Lagos – Abidjan : mille kilomètres, cinq pays, cinq jours

Promis il y a déjà vingt ans, le corridor reliant le Nigeria et la Côte d’Ivoire se fait toujours attendre. Mille kilomètres, cinq pays, cinq jours… Reportage entre la quiétude des plages et le calvaire des frontières.

Tôt le matin, dans la circulation de l’ancienne capitale nigériane. © Ruth McDowall pour JA

Tôt le matin, dans la circulation de l’ancienne capitale nigériane. © Ruth McDowall pour JA

Publié le 8 septembre 2016 Lecture : 14 minutes.

La gare routière de Kaneshie jouxte le marché. © Ruth McDowall
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Road Trip entre Lagos et Abidjan

Promis il y a déjà vingt ans, le corridor reliant le Nigeria et la Côte d’Ivoire se fait toujours attendre. Mille kilomètres, cinq pays, cinq jours… Reportage entre la quiétude des plages et le calvaire des frontières.

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Elle roule des yeux comme certaines balancent des hanches. Du genre insolente, qui vous dit de passer votre chemin lorsque vous êtes une femme. Mais tente de vous hypnotiser si vous êtes un homme. La jupe est courte, le teint rendu blafard par un maquillage trop chargé, les ongles vernis d’un rouge pétant. Appelez-la Eugénie. Assise au bar de ce grand hôtel de Lagos, sirotant son verre, elle patiente. Elle vient « deux ou trois soirs par semaine ».

Et à chaque fois, la combine fonctionne : attendre qu’un client esseulé du luxueux établissement s’arrête enfin, lui faire la conversation et « aller plus loin s’il en a envie ». Ce n’est pas de la prostitution, assure-t‑elle. Cela lui permet de « rencontrer des hommes d’un certain standing » et « de recevoir des cadeaux, de se payer des choses ». Son petit business, Eugénie l’assume. Il lui permettra « un jour » d’en lancer un plus grand, de créer sa propre marque de vêtements.

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Lagos, ville aux mille rêveurs

Aucune chance que ses parents soient au courant de son activité nocturne : « This is Lagos », dit-elle en souriant. Dans cette mégalopole de 20 millions d’habitants, la plus peuplée d’Afrique, on peut se dédoubler, segmenter sa vie et en cacher certains aspects.

Avec son chaos organisé, ses gratte-ciel et ses bidonvilles, ses milliers de « kéké » (tricycles à moteur) et ses 4×4 luisants, ses supermarchés et ses vendeurs ambulants, son bruit de générateur permanent et ses coupures de courant, ses bo uchons et ses trajets interminables, ses innovations quotidiennes et ses archaïsmes inattendus, ses caricatures et, finalement, son exceptionnelle singularité, Lagos l’ogresse absorbe tout. Les espoirs, surtout. Pour vous les rendre, concrétisés ou anéantis, c’est selon.

Les hommes se tiennent devant des cercueils personnalisés qu'ils font, à Teshie , Accra, Ghana © Ruth McDowall

Les hommes se tiennent devant des cercueils personnalisés qu'ils font, à Teshie , Accra, Ghana © Ruth McDowall

« Work hard, play hard » (« travailler dur pour profiter à fond »), aiment à répéter les jeunes cadres en pleine ascension. Tout dans leur environnement les pousse à adopter cet adage américain : les panneaux publicitaires vantant le dépassement de soi, les émissions de coaching à la radio ou à la télé « pour changer de vie », les prêches dans les églises glorifiant l’ambition… ou tout simplement les près de 20 000 millionnaires (en dollars) que compte la ville, avec leurs luxueuses demeures de Victoria Island (VI).

