Algérie : le mystère Ould Kaddour, nouveau patron du groupe pétrolier Sonatrach

Exit Amine Mazouzi. Le groupe Sonatrach a un nouveau patron. Mais le profil de l’élu suscite stupeur et interrogations. Décryptage d’une nomination controversée.

Abdelmoumen Ould Kaddoura pris ses fonctions le 20 mars. © Saad pour JA

Abdelmoumen Ould Kaddoura pris ses fonctions le 20 mars. © Saad pour JA

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Publié le 11 avril 2017 Lecture : 10 minutes.

Le téléphone d’Amine Mazouzi, PDG de Sonatrach, sonne à 17 h 15, ce dimanche 19 mars. Au bout du fil, Noureddine Boutarfa, ministre de l’Énergie. Il lui demande de réunir le conseil d’administration du groupe pétrolier le lendemain matin. « J’ai un message important à faire passer », se contente-t-il de lui dire. Intrigué, Mazouzi passe une partie de la soirée à tenter d’en savoir davantage sur cette requête inhabituelle. SMS et appels à la chaîne. En vain.

La réponse, il ne l’aura qu’à l’heure du petit déjeuner, quand l’un de ses collaborateurs lui annonce son limogeage séance tenante. Sonné, Mazouzi a du mal à le croire, bien que la rumeur de son éviction se soit déjà propagée comme une traînée de poudre dans le microcosme politico-médiatique d’Alger. Il se savait sur un siège éjectable, mais il était loin d’imaginer pareil scénario. Et pareil successeur.

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Peu avant midi, Amine Mazouzi, 51 ans, cède sa place à l’inattendu Abdelmoumen Ould Kaddour, 66 ans, ancien directeur de Brown & Root Condor (BRC), une coentreprise créée par Sonatrach avec Kellogg Brown & Root (KBR), filiale de Halliburton, le géant américain du pétrole et de la construction. Aussitôt confirmée, cette nomination provoque stupeur, consternation et interrogation, aussi bien en Algérie qu’à l’étranger.

Réputation sulfureuse

Ce n’est pas cette énième valse touchant le top management d’une entreprise publique considérée comme un État dans l’État qui fait débat. Après tout, le nouveau PDG n’est que le dixième depuis seize ans. La controverse tient plutôt au pedigree du nouveau patron de Sonatrach, premier groupe pétrolier en Afrique avec 154 filiales, 120 000 employés et des recettes de 28,8 milliards de dollars en 2016.

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Quiconque aurait évoqué le nom d’Abdelmoumen Ould Kaddour avant ce 20 mars serait passé pour un provocateur ou un hurluberlu. Depuis plus de dix ans, ce polytechnicien diplômé du prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT) traîne une réputation sulfureuse.

Proche de l’entourage de l’ancien ministre de l’Énergie Chakib Khelil, qui a été impliqué dans les scandales de corruption présumée qui ont éclaboussé Sonatrach au cours des sept dernières années, Ould Kaddour a eu maille à partir avec la justice algérienne, qui l’a condamné en 2007 dans une sombre affaire d’espionnage. Son nom est également étroitement associé à une autre affaire liée à des contrats obtenus par BRC avec Sonatrach et le ministère de la Défense.

 Sa nomination choque parce que la machine médiatique a délibérément et abusivement donné de lui l’image d’un voleur ou d’un corrompu.

De quoi le disqualifier pour ce poste ? Ce n’est pas vraiment l’avis des responsables qui ont jeté leur dévolu sur lui. « Sa nomination choque parce que la machine médiatique a délibérément et abusivement donné de lui l’image d’un voleur ou d’un corrompu, explique une source autorisée au sein du ministère de l’Énergie. Contrairement à ce que croit l’opinion publique, il a le bon profil pour diriger Sonatrach. Il est cash, sans états d’âme, compétent. » N’en jetez plus !

Divorce

Pour comprendre ce nouveau chambardement, il faut remonter aux origines du divorce d’avec Amine Mazouzi. Nommé en mai 2015, fils d’un ancien ministre au passé glorieux, multidiplômé qui a fait ses classes au sein de Sonatrach, il a été présenté comme la perle rare susceptible de redorer le blason du mastodonte qui assure 95 % des ressources en devises de l’Algérie.

