Bertrand de la Borde : « IFC n’apporte plus seulement des financements, elle intervient en amont »

Face à l’afflux de fonds en Afrique, la filiale de la Banque mondiale s’est fixé une nouvelle mission : faire émerger des projets solides (énergie, transports…) susceptibles d’attirer les investissements.

Bertrand Heysch de la Borde, directeur du département infrastructures en Afrique de la Société financière internationale (SFI), dans son bureau à Dakar, Sénégal le 10 mars 2016. © Sylvain Cherkaoui pour Jeune Afrique

Bertrand Heysch de la Borde, directeur du département infrastructures en Afrique de la Société financière internationale (SFI), dans son bureau à Dakar, Sénégal le 10 mars 2016. © Sylvain Cherkaoui pour Jeune Afrique

Publié le 22 avril 2016 Lecture : 7 minutes.

Travaux d’extension de la ligne de bus BRT au Nigeria © Gwenn DUBOURTHOUMIEU/ J.A.
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Infrastructures : quand le secteur privé montre la voie en Afrique

En développant des infrastructures de transport, les groupes miniers, pétroliers ou forestiers peuvent participer au désenclavement de régions entières. Les Etats doivent apprendre à en tirer parti.

Sommaire

En février, Bertrand de la Borde s’est rendu en Côte d’Ivoire pour l’inauguration de l’extension de la centrale thermique à gaz de Ciprel, qui a bénéficié de financements de la Société financière internationale (IFC) pour augmenter ses capacités de production. Un projet en droite ligne avec le mandat du patron des infrastructures africaines de cette filiale de la Banque mondiale consacrée au secteur privé : appuyer des projets structurants, qui puissent servir de socle solide à la croissance économique du continent.

Avec pas moins de 1 milliard de dollars (environ 878 millions d’euros) mis sur la table chaque année et un champ d’action très large (énergie solaire au Mali avec la centrale de Ségou, thermique au Nigeria avec la centrale à gaz d’Azura, rail en Guinée et autoroutes au Sénégal), l’IFC fait figure d’acteur incontournable dans le domaine des infrastructures en Afrique, dont les besoins sont estimés à quelque 90 milliards de dollars par an. Mais elle a dû s’adapter à l’arrivée massive de nouveaux financements, venus de tous horizons, et à des exigences accrues liées au réchauffement climatique.

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Fort d’une carrière mêlant le développement (avec un premier poste, à sa sortie de Centrale Paris, à l’Agence française de développement) et la finance (dix ans à la Société générale), Bertrand de la Borde, 48 ans, est un expert reconnu. Depuis le pôle de Dakar, il dirige une cinquantaine de chargés de mission à travers le continent. Il a répondu aux questions de J.A.

Dans la centrale thermiquede Ciprel, inaugurée en février à Abidjan et financée en partie par l'IFC. © SIA-KAMBOU/AFP

Dans la centrale thermiquede Ciprel, inaugurée en février à Abidjan et financée en partie par l'IFC. © SIA-KAMBOU/AFP

Jeune Afrique : Votre département finance plusieurs types d’infrastructures [électricité, transport et eau], toutes essentielles en matière de développement. Parmi elles, avez-vous une priorité ?

Bertrand de la Borde : Difficile à dire… Mais c’est certainement celles liées à l’électricité qui sont les plus importantes pour nos actionnaires. De gros efforts ont été faits ces dernières années concernant la production. On constate désormais qu’il faut aussi améliorer la distribution, ce qui est plus compliqué car les problématiques sont très diverses [techniques, humaines, financières, etc.], avec des aspects sociaux sensibles, liés notamment à la tarification.

La création d’emplois directs est un critère secondaire comparé à l’ensemble des emplois indirects induits par la réalisation du projet

L’IFC finance directement des sociétés privées, avec l’objectif d’avoir un retour sur investissement. Quel est votre premier critère ?

