la colère des dirigeants algériens

Les consignes sont strictes : les déclarations publiques sont prohibées. L’ordre est d’autant plus clair que le gouvernement algérien est en froid avec les responsables du CNT. Las ! Dès le 23 septembre, Aïcha Kadhafi accorde un entretien téléphonique de quatre minutes à une chaîne de télévision syrienne, au cours duquel elle qualifie Mahmoud Jibril de « traître » et assure que son père « combat sur tous les fronts ». Colère des dirigeants algériens. Mourad Medelci, le chef de la diplomatie, juge « inacceptables » les déclarations de la fille unique de Kadhafi. Laquelle est sommée de ne plus s’exprimer sous peine d’être expulsée.

Hannibal, connu pour ses frasques, est, lui, privé d’ordinateur et d’alcool, dont il est grand consommateur

Aïcha obtempère. Mais pas pour longtemps. Le 29 novembre, près de quarante jours après la mort de son père, tué le 20 octobre près de Syrte, elle accorde un nouvel entretien à la même chaîne, exhortant cette fois les Libyens à prendre les armes contre le nouveau gouvernement de Tripoli. Ulcérés, les Algériens lui coupent le téléphone, mettant fin aux sorties médiatiques intempestives de cette avocate au tempérament impétueux.

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Son frère Hannibal, connu pour ses frasques, est, lui, privé d’ordinateur et d’alcool, dont il est grand consommateur. « Ça l’a rendu fou », confie alors un responsable algérien de haut rang.

De l’Algérie à Mascate

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Le sort des membres du clan est loin d’être réglé. Les nouveaux dirigeants de la Libye réclament leur extradition afin de les juger pour des crimes passibles de la peine de mort. Alger ne refuse pas de coopérer, mais pose ses conditions : l’installation d’un pouvoir légitime à Tripoli et la présentation de dossiers judiciaires complets impliquant Aïcha, Safia, Mohamed et Hannibal.

Entre-temps, les Algériens engagent discrètement des discussions avec des partenaires étrangers pour se « débarrasser » des encombrants Kadhafi… Si les Libanais sont plutôt disposés à leur accorder l’asile, ils refusent catégoriquement d’accueillir Hannibal, dont l’épouse est d’origine libanaise. Cette piste est donc abandonnée. Aïcha émet quant à elle le souhait de poser ses valises en Afrique du Sud, où son père et des proches ont entreposé des avoirs d’une valeur estimée à plusieurs dizaines de milliards de dollars.

Mais, là encore, les tractations n’aboutissent pas. Safia pose un autre problème aux Algériens : la veuve du « Guide » se dit disposée à retourner vivre en Libye, mais exige de ne pas être séparée de ses enfants. Après plusieurs mois de négociations, c’est finalement Mascate (Oman) qui leur offre l’asile, en octobre 2012. Soulagement. « Les Kadhafi nous en ont fait voir de toutes les couleurs », avoue un responsable algérien qui a suivi ce dossier.

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