Rwanda : Paul Kagame à la conquête de l’Ouest

Pendant des années, Kigali a eu le regard tourné vers l’Afrique de l’Est. Aujourd’hui, de Conakry à Brazzaville en passant par Cotonou et Libreville, Paul Kagame tisse des liens étroits avec plusieurs présidents de l’ex-pré carré français.

Le président Paul Kagame à Londres le 11 juillet 2012. © DFID – UK Department for International Development /CC/FLICKR

Le président Paul Kagame à Londres le 11 juillet 2012. © DFID – UK Department for International Development /CC/FLICKR

ProfilAuteur_PierreBoisselet

Publié le 5 octobre 2016 Lecture : 6 minutes.

«Quand on a l’occasion d’observer, de loin, quelqu’un qui est le symbole du résultat, on a envie de le connaître. » Contrairement aux apparences, cette citation n’est pas celle d’un fan de football devant son attaquant préféré. Elle est de Patrice Talon, et celui dont le président béninois parle avec tant d’admiration n’est autre que Paul Kagame.

Le contexte était certes propice à la flatterie : Talon s’exprimait le 31 août lors d’une conférence de presse à Kigali, et Paul Kagame se tenait à ses côtés. Mais cette visite d’État de trois jours, organisée quatre mois seulement après son investiture, témoigne en elle-même d’une évolution. Il y a une décennie, cela aurait été difficilement envisageable.

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Rapprochement avec l’Afrique francophone

À cette époque où les relations diplomatiques entre la France et le Rwanda étaient au plus mal (elles ont été rompues entre 2006 et 2009), Kigali avait envisagé de quitter l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), après avoir claqué la porte de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (Ceeac).

« L’appartenance à [plusieurs] communautés régionales comporte des obligations financières, politiques, économiques et commerciales et même sociales, qu’il ne nous était plus possible d’assumer », avait expliqué le ministre rwandais des Affaires étrangères d’alors, Charles Murigande. Le pays des Mille Collines, qui, en 2008, a fait de l’anglais sa langue d’enseignement en lieu et place du français, se consacrait tout entier à la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC) et était davantage tourné vers le Royaume-Uni de Tony Blair et les États-Unis de George W. Bush.

Mais, depuis quelques années, Kigali regarde de nouveau vers l’Afrique francophone. Ces douze derniers mois, Paul Kagame y a effectué six déplacements et a reçu presque autant de ses chefs d’État et de gouvernement à Kigali. Le 17 août, le Rwanda a même officiellement réintégré la Ceeac au terme d’un processus enclenché deux ans plus tôt. « Pour nous, les questions de langue n’ont pas d’importance : elles ne sont que des barrières érigées par la colonisation, assure Mathias Harebamungu, l’ambassadeur du Rwanda à Dakar – un poste créé en 2012. Nous sommes panafricanistes et nous voulons nous adresser à tout le monde. Mais, bien sûr, nous avons dû nous fixer des priorités, et nous concentrer d’abord sur le voisinage immédiat. »

Avec Denis Sassou Nguesso, la proximité s’est nouée pendant la rébellion du M23 (ci-dessous à Goma, en RD Congo, fin 2012). © Jérôme Delay/AP/SIPA

Avec Denis Sassou Nguesso, la proximité s’est nouée pendant la rébellion du M23 (ci-dessous à Goma, en RD Congo, fin 2012). © Jérôme Delay/AP/SIPA

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Opportunités économiques et politiques

« Kigali a besoin d’exporter ses biens et ses services, analyse le chercheur ougandais Frederick Golooba-Mutebi, spécialiste du Rwanda. Mais l’EAC ne lui suffit plus, et Kigali s’est rendu compte qu’il est beaucoup plus difficile de pénétrer les marchés occidentaux que ceux d’Afrique. »

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Pour l’instant, les échanges avec ces pays restent minimes : seule la RD Congo voisine figure parmi ses dix principaux partenaires commerciaux. Mais la compagnie aérienne nationale, RwandAir, détenue par l’État, est un bon indicateur des ambitions de Kigali. Elle dessert Cotonou depuis le 2 septembre et doit effectuer son premier vol vers Abidjan le 8 octobre. À partir de janvier 2017, ce sera Conakry, où Paul Kagame s’est rendu en mars dernier.

Selon Jean-Paul Nyirubutama, son directeur d’exploitation, le choix de ces capitales reflète une stratégie : être une plaque tournante entre la façade atlantique et l’Afrique anglophone. Mais la diplomatie rwandaise n’est jamais très loin. « Bien sûr, les bonnes relations facilitent les choses, explique-t‑il. RwandAir a une autonomie de gestion et sa stratégie est commerciale, mais il arrive que les opportunités coïncident avec les liens politiques. »

Cela explique en partie pourquoi la compagnie ne vole pas vers Kinshasa ni vers Luanda, qui sont pourtant deux importantes mégapoles d’Afrique centrale. Avec ces deux pays, le Rwanda entretient des relations diplomatiques en dents de scie, et les conventions aériennes attendent toujours d’être signées. En revanche, RwandAir dessert Libreville et Brazzaville, qui ne comptent respectivement que 0,8 et 1,6 million d’habitants, mais dont les présidents entretiennent de très bonnes relations avec Paul Kagame.

