Burkina – Djibrill Bassolé : « Je ne peux pas flancher »

Rencontré à la Maison d’arrêt et de correction des armées de Ouagadougou, l’ancien ministre des Affaires étrangères, qui n’a rien perdu de son flegme après onze mois de prison, se dit impatient de pouvoir s’expliquer lors d’un procès.

Loin du costume officiel (ici à Paris, le 24 mars 2015), c’est désormais tout de jean vêtu qu’il reçoit à la Maca. © Camille Millerand pour JA

Loin du costume officiel (ici à Paris, le 24 mars 2015), c’est désormais tout de jean vêtu qu’il reçoit à la Maca. © Camille Millerand pour JA

Publié le 29 août 2016 Lecture : 7 minutes.

Il a fallu s’y faire. Le confort n’est pas celui des hôtels cinq étoiles auxquels il était habitué lorsqu’il dirigeait la diplomatie du pays ou qu’il menait des négociations au nom de l’ONU. Militaire de formation, général de gendarmerie depuis 2014, il a su « s’adapter », commente-t-il en souriant. Le 29 août, cela fera exactement onze mois que Djibrill Yipènè Bassolé a été arrêté. Soupçonné d’avoir soutenu le coup d’État manqué du 17 septembre 2015 mené par le général Gilbert Diendéré (lui-même arrêté le 1er octobre), il a très vite été inculpé, puis écroué.

Parmi les charges retenues contre lui : « attentat contre la sûreté de l’État », « trahison », « association de malfaiteurs », « fourniture de moyens financiers », « meurtre », « dégradation volontaire aggravée de biens » et « coups et blessures volontaires ».

Détenu politique pris en otage »

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En cette matinée du mois d’août, où il reçoit à la Maison d’arrêt et de correction des armées (Maca) de Ouagadougou, l’ancien ministre des Affaires étrangères n’a rien changé à sa version. « Je n’ai pas fait ou tenté de coup d’État. J’ai, bien au contraire, tout fait pour éviter les affrontements entre le Régiment de sécurité présidentielle (RSP, les putschistes, NDLR) et le reste de l’armée », déclare-t-il.

Tout de jean vêtu, avec ses éternelles lunettes teintées sur le nez, Bassolé, 58 ans, n’a rien perdu de son flegme diplomatique. Il pèse chacun de ses mots. Il sait sa situation délicate mais se dit plus déterminé que jamais. « Je ne peux pas flancher », explique celui qui se considère comme un « détenu politique, pris en otage. Je subis ce sort à cause de ce que je suis, un adversaire politique que l’on cherche à neutraliser ».

Bien traité

À la Maca, Bassolé reçoit beaucoup. Des proches, des amis de longue date, des soutiens, qui viennent s’entretenir avec lui sous un manguier, où quatre chaises en plastique bleu ont été disposées en guise de parloir. Le général Diendéré, incarcéré non loin de là, bénéficie d’un traitement semblable. Les deux hommes ne se voient guère, malgré la proximité, et ne sont pas autorisés à communiquer entre eux, confie l’un des nombreux militaires qui montent la garde à l’extérieur de la Maca. Les deux généraux ont le privilège, de par leur rang, d’avoir leur propre case (un « quartier » en compte six).

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« Ne vous inquiétez pas, ils ne peuvent pas être maltraités ici, lance en aparté un militaire. Nous, on pourrait mourir pour eux ! » Dans un coin, certains débattent et critiquent notamment la corruption dans l’armée. Plus loin, près d’un quartier, un poulailler s’anime alors qu’un gros chien entre dans la cour. « Non, il est vacciné ! Y a rien, y a rien, y a pas maladie dedans ! » s’écrie un militaire pour rassurer l’assistance. Il le repousse vers la sortie.

Impassible, l’ancien ministre nous confie qu’il prie et jeûne souvent, mais qu’il fait aussi beaucoup de sport. Il s’informe régulièrement de l’actualité de son pays mais aussi de celle du voisin ivoirien.

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Surtout, il se refait le déroulé des mois qui ont suivi la chute de Blaise Compaoré, avec lequel on le dit en froid. Ce que Bassolé réfute : « Il n’y a pas de brouille entre nous, pas de mon côté en tout cas, même si j’ai moi aussi entendu cette rumeur. » Un proche des deux hommes témoigne : « Quand Blaise est tombé, Djibrill a eu quelques propos un peu maladroits ou ambigus à son égard. Mais ils se sont très vite et longuement expliqués. Je crois qu’ils se sont compris. »

 Zida, personnage incontournable sa chute

Dans cette rétrospective personnelle, un nom et un moment reviennent en boucle : la prise de pouvoir par Isaac Zida. « C’est de là que sont partis tous les problèmes », commente l’ex-candidat à la présidence, sans toutefois s’étendre davantage. Ses proches, quant à eux, sont plus prolixes. Nommé Premier ministre de la transition, fin 2014, Zida, alors lieutenant-colonel (avant d’être nommé général l’année suivante) a, selon eux, voulu « assouvir une ambition personnelle, quitte à sacrifier son ancien camp, les proches de Blaise Compaoré et son ancien régiment, le RSP.