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« Lagos, c’est comme New York ! Tout est possible ici », s’exclame Kunle Afolayan, célèbre réalisateur nollywoodien. Enfant de la capitale économique, il ne peut d’ailleurs s’en « éloigner trop longtemps sans déprimer ». Totalement décomplexé, il incarne à merveille cette élite créatrice nigériane fière de ses racines (yorubas dans son cas), dont les œuvres irriguent toute la sous-région et se propagent même au-delà. Plus un foyer qui ne connaisse Nollywood, plus une fête sans une chanson de P-Square ou de Davido, plus un mariage sans foulard attaché à la nigériane, plus une étudiante qui n’ait entendu parler des romans de Chimamanda Ngozi Adichie…

 Lagos, c’est comme New York ! Tout est possible ici

La culture nigériane en pleine avancée sur le continent

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Afolayan s’est illustré en juin dernier en organisant l’avant-première de son dernier film, The CEO, à bord d’un avion Air France reliant Lagos et Paris. Prochaine étape : sa sortie dans plusieurs pays voisins, comme la Côte d’Ivoire ou le Cameroun. « Il est important d’avoir une vision panafricaine de notre industrie pour que celle-ci se développe davantage et que nos films puissent compter au niveau mondial », affirme-t‑il.

Tout comme Eugénie, en bon Lagotien, il voit plus grand. Mais personnellement, et paradoxalement, il dit réaliser ses films pour le marché nigérian, ne pas avoir vraiment conscience du soft power exercé par le Nigeria dans la sous-région et même n’en avoir cure. Il se souvient aussi de son enfance aux côtés de son réalisateur de père (Adeyemi Afolayan, disparu en 1996), très célèbre et pourtant obligé de se rendre lui-même au Bénin ou au Togo pour montrer ses films, patientant « de longues heures » aux frontières pour obtenir le fameux laissez-passer. « J’adorerais refaire cette route avec des amis pour voir si la situation a évolué. »

Des enfants reçoivent une leçon de surf à Busua , Ghana © Des enfants reçoivent une leçon de surf à Busua , Ghana

Des enfants reçoivent une leçon de surf à Busua , Ghana © Des enfants reçoivent une leçon de surf à Busua , Ghana

Hélas ! La promesse d’un corridor de plus de 1 000 km, drainant plus de 75 % des activités économiques de l’espace Cedeao, formulée il y a presque deux décennies par la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Togo, le Bénin et le Nigeria, n’a toujours pas été tenue.

« De nombreux jalons ont été posés, estime Mamady Souaré, chargé de la division des infrastructures régionales au sein de la BAD, à Abidjan. Les présidents des cinq États ont signé un traité en mars 2014 à Yamoussoukro, tous les pays ont exécuté des travaux sur certaines sections de routes parmi les plus dégradées, la Banque mondiale a mis en place un financement [la première phase, de 228 millions de dollars (plus de 200 millions d’euros), concerne le Ghana, le Togo et le Bénin ; la deuxième, estimée à 89,5 millions de dollars, couvrira la Côte d’Ivoire et le Nigeria]. Mais il ne faut pas perdre de vue la complexité de ce type de projets transfrontaliers, qui nécessitent l’implication de nombreux acteurs. »

Contrôles de police

Il est 6 h 30 du matin à la gare de Mile 2, sur Mainland. Lagos ne dort pas. Le soleil est à peine levé, les klaxons résonnent déjà. Tous les chauffeurs de taxi sont sur le pont. Mais à cette heure-ci, pas encore d’humeur à se lancer dans des négociations de boutiquier. Ce sera 1 000 nairas (un peu moins de 3 euros) pour se rendre à Badagry, à l’ouest, via l’autoroute. Quatre voyageurs s’entassent dans la petite voiture.

