Maroc – Cinéma : « L’Orchestre des aveugles », de Mohamed Mouftakir

Rencontre avec le réalisateur Mohamed Mouftakir, dont le nouveau film, qui a connu un franc succès au Maroc, vient de sortir en France.

l’orchestre des aveugles © DR

l’orchestre des aveugles © DR

Renaud de Rochebrune

Publié le 8 novembre 2016 Lecture : 5 minutes.

Difficile de faire mieux pour un cinéaste à la recherche d’une consécration.  Avec son premier long-métrage, Pégase, le Marocain Mohamed Mouftakir a obtenu, en 2011, l’Étalon d’or de Yennenga, la récompense suprême au Fespaco de Ouagadougou. En 2015, avec le second, L’Orchestre des aveugles, il a reçu le Tanit d’or dans l’autre grand festival de cinéma africain, les Journées cinématographiques de Carthage.

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Et pourtant, ce qui en dit long sur le désamour de l’Europe pour le cinéma du continent et sur la difficulté de le faire connaître hors de ses frontières, le premier n’est jamais sorti dans les salles en France. Quant au second, il atteint à peine aujourd’hui les écrans de l’Hexagone, non sans difficulté, deux ans après avoir été loué par la critique partout où il a été présenté – puis plébiscité par le public marocain : le troisième plus grand succès au box-office de l’année 2015 avec plus de 50 000 spectateurs.

Très placide, Mohamed Mouftakir se dit avant tout étonné par une telle indifférence du public européen. Si on insiste, il avance une explication : « Sans doute, pour qu’un Africain intéresse ce public, faut-il proposer des films de buzz, des sujets d’actualité ou un peu scandaleux, ce que je ne fais pas. » Une allusion au dernier film de son compatriote Nabil Ayouch, Much Loved, qui a remporté un vaste succès dans les pays occidentaux en évoquant la vie de prostituées marocaines pour clients de luxe à Marrakech. Mouftakir n’en est pour autant pas amer et il poursuivra son œuvre, assure-t‑il, sans se préoccuper outre mesure des difficultés à l’exporter qu’affrontent pour l’instant les producteurs courageux et déterminés qui lui font confiance. S’il ne peut s’imaginer autrement que cinéaste, après cinq courts et deux longs-métrages remarqués, Mouftakir n’est pas tombé dans la marmite du septième art dès son enfance.

Influences diverses

Fils d’artiste, puisque son père était musicien, il était destiné à devenir soit médecin, soit pilote, conformément au désir paternel. « Mais voilà, je suis devenu un véritable hypocondriaque et un phobique de l’avion », avoue-t‑il. Après la mort de son père, il s’éloigne définitivement des matières scientifiques. Tenté par la philosophie, il est vite contraint d’y renoncer : « On était désormais assez pauvres et je ne pouvais me permettre d’aller à 100 km de chez moi à l’université de Rabat pour poursuivre des études de philo. Alors, en attendant de trouver ma voie, j’ai opté pour le plus simple, qui se trouvait par hasard être… la littérature anglaise. » C’est ainsi qu’il a découvert William Faulkner : « Je n’ai plus arrêté de le lire et de le relire. Il m’a montré, en compagnie d’autres écrivains américains, un univers peuplé de personnages très vivants et complexes. Des personnages que l’auteur essayait de comprendre sans jamais les juger. Voilà, me suis-je dit, ce que je veux faire. »

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Mais pourquoi, dans ce cas, s’être tourné vers le cinéma plutôt que vers les livres ? « Un jour, en regardant un film égyptien dont je ne me rappelle même pas le titre, j’ai retrouvé sur l’écran ces personnages et cet univers qui m’attiraient. Et, à la même époque, j’ai entendu à la radio et à la télévision des analyses de films, notamment celles de l’homme qui deviendra plus tard le responsable du cinéma marocain, Noureddine Saïl, qui m’ont fait comprendre que le cinéma, ce n’est pas seulement de l’action, cela peut pousser à la réflexion, être une chose sérieuse. »

La figure du père

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Et voilà l’étudiant marocain qui se lance dans l’apprentissage du septième art… par correspondance. Jusqu’à obtenir un diplôme français qui, d’un point de vue pratique, ne valait évidemment rien. Il surmontera l’obstacle en partant à l’abordage de tous les réalisateurs marocains et étrangers qui tournaient dans son pays pour faire des stages et apprendre les techniques. Sans être payé, bien sûr, et en continuant à vivre dans sa famille. Il ne réussira enfin à gagner sa vie que bien des années plus tard, quand il sera apparu qu’il avait un réel talent pour améliorer les scénarios. « Je suis devenu nègre pour des cinéastes, en fait un script doctor en herbe sans savoir qu’il s’agissait d’un vrai métier. » Puis il passera enfin, comme il se l’était promis, à la réalisation.

Depuis, bien sûr, il s’est attaché à faire exister sur grand écran des personnages et des moments d’histoire, sans porter de jugement, comme ses « modèles » le lui ont appris. En parlant de ce qu’il connaît le mieux, et donc jusqu’ici à travers des sujets très autobiographiques, centrés autour de la figure du père. Un père toujours en crise dans une société patriarcale elle-même en crise. Aussi bien dans Pégase, film de style fantastique qui racontait comment une fille se retrouvait « possédée » après avoir été élevée comme un garçon par un père qui voulait faire d’elle le cavalier émérite de ses rêves, que dans la comédie sociale L’Orchestre des aveugles et, bientôt, dans son troisième long-métrage, déjà en chantier, où il sera question d’un fils mal aimé par un père qui pense ne pas être son véritable géniteur.

Musiques du quotidien

Au Maroc, dans les années 1970, Houcine dirige un orchestre populaire qui se produit avec ses danseuses, les chikhates. Quand il s’en va animer des fêtes de femmes dans des milieux conservateurs, il doit faire semblant de n’employer que des musiciens aveugles pour respecter la supposée pudeur de ce public.

D’où le titre du film, L’Orchestre des aveugles. Le vrai héros de ce long-métrage autobiographique de Mohamed Mouftakir est un enfant, Mimou, le fils favori de Houcine, chargé par ce dernier de la lourde tâche de devenir et de rester indéfiniment le premier de sa classe pour faire la fierté de son père, interprète et compositeur de musique très doué qui n’a pas eu la chance d’apprendre à lire et à écrire. Quand le jeune Mimou tombe amoureux de la bonne des voisins et se met à négliger ses études, il n’imagine pas possible de décevoir son père. Il a alors la fort mauvaise idée de truquer son bulletin de notes…

Cette chronique douce-amère propose à la fois une histoire intime et un portrait du Maroc des premières années du règne de Hassan II, marquées par la répression politique et la persistance de mentalités archaïques. Un film drôle et perspicace comme les comédies italiennes des années 1950 à 1970, évoquant la vie de tous les jours, les attentes et les inquiétudes du peuple marocain

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