Analyse : malgré les bons résultats de Poulina, sa dette inquiète

Les revenus du premier groupe privé de Tunisie sont en hausse. Mais ses investissements massifs, réalisés alors que le pays stagnait et que la Libye s’effondrait, l’ont placé dans une situation financière délicate.

Usine de sa filiale El Mazraa, à Nabeul.La hausse des revenus du holding est portée 
par celle des ventes à l’export de sa branche avicole. © SIMON ISABELLE/SIPA

Usine de sa filiale El Mazraa, à Nabeul.La hausse des revenus du holding est portée par celle des ventes à l’export de sa branche avicole. © SIMON ISABELLE/SIPA

Publié le 30 juin 2016 Lecture : 4 minutes.

La reprise est enfin arrivée pour Poulina. Le premier groupe privé tunisien a publié début juin des revenus en hausse de 5 % au titre de son exercice 2015 (contre 1,88 % en 2014), soit 1,6 milliard de dinars (720 millions d’euros), dans un contexte économique qui reste morose après les attentats de Sousse et de Tunis. Mieux, cette tendance, portée par une forte hausse des ventes à l’export (+ 30 %) de la branche avicole, devrait se confirmer pour les années à venir, avec une augmentation du revenu de 6 % par an, selon plusieurs analystes de la Bourse de Tunis.

Malgré ces bonnes nouvelles, un chiffre inquiète les experts : le taux d’endettement du groupe atteint désormais 167 %. « Depuis 2010, où il a dépassé pour la première fois les 100 %, ce ratio ne cesse d’augmenter d’une année à l’autre », souligne Meriem Kaddour, du cabinet AlphaMena, qui suit cette société à la Bourse de Tunis. L’analyste parle d’un groupe « surendetté ».

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Des investissements suscitant l’inquiétude

Une dette contractée pour financer un plan d’investissement massif – 500 millions de dinars au total – destiné à consolider les positions du groupe en Tunisie. Lancées en 2011, alors que l’économie du pays stagnait après la révolution de janvier et que la Libye – alors principal marché à l’export du groupe – s’effondrait, ces dépenses ont d’abord concerné l’aviculture, cœur historique de ce groupe fondé en 1967 (environ 44 % de ses activités), avec la création de nouveaux centres d’élevage pour 120 millions de dinars.

Très peu d’informations sont disponibles sur les retours espérés

Les nouvelles technologies ont aussi bénéficié de ce programme. Holding aux 108 filiales, également présent dans la métallurgie, les biens de consommation, les services ou encore la distribution, Poulina entend se développer fortement dans ce domaine. Il a ainsi inauguré en mai, dans la zone industrielle d’El Agba, près de Tunis, un data center présenté comme le plus grand d’Afrique, pour un montant de 45 millions de dinars.

Mais si les principaux investissements prévus par le groupe jusqu’en 2018 sont bien connus, très peu d’informations sont disponibles sur les retours espérés. Ce qui ne rassure guère les analystes de la Bourse de Tunis. Certains d’entre eux doutent même de la pertinence d’un tel programme. « À quoi ont servi ces investissements et quelle était la rentabilité attendue ? questionne Lilia Kammoun, analyste chez Tunisie Valeurs. Il est probable qu’ils aient créé de la valeur, mais celle-ci a-telle été conforme aux attentes ? Difficile de le savoir… »

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Contacté par Jeune Afrique, le management assure, par la voix du directeur financier, Faouzi Chaieb, que « ces investissements vont prochainement commencer à générer du cash », sans donner plus de précisions. Selon ce dernier, aucune cession importante d’actifs n’est envisagée pour alléger la dette.

« Ce n’est pas à l’ordre du jour, sauf si on nous propose un très bon prix, poursuit-il. Les éventuelles cessions ne concerneront que de petits actifs. » Le groupe n’évoque pas non plus d’augmentation de capital, comme celle intervenue en 2011, soit environ trois ans après l’introduction en Bourse de Poulina.

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Le groupe reste toutefois solvable

Plus que son niveau, c’est le coût de la dette qui inquiète. Les charges financières annuelles atteignent 67 millions de dinars, soit environ deux fois leur niveau de 2010. Elles se rapprochent du montant du résultat net, de 80 millions de dinars en 2015, pourtant en hausse de 10 %. Certes, l’entreprise a troqué l’année dernière certains emprunts de court terme (à environ 6,2 % d’intérêts) pour des crédits de plus long terme (environ 4 %). « Mais la rentabilité de l’entreprise progresse moins vite que les charges financières », note Lilia Kammoun.

Avec pour conséquence de peser sur les dividendes, et donc sur l’attrait du titre. « Certains investisseurs n’arrivent plus à suivre cette grosse machine qui continue d’investir à tout va, poursuit l’analyste. Le titre Poulina (12,3 % de flottant) a perdu son statut de blue chip [valeur phare] à la Bourse de Tunis. »

Ses ventes en Libye s’effondrent alors que le pays sombre dans le chaos

Les bonnes perspectives du groupe en Tunisie devraient cependant assurer un assainissement de ses finances. Certes, la situation est « alarmante, mais le groupe reste solvable », concède Meriem Kaddour. Reste qu’une dégradation est toujours possible dans ce pays, où Poulina a largement recentré ses activités – la Tunisie représente 88 % de son chiffre d’affaires.

De plus, ses ventes en Libye s’effondrent alors que le pays sombre dans le chaos. Sur place, ses dix usines ne tournent que la moitié du temps faute d’électricité. Sans réelles perspectives prometteuses dans les pays voisins, Poulina affiche donc son ambition de se développer en Afrique de l’Ouest. Déjà présent au Sénégal (un investissement de 30 millions d’euros est en cours), le groupe prospecte depuis des mois en Côte d’Ivoire. Mais cette aventure nécessitera elle aussi du temps et des investissements.

UN TITRE DÉCEVANT

À la Bourse de Tunis, l’action Poulina stagne autour de 4,90 dinars par unité, loin du prix de 5,95 dinars fixé lors de l’introduction en Bourse en 2008. Une véritable déception : au cours de la même période, l’indice général de la place tunisienne (Tunindex) a progressé d’environ 80 %. Pire, depuis le début de l’année, le titre a reculé de près de 3 %. Une tendance que les bons résultats pour 2015 n’ont pas infléchie.

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