Parmi eux, une vendeuse de sous-vêtements qui va chercher sa marchandise près de la frontière béninoise. « Vous ne connaissez pas cette route, hein ? demande-t‑elle, presque amusée. C’est l’une des pires du pays, un cauchemar. Vous auriez mieux fait de prendre l’avion, si vous en aviez les moyens. »

Au bout d’une heure, la voiture est arrêtée pour un contrôle de police inopiné. Ils sont une dizaine, munis chacun d’un club de golf dont ils se servent pour arrêter violemment les véhicules récalcitrants, et de sifflets assourdissants. Pour compléter la panoplie, certains portent même des gants blancs. Un véritable western, version « naïja » (Nigeria, en argot), sauce égusi. Les étrangers sont débarqués pour un contrôle plus poussé dans une cabane en bois.

La violence verbale des policiers en décontenance beaucoup. « Pas de papiers, pas d’argent, tu restes ici », hurle l’un d’eux à une jeune Togolaise et à ses deux enfants. « S’il vous plaît, pardon, je vous en supplie ! » répète-t‑elle. « Il n’y a pas de pardon, ici ! » lui répond-on. « Avec le terrorisme, Boko Haram dans le Nord, les pirates au sud, ils ont augmenté les contrôles », justifie l’un des agents. Le film continue. En moins de trente minutes, la scène se répète quatre fois. Même questions, mêmes clubs de golf, mêmes engueulades.

Un moto-taxi sur la route de Cotonou et à Porto Novo © Un moto-taxi sur la route de Cotonou et à Porto Novo

Un moto-taxi sur la route de Cotonou et à Porto Novo © Un moto-taxi sur la route de Cotonou et à Porto Novo

Le tourisme à la traine et racket décomplexé

À Badagry, ville côtière et ancien haut lieu de la traite négrière, loin de la cohue lagotienne, on tente de sauvegarder le passé. Avec beaucoup de difficulté. Les vieilles bâtisses d’influence portugaise s’effondrent les unes après les autres, tout comme les cases du musée de l’Esclavage. Femi, l’un des rares guides touristiques de la ville, s’en désole.

« Les politiques ne croient pas vraiment au tourisme, ils ne pensent qu’au pétrole, assure-t‑il. Auparavant, des écoliers et des étudiants de tout le pays venaient ici, comme à Gorée, au Sénégal. Mais aujourd’hui, plus personne n’étudie l’histoire dans ce pays. Ils veulent tous avoir un MBA et travailler dans une banque ! » Le gouverneur de l’État de Lagos, Akinwunmi Ambode, a beau avoir annoncé le mois dernier un plan de développement de la ville pour en faire un « hub touristique dans les vingt-quatre mois » incluant un port, des centres commerciaux et des hôtels, ici personne n’y croit vraiment. Dans le musée, des familles ont même fini par louer certaines des cases d’esclaves et vivent au beau milieu d’objets historiques, sans sourciller.

La frontière avec le Bénin n’est qu’à trente minutes. De réputation, c’est l’une des pires de la sous-région : « Vautour Land », comme on la surnomme. Avec, ici aussi, des clubs de golf, quand il ne s’agit pas de barres de fer.

Ce n’est pas de la corruption, lance un contrôleur. C’est l’Afrique !

Arrêté à chaque mètre par un individu qui n’a ni titre ni uniforme mais s’improvise policier ou douanier, vous passez des contrôles sanitaires. Pour entrer par voie aérienne au Nigeria, on vous a simplement demandé d’être vacciné contre la fièvre jaune. Pour en sortir par voie terrestre, il faut l’être contre la méningite, la rougeole, ou bien d’autres maladies dont vous n’avez parfois jamais entendu parler.

Badagry, ancien point de passage de la traite négrière. © Ruth McDowall pour JA

Badagry, ancien point de passage de la traite négrière. © Ruth McDowall pour JA

Sinon, c’est 2 500 nairas par vaccin manquant. « Ce n’est pas de la corruption, lance un contrôleur. C’est l’Afrique ! » Il faudra l’intervention d’un agent de l’immigration pour débloquer la situation : « Vous devez arrêter cela ! C’est l’image du pays et de l’État qui est en jeu ! » Réponse des bergers à la bergère : « Et l’État, il fait quoi pour nous ? On ne travaille pas pour lui mais pour nous. Pas d’argent, pas de sortie ! » Pas le choix.

