Gambie : le destin brisé de Fatim Jawara, footballeuse prometteuse qui rêvait d’Europe

Footballeuse talentueuse, Fatim Jawara se voyait déjà jouer pour un club européen. Fin octobre, sa famille a appris que la Méditerranée avait eu raison de ses rêves. JA a retrouvé certains de ses proches.

Au large de la Libye, en septembre 2016. © Santi Palacios/AP/SIPA

Au large de la Libye, en septembre 2016. © Santi Palacios/AP/SIPA

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Publié le 2 décembre 2016 Lecture : 3 minutes.

Comme des milliers de ses compatriotes, elle a tenté le back way. C’est ainsi que les Gambiens appellent la longue et dangereuse route clandestine qui mène aux portes de l’Europe.

Le plus souvent, celle-ci parcourt l’Afrique de l’Ouest puis le Sahara jusqu’aux côtes libyennes, point de départ de la dernière étape de ce voyage en enfer : la traversée de la mer Méditerranée vers l’Italie sur des embarcations de fortune bondées qui menacent de sombrer à tout moment.

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Fin octobre, celle sur laquelle est montée Fatim Jawara, 19 ans, n’est jamais arrivée à destination. Cette gardienne de l’équipe gambienne de football junior devait rallier l’île de Lampedusa, mais son navire a été pris dans une tempête et a coulé peu de temps après avoir quitté la Libye.

Cette nuit-là, selon l’ONU, a fait au moins 240 morts. Des centaines de vies perdues qui allongent encore la longue liste noire des âmes damnées de la Méditerranée. Depuis le début de l’année, plus de 3 800 hommes, femmes et enfants ont péri en tentant de rallier l’Europe.

Réservée et talentueuse

À l’instar de nombreux talents footballistiques du continent, Fatim Jawara rêvait de jouer dans un club européen. Cette jeune fille discrète de Serrekunda, en périphérie de Banjul, rejoint en 2009 les Red Scorpions, l’un des meilleurs clubs féminins du pays.

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Trois ans plus tard, la prometteuse gardienne est sélectionnée en équipe nationale pour participer à la Coupe du monde féminine des moins de 17 ans en Azerbaïdjan. La Gambie termine dernière de son groupe, mais Jawara a désormais le statut d’internationale.

« Elle avait de très bonnes qualités. Il n’y avait aucun doute sur le fait qu’elle puisse décrocher un contrat dans un club européen », raconte Choro Mbenga, son ancienne entraîneuse. De retour en Gambie, Fatim continue à jouer pour les Red Scorpions et pour l’équipe nationale, tout en suivant des études au lycée.

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Issue d’une famille nombreuse, elle fait l’unanimité parmi ses coéquipières. « Elle était assez réservée en dehors du groupe mais très blagueuse et taquine quand on était entre nous », se rappelle Sainey Sissoho, l’une de ses amies et partenaires de jeu, qui la décrit aussi comme une jeune femme « déterminée et concentrée sur ses objectifs ».

Un projet tenu secret

En septembre, Fatim Jawara est convoquée pour participer à un match amical contre l’équipe sénégalaise de Casa Sports. Elle ne se présentera jamais au rendez-vous d’avant-match. Sainey Sissoho et le reste de l’équipe n’ont aucune nouvelle mais ne s’inquiètent pas, pensant que Fatim est en voyage au Sénégal, comme le font de nombreux Gambiens qui ont de la famille de l’autre côté de la frontière.

Je dois aller au bout de mon objectif, je ne peux plus faire demi-tour

Au fil des jours, la rumeur du back way prend forme, puis se confirme. La jeune footballeuse, qui n’avait rien dit de son projet fou ni à sa famille ni à ses coéquipières, appelle un jour du Niger. Sa sœur aînée essaie de la convaincre de rentrer en Gambie. Réponse de sa cadette : « Je ne peux plus faire demi-tour après tout ce chemin parcouru. Je dois aller au bout de mon objectif. »

Elle n’y parviendra jamais. Fin octobre, un homme se présentant comme son agent – qui aurait notamment financé son voyage – a informé sa famille que Fatim Jawara était décédée dans un naufrage au large de la Libye. Le pire était donc arrivé, traumatisant le petit monde du football gambien, pourtant habitué à ce que ses jeunes pousses risquent leur vie pour aller jouer en Europe.

À la mi-novembre, pour la reprise du championnat, l’équipe de Fatim a prévu d’honorer sa mémoire. Pour ne pas l’oublier, mais aussi pour rappeler aux potentiels candidats que le back way se termine souvent en tragédie.

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