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Il y a au moins deux grandes dimensions, que l’on ne peut pas dissocier. D’une part, il faut vérifier que le dossier est solide. De l’autre, évaluer son impact en matière de développement. La création d’emplois directs est un critère secondaire comparé à l’ensemble des emplois indirects induits par la réalisation du projet. Prenons l’exemple de l’autoroute qui permet de sortir de Dakar : avant, il était impossible de prévoir combien de temps on allait mettre pour quitter la capitale. Deux, trois heures, voire plus.

Aujourd’hui, il faut compter moins de trente minutes. Le trafic journalier dépasse 70 000 véhicules par jour et l’impact sur l’activité économique est considérable. Cela permet également aux Dakarois de se loger en dehors des quartiers centraux, devenus chers. C’est une superbe réalisation que l’on espère reproduire ailleurs : nous étudions des projets au Kenya notamment, où un grand programme de partenariat public privé [PPP] dans le domaine routier est en cours.

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L’Afrique a toujours manqué de projets fiables dans le domaine des infrastructures. Est-ce toujours le cas ?

Oui. Même si le nombre de projets PPP à financer augmente depuis une dizaine d’années, cette évolution reste modeste. Simultanément, on a constaté l’arrivée de nouveaux acteurs, à commencer par les fonds d’investissement. À tel point qu’aujourd’hui certains financiers peinent à trouver suffisamment de projets solides pour investir.

L’arrivée de ces fonds rend-il votre travail plus difficile ?

Non, mais cela nous a amenés à faire évoluer fortement notre fonctionnement par rapport à ce qu’il était il y a encore sept ans. Nous ne sommes plus seulement des apporteurs de financements, mais aussi des fournisseurs de solutions. Nous travaillons à faire en sorte que les projets solides soient plus nombreux. Nous avons lancé depuis cinq ans le programme InfraVentures, qui nous permet d’intervenir très en amont des projets, en portant nous-mêmes le risque, pour les aider à se concrétiser.

Nous enregistrons de beaux succès, comme le barrage de Kénié au Mali

Quel est le bilan d’InfraVentures ?

C’est encore un peu tôt pour le dire. Même si les premiers résultats sont positifs, certains obstacles sont difficiles à dépasser, à commencer par les difficultés liées aux situations politiques des pays. Néanmoins, nous enregistrons de beaux succès, comme le barrage de Kénié au Mali [environ 40 MW], dont nous avons porté le projet seuls pendant plusieurs années dans un contexte difficile. Mais, la plupart du temps, nous intervenons en partenariat avec un industriel pour partager les coûts de développement. C’est le cas de la centrale de Tobène, au Sénégal, qui a été inaugurée le 14 mars, pour laquelle nous sommes associés au libanais Matelec. Ou encore du barrage de Nachtigal, au Cameroun : nous détenons près d’un tiers du capital aux côtés du groupe français EDF, et le financement est en cours de montage.

Avec cette approche, parvenez-vous à préserver vos objectifs de rentabilité ?

Sur cette partie spécifique, le but est d’équilibrer notre budget. À ce stade, l’intégralité des fonds a été amenée par l’IFC, mais à terme InfraVentures pourra être ouvert à d’autres partenaires, avec l’objectif de dégager de petits profits, qui seront intégralement réinvestis.

Récemment, l’IFC a lancé le programme Scaling Solar, pour aider les pouvoirs publics à mettre en place des systèmes d’appel d’offres standardisés. Où en est-il ?

Nos débuts, en Zambie, sont prometteurs. Un appel d’offres a récemment été lancé pour une capacité totale de 100 MW, après une phase de préqualification qui a permis de retenir onze sociétés, toutes très renommées. Selon nos informations, les propositions de tarifs seront extrêmement compétitives, semblables aux prix sud-africains, ce qui est inédit en Afrique subsaharienne. Et nous sommes déjà en discussion pour un deuxième appel à projets en Zambie pour une capacité de 200 MW. Par ailleurs, l’initiative vient d’être élargie au Sénégal et à Madagascar, et des discussions sont engagées avec d’autres pays.