« Ils sont comme ça ! On dirait que vous transportez le Nigeria sur vous et que vous vous enfuyez avec », s’amuse un frontalier béninois, devant les mines déconfites qui se succèdent, atteignant enfin la terre dahoméenne au bout de trois heures. Avec un passeport Cedeao ou avec un visa, les formalités prennent dix minutes. En anglais, en français, en fon ou en yoruba, le business transfrontalier bat son plein.

L’économie béninoise affectée par la cute du Naira

On échange ses derniers nairas, à regret : ce jour-là, 1 000 pour 1 700 F CFA (2,60 euros) au marché noir. « Il y a trois ou quatre mois, vous auriez eu presque 3 000 F CFA, nous assure notre nouveau chauffeur, Ludovic. Tout tourne au ralenti aujourd’hui. » Le 15 juin, la Banque centrale du Nigeria a décidé de dévaluer sa monnaie afin de ranimer son économie, en pleine crise à cause de la chute des cours mondiaux du pétrole (lequel représente près de 70 % des revenus de l’État).

Un conducteur cotonois cherche des candidats au départ vers le Togo. © Ruth McDowall

Un conducteur cotonois cherche des candidats au départ vers le Togo. © Ruth McDowall

Les conséquences ont été immédiates sur le « frère siamois » (expression utilisée par Patrice Talon, le nouveau président béninois, lui-même) : chute des exportations vers le Nigeria, puisque les produits béninois sont devenus trop chers, donc baisse des recettes douanières et fiscales. Et pendant ce temps-là, les consommateurs et les importateurs béninois se pressent chez le grand voisin pour profiter de leur pouvoir d’achat, qui y est subitement devenu plus important.

Ce jour-là, Porto-Novo, la capitale, souvent négligée au profit de Cotonou, le poumon économique, s’est vêtue de ses plus beaux atours. La fête nationale a lieu dans quelques jours, le 1er août. Les drapeaux flottent sur le pont qui relie les deux capitales et sur les grandes artères. Mais ce n’est pas assez pour estomper le sentiment d’énorme gâchis qui émane de la ville. Là aussi, comme à Badagry, le patrimoine historique afro-brésilien s’effondre dans une étonnante indifférence. Rares sont ceux capables de vous indiquer l’emplacement de la grande mosquée, joyau architectural du début du XXe siècle.

À Cotonou, aux abords du stade de l’Amitié-Mathieu-Kérékou, chacun crie sa destination sur ce qui sert normalement de bande d’arrêt d’urgence : « Ouidah ! Comè ! Grand Popo ! Lomé ! » Sur ce petit coin de la côte ouest-africaine, les distances entre les pays sont si courtes et les brassages entre populations, si importants, que les allers-retours sont incessants. De quoi faire baisser le prix des trajets : 3 000 F CFA jusqu’au Togo.

Retour au calme et au « cool » à Lagos

À bord de notre voiture, une jeune maman ivoirienne et son bébé. Elle veut arriver au pays au plus tard le lendemain soir. Une autre passagère, une jeune Congolaise vivant au Bénin, va, elle, rendre visite à sa sœur au Ghana. Environ 320 km séparent Cotonou d’Accra, via Lomé. Théoriquement, sans compter le temps de passage aux frontières, le voyage peut s’effectuer en cinq à six heures.

Changement d’ambiance à la frontière avec le Togo. Des deux côtés, des agents aux uniformes bleus proprets tiennent à faire leur job correctement. Et posément. Surtout ne pas bousculer l’ordre établi. Ici, tous se connaissent, du mendiant au commerçant, en passant par ce vendeur ambulant qui, chaque jour, passe à la même heure et feint la folie pour ne pas subir de contrôle. Aux murs, les photos officielles des présidents : celle, toute nouvelle, de Patrice Talon, et celle, plus poussiéreuse, de son homologue togolais, Faure Gnassingbé, au pouvoir depuis onze ans. Les deux hommes se connaissent très bien. En mars, Patrice Talon a réservé son premier déplacement à l’étranger à son voisin.