Entre ce dernier et Ali Bongo Ondimba, le courant passe : les deux hommes n’ont qu’un an de différence et sont tous deux sont américanophiles – Libreville a d’ailleurs annoncé son intention d’introduire l’anglais comme langue de travail en 2012 en s’inspirant du Rwanda. Depuis son arrivée au pouvoir, en 2009, le président gabonais veut incarner la modernisation de son pays et la rupture avec la corruption. Un discours qui n’est pas sans rappeler celui de Paul Kagame.

Avec Denis Sassou Nguesso, la proximité s’est nouée en 2013, pendant la crise qui a donné naissance au Mouvement du 23-Mars (M23). Cette rébellion rwandophone s’était emparée d’importants territoires dans l’est de la RD Congo, et la confrontation entre Kigali et Kinshasa menaçait. C’est alors que le président congolais a réuni les chefs d’État concernés dans son village d’Oyo. « Le Rwanda était accusé de soutenir le M23, se souvient le secrétaire général du ministère congolais des Affaires étrangères, Cyprien Sylvestre Mamina. Les présidents congolais [Brazzaville] et rwandais ont pris langue pour chercher une solution pour la région. »

Pour Kigali, en froid avec les pays d’Afrique australe dans cette crise, la bienveillance de Brazzaville était essentielle. Le gouvernement rwandais recherchait de surcroît sa coopération pour régler la question des quelque 12 000 réfugiés rwandais arrivés sur son sol depuis 1997 : une priorité de la diplomatie rwandaise dans tous les pays d’accueil. Au fil des ans, la relation a pris de l’ampleur : Denis Sassou Nguesso a effectué une visite d’État à Kigali en décembre 2015. Surtout, les deux pays ont ouvert des ambassades dans leurs capitales respectives en août dernier.

Des rapports moins chaleureux avec la France

Y a-t‑il, de la part d’Ali Bongo Ondimba et de Denis Sassou Nguesso, une part de défiance vis‑à-vis de la France ? Les relations de leurs pays, autrefois au cœur de la « Françafrique », avec Paris ont connu un relatif refroidissement depuis que la justice française s’est saisie de l’affaire dite des biens mal acquis, en 2010, et qu’elle s’intéresse aux conditions de l’acquisition des patrimoines de leurs familles dans l’Hexagone.

Entre la France et le Rwanda, les relations ne sont pas moins tendues : Kigali continue d’accuser Paris de protéger les génocidaires rwandais en exil sur son territoire, malgré la condamnation de trois d’entre eux par la justice française depuis 2014. Et, depuis le départ de Michel Flesch en 2015, la France n’a toujours pas d’ambassadeur à Kigali.

Pour autant, les rapports avec Paris n’expliquent pas tout, tant s’en faut. Entre la France et la Guinée, la Côte d’Ivoire ou encore le Bénin, les relations sont très bonnes. Mais l’autonomisation progressive de ces pays par rapport à l’ancienne métropole, qui se manifeste par des partenariats avec d’autres puissances, comme la Chine, s’applique aussi au Rwanda et rend possible ce qui ne l’était peut-être pas auparavant. Quant à la posture de défi de Paul Kagame vis‑à-vis de l’Occident, elle séduit une partie de la jeunesse africaine.

Un modèle soutenu par ses homologues

Organisation, discipline, développement économique… Le « modèle rwandais » plaît visiblement dans les palais. « Ce pays revient de loin : tout n’est pas réglé, mais il est en sécurité et très bien tenu, comme nous l’avons constaté lors du sommet de l’Union africaine (UA) à Kigali, en juillet », assure Cyprien Sylvestre Mamina.

A contrario, les points noirs du régime rwandais – l’absence de débat démocratique, l’autoritarisme et la longévité au pouvoir du président Kagame – troublent peu de chefs d’État du continent. Sur ce sujet, quoi qu’il arrive, on se serre les coudes face aux critiques venues d’ailleurs, y compris dans les pays où l’alternance est devenue la norme.

Ainsi, Patrice Talon défend, pour son pays, une réforme constitutionnelle interdisant à un président sortant de se représenter. Mais, interrogé à Kigali par RFI sur la réforme constitutionnelle rwandaise de 2015, qui permet à Paul Kagame de concourir pour un troisième mandat en 2017, il s’est montré très compréhensif.

« Ce qui est pertinent aujourd’hui pour le Bénin ne l’est pas forcément pour la Chine, la Libye, l’Espagne ou le Rwanda, a-t‑il lancé, sous les applaudissements de la presse rwandaise. Il y a des schémas stéréotypés qu’on veut imposer partout et qui peuvent créer des catastrophes. » Un discours que Paul Kagame n’aurait pas renié. En attendant plus, l’idéologie est peut-être le principal produit d’exportation du Rwanda vers ses nouveaux partenaires.

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