Maroc : le royaume contre-attaque sur le front diplomatique

Avec la nomination d’un nouveau ministre délégué et de 78 ambassadeurs, Mohammed VI donne une nouvelle impulsion à la diplomatie chérifienne. Décryptage d’une révolution qui ne dit pas son nom.

Mohammed VI, le 19 juin 2015. © Fadel Senna/AFP

Mohammed VI, le 19 juin 2015. © Fadel Senna/AFP

fahhd iraqi

Publié le 24 février 2016 Lecture : 6 minutes.

Un ministre délégué aux Affaires étrangères, de nouveaux ambassadeurs issus des milieux des droits de l’homme, du tissu associatif et de partis politiques de tous bords, de nouvelles ambassades créées dans des pays qui reconnaissent la RASD… Mohammed VI a procédé à une refonte globale de la diplomatie du royaume à l’issue du Conseil des ministres qu’il a présidé à Laayoune, chef-lieu des provinces du Sud, le 6 février.

Derrière la formule laconique du communiqué officiel publié à la fin de la réunion – « nomination de plusieurs ambassadeurs » – se cache le plus large mouvement d’ambassadeurs jamais réalisé par Mohammed VI. Plus des deux tiers des 91 représentations diplomatiques que compte le royaume à travers le globe vont bientôt changer de locataire. Et pas moins de 11 nouvelles ambassades seront ouvertes dans des contrées où le royaume brillait par son absence. Mais si l’ampleur de ce changement au niveau des Affaires étrangères a été surprenante, la valse diplomatique en soi était très attendue.

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Un discours et des crises

Le 30 juillet 2015, lors du traditionnel discours du Trône, le roi avait fait la part belle au volet diplomatique. Les consuls du royaume et leur ministre de tutelle en avaient pris pour leur grade. « Certains consuls […], au lieu de remplir leur mission comme il se doit, se préoccupent plutôt de leurs affaires personnelles ou de politique. […] Nous attirons donc l’attention du ministre des Affaires étrangères sur la nécessité de s’employer avec toute la fermeté requise à mettre fin aux dysfonctionnements et autres problèmes que connaissent certains consulats », avait déclaré Mohammed VI pour signifier son mécontentement.

Mécontentement qui se transformera en dépit au fil des crises diplomatiques aiguës que connaîtra le royaume. « La passe d’armes avec la Suède au sujet d’une proposition de loi pour la reconnaissance de la RASD puis le jugement de la Cour européenne annulant les dispositions de l’accord agricole conclu avec le Maroc ont fini par convaincre le Palais de réformer de fond en comble les représentations diplomatiques du royaume », nous explique une source du département chapeauté par Salaheddine Mezouar.

Occuper le terrain

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La nouvelle approche consiste d’abord en une rupture avec la politique de la chaise vide observée jusqu’à présent. En attestent les consignes royales pour représenter le pays dans toutes les manifestations, y compris celles auxquelles sont conviés des dirigeants du Polisario. Exemple, en décembre 2015, quand Abdelilah Benkirane, chef du gouvernement, est dépêché par Mohammed VI au forum Chine-Afrique de Johannesburg, bien que l’Afrique du Sud ait pour habitude d’inviter des représentants de la RASD aux événements continentaux qu’elle organise sur son sol. Mais la nouvelle approche d’occupation du terrain est surtout perceptible dans la décision d’ouvrir de nouvelles représentations dans une dizaine de pays, dont ceux qui ont reconnu la RASD.

À ce titre, on peut citer les ambassades au Panama ou en Uruguay, où la diplomatie chérifienne n’était pas encore établie. L’effort ne sera pas seulement concentré sur l’Amérique latine, mais aussi sur l’Asie, où le drapeau marocain flottera au cœur des capitales des Philippines et du Kazakhstan.

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L’Afrique, si chère à Mohammed VI, n’est pas en reste dans cette nouvelle offensive diplomatique. Au moins quatre nouveaux ambassadeurs prendront prochainement leurs quartiers dans des pays du continent où le Maroc n’était pas représenté, à savoir le Bénin, le Mozambique, la Tanzanie et le Rwanda. « Après avoir consolidé ses relations avec les pays de l’Afrique de l’Ouest, la diplomatie marocaine jette aujourd’hui un pont vers des États d’Afrique de l’Est. Un territoire que le royaume a jusque-là délaissé, mais où il compte bien rattraper son retard », nous explique notre source.