À Accra, des cercueils insolites, un commerce à la réputation mondiale. © Ruth McDowall

À Accra, des cercueils insolites, un commerce à la réputation mondiale. © Ruth McDowall

Une cinquantaine de kilomètres et une heure plus tard, Lomé, ville postfrontière. En cette après-midi, la paisible capitale est presque grippée. Il fait une petite vingtaine de degrés, et le léger brouillard mange les feuilles des palmiers qui longent la route côtière.

Les voyageurs se séparent, et chacun enfourche une moto-taxi. Il faut faire vite, le soleil se couche, et la frontière entre le Togo et le Ghana ferme à 22 heures, officiellement, pour ne rouvrir qu’à 6 heures du matin. « Vous n’avez qu’un visa de transit de deux jours, s’étonne le frontalier. Comment pensez-vous découvrir le Ghana en si peu de temps ? Je vous en donne trois de plus ! » En vingt minutes, et sans débourser un cedi ghanéen supplémentaire, l’affaire est réglée.

Un avant-goût de la « capitale africaine du cool », selon le New York Times. À Accra, direction le quartier central et animé d’Osu. Au Republic, le bar du moment, le cocoroco (mélange de jus de bissap, de gingembre et de rhum) est déjà sur toutes les tables. Ce soir-là, le DJ est français. Les tubes un peu datés de Magic System, ceux du rappeur parisien d’origine sénégalo-guinéenne MHD et du Camerounais Franko ne font pas vraiment recette.

La gare routière de Kaneshie jouxte le marché. © Ruth McDowall

La gare routière de Kaneshie jouxte le marché. © Ruth McDowall

Un peu plus tard, au Plot 7, un night club du même quartier, c’est champagne français, vodka et cocktails sophistiqués. Tenues moulantes, jeans, casquettes. Mouvements coordonnés, regards séducteurs et popotins. Ici, l’ambiance est nigériane.

Exit les préjugés que le Ghana entretient d’ordinaire sur son grand rival anglo-saxon dans la région (et réciproquement). Entre deux verres, « repats » (ces membres de la diaspora qui reviennent tenter leur chance au pays), expats ou enfants du pays se racontent leurs parcours et louent la qualité de vie dans un pays qui traverse pourtant depuis près de deux ans une double crise, économique et énergétique.

Les délestages et les factures d’électricité de plus en plus élevées (60 % de hausse depuis décembre), Silas, rencontré dans la banlieue d’Accra, ne les supporte plus. À 18 ans, il rêve encore d’être footballeur. Mais il est obligé de soutenir son père, qui tient depuis vingt-cinq ans un business très courant dans la région et rendu célèbre dans le monde entier par de nombreux reportages : la fabrication de cercueils insolites. Environ 2 200 cedis (près de 500 euros) pour être enterré dans un appareil photo, un sèche-cheveux ou une bouteille de Coca-Cola.

Cinq heures de route et 6 euros jusqu’aux plages de Busua. © Ruth McDowall pour JA

Cinq heures de route et 6 euros jusqu’aux plages de Busua. © Ruth McDowall pour JA

Pour échapper à ce quotidien quelque peu funèbre, Silas aime souvent prendre le large à Busua, à l’extrême sud-ouest du pays, sur la route qui mène en Côte d’Ivoire. Compter cinq heures de route pour 6 euros dans un bus d’une soixantaine de places.

