Sport : vandales et scandales russes

Hooligans ultraviolents, soupçons de dopage à grande échelle, complaisance, voire complicité, des autorités… Ça commence à faire beaucoup. Résultat : les athlètes russes seront privés de JO.

« On élimine un concurrent important et on souille l’image d’un pays », estime Vitali Moutko, le ministre russe des Sports. © DAVID J. PHILLIP/AP/SIPA

« On élimine un concurrent important et on souille l’image d’un pays », estime Vitali Moutko, le ministre russe des Sports. © DAVID J. PHILLIP/AP/SIPA

Alexis Billebault

Publié le 6 juillet 2016 Lecture : 6 minutes.

L’affaire rappelle cette époque pas si lointaine où l’on soupçonnait les pays du bloc de l’Est, sous tutelle soviétique, d’avoir mis sur pied un véritable système de dopage. Le 17 juin, l’Association internationale des fédérations d’athlétisme (IAAF) a confirmé la suspension de la Russie, accusant ses sportifs d’avoir allègrement violé les règles antidopage.

Le Comité international olympique (CIO) lui a emboîté le pas en excluant les athlètes russes des Jeux olympiques de Rio (5-21 août), ainsi que de toutes les autres compétitions internationales. Seuls ceux qui résident à l’étranger et sont en mesure de prouver qu’ils sont « propres » pourront concourir au Brésil.

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Les athlètes déjà soupçonnés

Cette décision ne constitue pas vraiment une surprise. En décembre 2014, lors d’une interview à la chaîne allemande ARD, Vitali Stepanov, employé de l’agence antidopage russe (Rusada) entre 2008 et 2011, et Ioulia Stepanova, spécialiste du 800 mètres, elle-même suspendue pour avoir utilisé des produits interdits, avaient expliqué que, dans leur pays, le dopage était institutionnalisé. Leurs déclarations avaient poussé l’Agence mondiale antidopage (AMA) à former une commission d’enquête.

Le couple, qui vit en exil, n’avait fait que confirmer les nombreux soupçons qui pèsent sur le sport russe. « On ne peut pas atteindre ses objectifs sans se doper. C’est comme cela que ça marche chez nous », avait résumé Vitali Stepanov. La lanceuse de disque Evguenia Pescherina avait, elle, affirmé que « 99 % des athlètes russes se dopent », sans préciser si elle s’incluait dans cet effarant pourcentage.

Puis ce fut au tour de la marathonienne Lilia Schobuchova de raconter comment un entraîneur (Alexeï Melnikov) lui avait permis, moyennant 450 000 euros, de participer aux JO de Londres en 2012 en trafiquant des échantillons sanguins que l’IAFF jugeait suspects.

La culture bien ancrée de tolérance (ou pire) pour le dopage qui a mené à la suspension de la Fédération russe d’athlétisme n’a pas fondamentalement changé. Les entraîneurs et certains athlètes ne veulent toujours pas admettre qu’il y a un problème, les contrôles restent difficiles à effectuer et une structure antidopage efficace n’a toujours pas été créée, selon Rune Andersen

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De nombreuses tentatives d’évitement des tests

D’autres disciplines seraient concernées. Ainsi, la tenniswoman Maria Sharapova a été suspendue deux ans pour avoir pris du meldonium, un produit prohibé. Le Times et la Frankfurter Allgemeine ont révélé ce 17 juin que Grigory Rodchenkov, l’ancien directeur du laboratoire russe antidopage, et Nikita Kamaïev, qui présidait la Rusada à l’époque, déjà impliqués dans le scandale de l’athlétisme, avaient tenté de corrompre la fédération russe de natation avant les Jeux de Londres.

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Il s’agissait alors, moyennant finances, d’éviter à des nageurs de se plier à des tests. Kamaïev et Viatcheslav Sinev, patron de la Rusada de 2008 à 2010, ne pourront plus témoigner : tous deux sont opportunément décédés à deux semaines d’intervalle, en février dernier.

Quant à Rodchenkov, il a récemment affirmé depuis son exil américain que le ministère russe des Sports avait fait en sorte que les résultats des tests effectués avant les mondiaux d’athlétisme de 2013 disparaissent. Les sportifs russes auraient même reçu la bénédiction de Vitali Moutko, leur ministre de tutelle (également président de la fédération russe de football), et l’appui des services secrets.

Le dopage, un scandale politique 

À la suite de ces révélations, l’AMA a diligenté une enquête, dont les conclusions sont attendues le 15 juillet. À en croire le Canadien Dick Pound, ancien patron de l’AMA, elle pourrait déboucher sur « une exclusion totale de l’équipe de Russie des JO ». Menace en l’air, ou nouveau coup de tonnerre ?

Vladimir Poutine joue sur la nostalgie des empires russe et soviétique

« À partir du moment où les services secrets sont impliqués, on peut parler de dopage d’État, souligne pour sa part le Français Patrick Clastres, professeur d’histoire du sport à l’université de Lausanne. Vladimir Poutine joue sur la nostalgie des empires russe et soviétique. Le pays étant affaibli sur le plan économique, il se sert du nationalisme sportif pour consolider son pouvoir.