Les solutions solaires pour fournir de l’énergie aux particuliers sont désormais rentables

Les solutions solaires hors réseau suscitent de grands espoirs dans les zones rurales. Peut-on envisager qu’elles puissent alimenter des projets industriels ?

Pas pour le moment, si l’on parle d’industrie lourde. Mais, qui sait… Il est difficile de prédire le potentiel des technologies qui seront disponibles dans dix ans. Ces cinq dernières années, les évolutions en matière de coûts de production et de capacités de stockage ont été incroyables. Les solutions solaires pour fournir de l’énergie aux particuliers sont désormais rentables.

Les pays africains n’ont pas renoncé au charbon pour produire de l’énergie. L’IFC envisage-t-elle encore de financer ces projets ?

C’est difficile car la Banque mondiale a établi des critères très stricts pour le financement de ce type de projets. Nous préférons a priori consacrer nos moyens à d’autres technologies.

Constatez-vous des progrès dans la gouvernance et la lutte contre la corruption ?

Oui, depuis dix ans, nous avons constaté une amélioration dans la manière dont les projets sont gérés. Il faut démultiplier les progrès en matière de bonne gouvernance si l’on veut réussir à répondre aux besoins en infrastructures.

Concrètement, comment a évolué la situation d’un pays comme le Nigeria ?

Il y a cinq ans, sa situation dans le domaine de l’électricité était catastrophique. Nous avons beaucoup travaillé avec les autorités pour réformer le secteur, à travers notamment une libéralisation partielle. L’IFC a ainsi monté le financement du premier producteur indépendant d’électricité du pays [Azura, 450 MW]. La tendance est positive.

Les pays pétroliers souffrent de la baisse des cours du brut, qui pèse sur leur budget. Craignez-vous qu’ils ne remettent en question leurs projets d’infrastructures ?

Même si, pour l’instant, on n’observe pas de tels phénomènes, c’est une conséquence envisageable. Mais les projets dans lesquels nous sommes impliqués reposent davantage sur la participation de partenaires privés que sur des financements publics.

Êtes-vous impliqués dans des projets ferroviaires ?

Oui, nous participons au financement de trois projets de rail, au Mozambique, au Gabon et en Guinée, tous adossés à des développements miniers [500 millions de dollars de financements au total]. En dehors de ce schéma spécifique, les dossiers ferroviaires sont les plus complexes à boucler car ils impliquent d’importants financements publics.

Lorsque l’urbanisation massive s’accompagne d’une hausse du niveau de vie, le rail urbain devient une bonne solution d’un point de vue économique.

Au Maghreb et en Afrique de l’Est, les tramways se multiplient. Sont-ils une bonne solution pour les autres grandes agglomérations du continent, notamment en Afrique de l’Ouest ?

Cela dépend du degré de développement économique des villes, de leur géographie. Lorsque l’urbanisation massive s’accompagne d’une hausse du niveau de vie, le rail urbain devient une bonne solution d’un point de vue économique. Cependant, les solutions de bus rapides à voies réservées sont souvent plus attractives, car elles coûtent cinq à dix fois moins cher. À Dakar, nous travaillons avec les autorités sur un projet de ce type.

Voit-on de nouveaux partenaires industriels émerger dans les projets d’infrastructures ?

Oui. C’est même un phénomène significatif sur notre marché. Dans le secteur de l’électricité, les entreprises du Moyen-Orient comme le libanais Matelec ou le saoudien Acwa sont de plus en plus présents aux côtés des acteurs historiques (Globeleq, ContourGlobal ou EDF). Il y a aussi des industriels africains : le groupe Eranove [dont les actifs sont au Sénégal et en Côte d’Ivoire, et le holding à Paris], des Sud-Africains, comme Sasol ou Gigajoule, qui sortent de leur base pour aller en Afrique australe et au Mozambique, ou encore les sociétés nigérianes Sahara et Seplat, qui font de même en Afrique de l’Ouest. C’est une tendance que nous essayons de favoriser.

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