Un conducteur improvisé pasteur se lance dans un prêche enflammé d’une demi-heure rythmé par les « Amen ! » d’un auditoire très attentif. Au Ghana, comme dans le reste des pays de la côte, on ne badine pas avec la religion : « Prie ! » nous intime une vieille dame. Les messages évangéliques s’affichent partout, à peine estompés par les très, très nombreuses affiches de campagne du président, John Dramani Mahama, qui espère être réélu pour un second mandat en décembre. Busua est une étonnante petite ville de pêcheurs où le surf est roi.

Les amis de Silas vivent aujourd’hui de ce sport, qu’ils ont découvert grâce aux touristes occidentaux, de plus en plus nombreux ces dernières années. « C’est le seul apport positif de ces étrangers ! vitupère l’un d’eux. Ils viennent ici pour se saouler et pour avoir des relations sexuelles avec des jeunes femmes ou des hommes. »

Depuis ce sud ghanéen, il faut à peine deux heures et demie pour rejoindre la capitale économique ivoirienne, Abidjan. Passer la frontière, coincée entre les forêts majestueuses et les plages de sable fin, est une formalité. Mais, plus loin, le chauffeur de notre gbaka (minicar) prévient : « Il y aura sûrement un ou deux check-points de la gendarmerie. Que ceux qui n’ont pas leurs papiers préparent 2 000 F CFA, je ne veux pas de problèmes et je ne veux pas traîner ! » Le premier et unique contrôle surgira au bout de dix minutes. Les gendarmes récolteront 8 000 F CFA. Rentable.

À l’extrême sud-ouest du Ghana, Busua, le paradis des surfeurs. © Ruth McDowall pour JA

À l’extrême sud-ouest du Ghana, Busua, le paradis des surfeurs. © Ruth McDowall pour JA

« Mais qu’est-ce qui ne va pas ? » demande en riant une vieille femme baoulée, assise dans le fond, au conducteur, qui se débat avec une portière éprise de liberté et un moteur qui chauffe beaucoup trop. La dernière ligne droite de ce périple ouest-africain s’annonce longue… L’occasion de constater que les chantiers et les réfections de routes se multiplient dans cette partie du pays, comme s’en enorgueillissent certains passagers.

Arrivée à Grand-Bassam. En ce début de semaine, les restaurants et les hôtels sont vides. Mais l’ancienne capitale coloniale, classée au Patrimoine mondial de l’Unesco, meurtrie par une attaque terroriste en mars, se relève peu à peu. Le personnel du désormais célèbre hôtel Étoile du Sud, un des sites pris pour cible, se veut rassurant.

« Le week-end passé, on était presque complet ! Après les attaques, on a vraiment souffert, mais depuis un mois environ les gens reviennent », explique le chef des serveurs. Présent lors de cet attentat, qui a coûté la vie à dix-neuf personnes, il se souvient de chacun de ses mouvements ce jour-là : « Nous, on a eu de la chance, on a vu et entendu le danger arriver. Nous n’avons pas été les premiers touchés. On a mis les Blancs dans une petite pièce, derrière des matelas, et on s’est caché ensuite. Dieu merci, on n’a rien eu ».

Vue d'Abidjan, à moins d’une heure de Grand-Bassam via la nouvelle voie express. © Ruth McDowall

Vue d'Abidjan, à moins d’une heure de Grand-Bassam via la nouvelle voie express. © Ruth McDowall

En moins d’une heure, nous rallions Abidjan grâce à la nouvelle voie express, construite entre 2012 et 2015. Longue de 42 km, elle est la première partie de l’axe devant relier Lagos à la métropole ivoirienne. « C’est très occidentalisé », s’étonne une passagère ghanéenne, appareil photo en main, devant le nouveau pont Henri-Konan-Bédié.

De quoi titiller deux compagnons de voyage abidjanais, qui voient sûrement dans cette réflexion un peu de condescendance anglo-saxonne. Et qui sont certainement surpris qu’elle ne sache pas encore que, comme on le dit ici, « Abidjan là, y a pas son deux ». Autrement dit : Abidjan est (objectivement) unique.

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