Ce dernier a ainsi réagi pour arrêter la machine Zida. Les putschistes n’ont fait cela ni pour Blaise ni pour Diendéré, mais pour éviter le sort que Zida leur réservait. Ce qui a ensuite pris l’allure d’une tentative de coup d’État qui n’en était pas une en réalité ». Pour sa part, Bassolé estime que « la transition a trouvé dans cet épisode l’occasion rêvée de couper toutes les têtes qui dépassaient et qui la gênaient, dont la mienne. »

Une version des faits qu’il faudra évidemment confronter avec celle d’Isaac Zida, dont le mandat est disséqué depuis plusieurs mois par la justice burkinabè, qui découvre chaque fois plus de dossiers suspects, allant du blanchiment d’argent à l’acquisition frauduleuse de biens. Bien sûr, il devra s’expliquer si toutefois il se décide un jour à rentrer de ses vacances prolongées aux États-Unis et au Canada, où sa famille s’est installée depuis la période de la transition…

Un retour qu’il n’a pas encore entrepris de faire malgré la fin de sa « permission » et les injonctions des autorités. Dans le camp Bassolé, l’attitude de Zida sidère autant qu’elle révolte : « Il y avait pourtant un deal. Djibrill soutenait Zida pendant la transition et, lui, le positionnait pour la présidentielle. Sachant que les ambitions personnelles de Zida seraient aussi prises en compte, en faisant en sorte que Djibrill ne fasse, par exemple, qu’un seul mandat. »

Des enregistrements téléphoniques « truqués », affirme Bassolé 

Qu’en est-il alors de la supposée conversation téléphonique entre Bassolé et le président de l’Assemblée nationale ivoirienne, Guillaume Soro, qui a été l’élément déclencheur de son arrestation ? Dans cet échange téléphonique, diffusé le 12 novembre sur les réseaux sociaux – il circulait déjà depuis plusieurs semaines sous le manteau –, on y entend Soro proposer une aide logistique et financière pour soutenir les putschistes.

Tout comme l’Ivoirien, Djibrill Bassolé a nié en bloc et dénoncé, par l’intermédiaire de son collectif d’avocats (dont les Burkinabè Me Dieudonné Bonkoungou, Me Antoinette Ouédraogo et les Français Me Alexandre Varaut et Me William Bourdon), une « manipulation », un « trucage ». Une thèse renforcée par une expertise privée, menée en début d’année, et qui a indiqué que l’enregistrement n’était « pas authentique au sens technique et acoustique du terme », car comportant une quarantaine de ruptures ou d’altérations sonores artificielles.

Aujourd’hui, Bassolé insiste : lui et Guillaume Soro « se connaissent depuis de nombreuses années », depuis l’époque de la rébellion ivoirienne, ils se sont toujours parlé et se sont évidemment beaucoup téléphoné lors des événements au Burkina. Mais cette fameuse conversation, il ne « se souvient pas l’avoir eue. Ces écoutes sont truquées, manipulées ».

Une affaire complexe

L’ancien ministre se dit même « impatient » de pouvoir s’expliquer lors d’un procès. Mais à quelle date ? Interrogé par JA en juillet sur la date dudit procès, le président Roch Marc Kaboré avait déclaré qu’il souhaitait que cette affaire « soit réglée le plus rapidement possible, avant la fin de l’année », mais il a toutefois précisé que c’était à la justice de fixer ces délais. Ces derniers mois, si l’enquête a progressé pour différents acteurs de ce dossier – la justice a renoncé en juin au mandat d’arrêt contre l’Ivoirien Guillaume Soro, alors que 33 des 77 inculpés ont été progressivement mis en liberté provisoire –, le cas de Djibrill Bassolé a pris un autre tournant.

L’ex-ministre continue de batailler avec la justice militaire pour obtenir le droit d’être défendu par des avocats étrangers (gagnée en cassation et devant la Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest), pour invalider les écoutes téléphoniques et les sortir du dossier (toujours en cours), et pour obtenir une remise en liberté provisoire (rejetée le 12 août). Comme l’a confirmé son avocat Me Bonkoungou à Jeune Afrique, son client est visé depuis juin par un chef d’inculpation supplémentaire : « incitation à commettre des actes contraires au devoir et à la discipline ».

« La justice militaire joue la montre, explique l’avocat. Ce dossier est vide, suspendu à une seule conversation supposée, dont nous contestons la validité. Personne ne veut nous dire par qui ces écoutes ont été autorisées ni comment elles ont été obtenues.

Nous avons aussi demandé les bandes originales, ce qui nous a été refusé. Imaginez un peu que cela arrive à n’importe quel autre citoyen burkinabè, qu’il soit écouté en dehors de tout cadre juridique, quelles que soient les conditions physiques ou psychiques dans lesquelles il se trouve, et que ces éléments soient utilisés, sous une forme modifiée, contre lui devant un tribunal. C’est une aberration judiciaire ! » Et certains détracteurs du régime de Compaoré de s’interroger : « N’ont-ils pas eux aussi écouté illégalement des personnalités lorsqu’ils étaient au pouvoir ? (…) C’est un juste retour de bâton ! »

Il est 10 heures, et la première série de visites se termine à la Maca. Chacune ne peut excéder une quinzaine de minutes pour chaque groupe de vingt visiteurs. Alors que le prochain s’approche, Bassolé continue de compter les jours les yeux rivés sur la sortie.

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