Et adresse par la même occasion un message à la communauté internationale. Sa diplomatie du muscle est une démonstration symbolique de machisme et de puissance. D’ailleurs, Poutine aime se mettre en scène et parader comme s’il était le premier sportif du pays. Les autorités répondent aux accusations de dopage en criant à un complot international et en attirant l’attention sur le système de dopage organisé dans les ligues professionnelles aux États-Unis. »

Violences lors de rencontres sportives

Il n’y a hélas pas que les sportifs qui posent problème : les supporters ne sont pas en reste… En l’occurrence, des hooligans bien encombrants, comme ceux qui ont sévi lors de l’Euro 2016. Un mois après les événements, Marseille, qui en a pourtant vu d’autres, n’en revient toujours pas. Certes, sur la Canebière, on craignait des débordements à l’occasion du match Angleterre-Russie (1-1), disputé au Stade Vélodrome le 11 juin.

Les Anglais ont inventé le hooliganisme, et des hooligans d’autres pays, dont les Russes, veulent affirmer leur suprématie

Mais cette rencontre classée à risques a été précédée de violences d’une ampleur inédite, qui se sont poursuivies dans l’enceinte sportive juste après l’égalisation de la Sbornaïa, dans les dernières secondes. Des hooligans russes, mobiles, organisés et sobres (oui, ça arrive), ont attaqué des groupes d’Anglais en différents endroits de la ville, laissant sur le carreau plusieurs sujets de Sa Gracieuse Majesté, dont certains, qui ne sont pourtant pas des enfants de chœur, ont été hospitalisés dans un état grave.

« Les Anglais ont inventé le hooliganisme, et des hooligans d’autres pays, dont les Russes, veulent affirmer leur suprématie. À Marseille, il y avait surtout des fans, venus pour boire, assister au match, et accessoirement se battre. Les Russes les ont frappés de manière très violente, si l’on en juge par la gravité des blessures infligées à certains Britanniques, qui, souvent imbibés d’alcool, étaient dans l’impossibilité de se défendre.

Or, selon les codes en vigueur dans ce milieu, on ne doit pas utiliser d’arme ni s’acharner sur un adversaire à terre. Ce qui n’a pas été le cas le 11 juin », souligne Nicolas Hourcade, sociologue à l’École centrale de Lyon et spécialiste du hooliganisme. Petro Porochenko, le président de l’Ukraine, a quant à lui déclaré sur la chaîne i>Télé le 21 juin que ces hooligans étaient « préparés, entraînés » et qu’« ils tuent ».

Violences chez les supporters

Les scènes qui ont mis Marseille à feu et à sang ont rappelé que la Russie, comme d’autres pays de l’est de l’Europe, est confrontée à ce problème depuis des années. « Mais là-bas, cette violence éclate surtout loin des stades, où l’on recense plutôt des actes de racisme. Ce qui s’est passé à Marseille, avec des bagarres en centre-ville et dans le stade, est très rare en Russie. On peut dire sans exagérer que les autorités russes laissent les hooligans se battre entre eux le plus loin possible, à l’écart de la population. Ils considèrent que ces individus pratiquent une sorte de sport collectif et sont quasiment des professionnels de la bagarre », ajoute le sociologue.

Ces voyous gravitent pour la plupart dans l’entourage de certains clubs moscovites (Spartak, Lokomotiv, Dynamo, CSKA, Torpedo…) et organisent des combats en marge des matchs de championnat, sans être forcément politisés. « Certains sont liés à l’extrême droite ou à des partis nationalistes, mais ce n’est pas toujours le cas. »

Après les graves incidents de Marseille, qui ont entraîné l’expulsion du territoire français de plusieurs hooligans, dont l’ultranationaliste Alexandre Chpryguine, président de l’Association des supporters russes – ce qui ne l’a pas empêché de revenir assister au match perdu le 20 juin face au Pays de Galles -, certains responsables russes ont adopté une stratégie de communication très ambiguë.

« Une partie des autorités ont fait preuve de complaisance, allant jusqu’à cautionner ces violences. Une frange de la population russe considère que les Occidentaux sont russophobes et que les faits ont été exagérés », rapporte une journaliste française en poste en Russie. Le pays, qui organisera le Mondial en 2018, devra alors gérer ses propres hooligans, en plus de ceux venus de l’étranger. « Les Russes sauront faire face, mais ce qui s’est passé en France prouve que le phénomène est loin d’être mineur », conclut-elle.

La suspension des athlètes russes pour les JO, les violences survenues lors de l’Euro, l’élimination de la sélection nationale dès le premier tour et les retards pris dans les travaux de certains stades qui accueilleront la prochaine Coupe du monde ont terni l’image de la Russie. Il en faudrait bien davantage pour faire vaciller le tsar Poutine…

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