Cette ouverture diplomatique à l’international est accompagnée par une mise à niveau du tissu consulaire afin de mieux servir les Marocains résidants à l’étranger. « Un ressortissant marocain content de son pays fera tout pour le défendre sur la scène internationale », glisse un diplomate marocain.

Un casting royal

La liste définitive des ambassadeurs n’a pas encore été dévoilée. « C’est un processus assez complexe. Ils doivent être validés par les pays hôtes avant de recevoir leurs lettres d’accréditation des mains du souverain au cours d’une cérémonie officielle », nous explique un connaisseur du protocole diplomatique. Mais les noms qui ont déjà filtré dans les médias révèlent un casting savamment orchestré, les profils droits-de-l’hommistes étant fortement représentés. « Le royaume a désormais besoin de personnes crédibles pour défendre les avancées en matière de droits de l’homme, qui restent notre talon d’Achille aux yeux de plusieurs pays dans le monde, nous explique notre source. Qui mieux que d’anciens opposants pour jouer ce rôle ? »

Dans cette catégorie des nouveaux VRP du royaume, on peut citer l’ancienne présidente de l’Organisation marocaine des droits de l’homme (OMDH), Amina Bouayach, qui devrait s’envoler pour la Suède et occuper un poste resté vacant plusieurs années durant. Abdeslam Aboudrar, ancien détenu politique devenu président de l’Instance centrale de prévention de la corruption, est pressenti, lui, à Londres. Il devrait remplacer la cousine de Mohammed VI, qui poserait ses valises à Washington. Autre figure des droits de l’homme bombardée ambassadrice : Khadija Rouissi, attendue à Copenhague. Cette dernière est aussi une figure de proue du Parti Authenticité et Modernité (PAM), qui, comme les autres formations, a eu sa part du gâteau. Qu’elles appartiennent à des partis de la majorité ou de l’opposition, plusieurs personnalités ont en effet été parachutées à la tête de représentations diplomatiques.

D’autres personnalités du PJD, du RNI ou encore du PPS figurent aussi sur la liste

Parmi les têtes d’affiche, Ahmed Reda Chami, qui a confirmé sur Twitter sa nomination comme ambassadeur auprès de l’Union européenne (UE) à Bruxelles, où il aura fort à faire. Il sera épaulé par Mohamed Ameur, lui aussi ancien ministre socialiste, qui devrait, entre autres, coordonner avec la Belgique les efforts de lutte contre l’islam radical dans cette plaque tournante du terrorisme. D’autres personnalités du PJD, du RNI ou encore du PPS figurent aussi sur la liste, laquelle comprend également des cadres du département des Affaires étrangères qui attendent depuis des années leur tour dans le sas des directions régionales.

À travers ces nominations, la diplomatie chérifienne veut se donner un nouveau souffle tout en fédérant les différentes sensibilités politiques dans une sorte d’union nationale. C’est que la bataille pour le sacro-saint enjeu diplomatique du royaume – le conflit du Sahara – n’a jamais été aussi âpre que lors de ces dernières années. Le Palais aurait-il fini par comprendre qu’il ne peut plus la livrer seul ?

NASSER BOURITA, UN HOMME DE DOSSIERS

Si le département des Affaires étrangères a toujours été un ministère de souveraineté, le Printemps arabe y avait ouvert une brèche. En 2012, la nomination à sa tête de l’islamiste Saadeddine El Othmani marque une rupture. Sauf qu’avant de faire ses cartons son prédécesseur, Taïeb Fassi-Fihri, a pris soin de verrouiller le département. Youssef Amrani, un diplomate de carrière proche du ministre, est nommé ministre délégué sous la casquette symbolique de l’Istiqlal. Surtout, Nasser Bourita, jusque-là directeur de cabinet de Fassi-Fihri, est placé au poste stratégique de secrétaire général.

« Il n’a jamais rompu le contact avec son ancien ministre devenu conseiller royal. Il était quelque part l’homme de contact du Palais », explique une source du département dont ont hérité le duo du RNI Salaheddine Mezouar et Mbarka Bouaida après le remaniement de 2013. Aujourd’hui, avec sa nomination au poste de ministre délégué, Nasser Bourita a une plus grande marge de manœuvre et peut représenter officiellement le royaume. La promotion de ce diplomate chevronné de 47 ans n’a pas surpris ses collègues, qui le qualifient de travailleur et de fin connaisseur des dossiers.

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