Maroc : le deuxième âge de la Moudawana

Pour elles, le 8 mars, c’est toute l’année ! Entre avancées juridiques et pesanteurs sociales, où en est la génération M6 au féminin ?

Le Maroc est le deuxième pays arabe, après la Tunisie, à avoir consacré l’égalité entre l’homme et la femme dans le noyau familial. © MARK HENLEY/PANOS-REA

Le Maroc est le deuxième pays arabe, après la Tunisie, à avoir consacré l’égalité entre l’homme et la femme dans le noyau familial. © MARK HENLEY/PANOS-REA

ProfilAuteur_NadiaLamlili

Publié le 17 mars 2016 Lecture : 4 minutes.

En 2004, à l’initiative du roi et d’un puissant mouvement féministe, le Maroc a mis en place une réforme spectaculaire de son code de la famille (Moudawana), devenant le deuxième pays arabe, après la Tunisie, à consacrer l’égalité entre l’homme et la femme dans le noyau familial. En sa qualité de Commandeur des croyants, Mohammed VI avait usé de son autorité religieuse pour réviser de vieilles interprétations coraniques cantonnant la femme à un statut inférieur. Grâce à lui, les Marocaines n’ont plus besoin de tuteur pour se marier, peuvent demander le divorce, garder le domicile conjugal si elles ont des enfants et prétendre à une pension alimentaire.

Désenchantement

Douze ans après, cette loi, célébrée par le mouvement féministe chaque 8 mars à l’occasion de la Journée de la femme, fait l’objet d’un certain désenchantement tant le fossé entre son esprit et la réalité reste profond. Bien que le mariage des mineures (moins de 18 ans) ait été rendu exceptionnel, le ministère de la Justice en a enregistré plus de 35 000 en 2013, soit 11 % de la totalité des unions, essentiellement dans les zones rurales. « Sans oublier les mariages coutumiers, contractés par simple lecture de la Fatiha, qui sont monnaie courante dans le Maroc profond malgré les rappels à l’ordre de l’État », note Hicham Houdaïfa, auteur de Dos de femme, dos de mulet, les oubliées du Maroc profond (éditions En toutes lettres, 2015).

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À la lecture de cette enquête édifiante sur la précarité des femmes, force est de constater que la Moudawana n’a pas été suffisamment expliquée, dans un pays où les traditions sont fortes et où le taux d’analphabétisme dépasse 36 %, et s’élève à 47,6 % chez les femmes. Certaines féministes clament qu’il est temps d’amender un peu plus ce code pour mieux encadrer les interprétations des juges. Mais peut-on attendre d’un gouvernement islamiste, dont le chef a demandé aux femmes de rester chez elles, les comparant à des lustres, et dont un ancien ministre, Lahbib Choubani, a convolé en secondes noces, en flagrant « délit » de polygamie, qu’il prenne une telle initiative ?

Droits économiques et sociaux

Même si la Moudawana fait l’objet d’un large consensus sur son aspect visionnaire, « la bataille pour l’accès des femmes aux droits politiques et civils n’a pas eu de répercussions sur leurs droits économiques et sociaux », souligne Rabea Naciri. Ce membre fondateur de l’Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM) a été de tous les combats féministes depuis les années 1980 et a suffisamment de recul pour affirmer que, malgré la progression de leur représentativité politique – 17 % de sièges au Parlement et 21 % dans les conseils communaux, grâce à la politique des quotas -, les femmes accèdent moins à l’emploi, véritable indicateur de leur indépendance économique. Selon un rapport du Conseil économique, social et environnemental (Cese), le taux d’activité des femmes est passé de 28,1 % en 2000 à 25,1 % en 2013. Parallèlement, le nombre de femmes au foyer a augmenté…

Depuis l’intronisation de Mohammed VI, l’État a cependant mis en place de nombreux programmes de formation spécifiquement destinés aux femmes pour les aider à devenir autonomes et à décrocher un emploi, mais cette initiative se heurte aux mentalités, notamment dans le monde rural. Selon une étude de la coopération japonaise, 33,2 % du chômage des femmes au Maroc est dû aux maris et 12,5 % aux parents. C’est dire que les traditions patriarcales ont la vie dure…

Revendications revues à la hausse

Pour que l’égalité ne soit plus un simple slogan, les féministes ont revu leurs revendications à la hausse, n’hésitant plus à évoquer des sujets tabous : violences conjugales, travail des petites bonnes, droit à l’avortement, sans oublier l’égalité en matière d’héritage, qu’on appelle « régime successoral », comme en Occident, pour inciter les oulémas à procéder à un aggiornamento en la matière. Ces questions ont été soulevées par une série d’incidents attentatoires aux libertés des femmes ces deux dernières années. Très médiatisés, ils ont scandalisé l’opinion (affaire Amina el-Filali, qui s’est donné la mort après avoir été mariée de force à son violeur, explosion du nombre d’avortements clandestins, agression de jeunes filles pour leur tenue vestimentaire à Agadir…).

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Le gouvernement islamiste, qui se bat bec et ongles contre les tenants d’une émancipation totale de la femme, fait de la résistance, arguant du conservatisme de la société marocaine. Le projet de loi sur les violences conjugales dort sur le bureau de la ministre chargée de la Femme, Bassima Hakkaoui, depuis trois ans. Celui sur la légalisation de l’avortement a nécessité une intervention royale en mai dernier pour être adopté, le gouvernement Benkirane n’en voulant pas.

Actuellement, les cercles féministes se mobilisent contre la réforme du code pénal, menée par le ministre de la Justice, Mustapha Ramid, et qui contient de nombreuses clauses liberticides. Bref, « le deuxième âge de la Moudawana », comme disent les féministes, est en train de naître au forceps à coups de mobilisations sociales et d’interventions personnelles de celui qui apparaît comme le premier féministe du royaume : Mohammed VI.

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Rajeunissement et féminisation

Le corps des agents d’autorité compte actuellement 3 gouverneures et 141 femmes caïds. C’est un corps de jeunes responsables, dont 68% se situent dans la tranche d’âge 25-34 ans et 30% dans celle des 35-44 ans.

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