Amine Mazouzi, le PDG sortant. © Saad pour JA

Amine Mazouzi, le PDG sortant. © Saad pour JA

Sa feuille de route ? Rassurer et remotiver les employés de la compagnie en proie au doute après les multiples affaires qui ont écorné son image, augmenter la production, renforcer les activités d’exploration et trouver de nouveaux partenaires internationaux. Moins de deux ans après son arrivée, Mazouzi ne fait plus l’affaire.

Mazouzi était une erreur de casting.

« Il ne s’est pas comporté comme un chef, juge une source proche du gouvernement. L’objectif d’augmenter la production n’a pas été atteint. Les firmes étrangères ne se bousculent pas pour venir investir, et nos partenaires se plaignent de l’absence d’interlocuteurs fiables. Ses décisions intempestives, qui ont provoqué le départ, pour différentes raisons, de quelque cent cinquante cadres, ont fini par créer un climat malsain au sein du groupe. On ne peut pas faire du management avec une bande de copains. Sans remettre en question son intégrité ni ses compétences, Mazouzi était une erreur de casting. »

Ce jugement sévère et sans appel, l’ancien PDG, qui n’a pas souhaité s’exprimer, le récuse catégoriquement. Son bilan ? Il est plus que positif, plaide-t-il devant ses visiteurs. « Il a remis de la rigueur dans la gestion de Sonatrach, avance l’un de ses amis, qui l’a rencontré au soir de son éviction. Il a augmenté la production dans une conjoncture marquée par la chute des cours du pétrole et réussi à redéployer la compagnie à l’international. »

Pour durer dans ce secteur, il faut avoir du caractère. Être une sorte de tueur.

À ses proches, Mazouzi met surtout en avant les multiples immixtions et interventions de son ministère de tutelle dans sa gestion. En aparté, il ne fait pas non plus mystère d’une perte de confiance entre lui et le ministre de l’Énergie. Un de ses anciens conseillers opine : « Le courant ne passait plus entre les deux hommes. Depuis le début de cette année, leurs relations se sont dégradées au point qu’ils ne se parlaient presque plus. Mazouzi, qui n’est pas un homme de réseaux, est connu pour être effacé et réservé. Or, pour durer dans ce secteur, il faut avoir du caractère. Être une sorte de tueur. »

Success-story

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Le nom d’Ould Kaddour est apparu sur les écrans radars au début du mois de mars, quand le pouvoir a décidé de mettre un terme aux fonctions de Mazouzi. Sur la short list figurait notamment Abdelhafid Feghouli, ancien PDG par intérim, de janvier à mai 2010. Condamné en 2011 à un an de prison ferme dans une affaire de passation de marchés illégale, cet ancien cador du groupe n’est plus éligible au poste de PDG. « Il aurait pu l’être s’il avait soldé ses affaires avec la justice », explique un haut responsable du département de l’Énergie.

Le choix se porte donc sur Abdelmoumen Ould Kaddour. Un choix par défaut ? « Pas du tout, tranche un haut responsable. On avait besoin d’un homme qui ait de la bouteille, un très bon carnet d’adresses et des références. Il remplit amplement ces critères. »

Les amis et les proches d’Ould Kaddour dressent également un portrait plus nuancé du personnage. « Avant que son nom soit associé aux affaires, Ould Kaddour a été un bon manager, juge l’une de ses connaissances. Il a fait de BRC une success-story et formé plus de quatre cents ingénieurs. S’en tenir uniquement à ses déboires judiciaires ne rend pas justice à son parcours. »

BRC a apporté l’expertise, le savoir-faire et les compétences qui font la renommée de Halliburton.

C’est en 1994 que ce natif de Hennaya, dans l’Ouest, dont sont originaires de nombreux responsables du cercle présidentiel, a proposé aux dirigeants de Sonatrach la création de BRC en association avec Halliburton. Spécialisée dans l’engineering, la petite entreprise ne connaît pas la crise. Elle décroche rapidement des contrats avec Sonatrach et le ministère de la Défense.

Le site gazier de Krechba, à In Salah dans la province de Tamanrasset. © Adam Berry/bloomberg via getty images

Le site gazier de Krechba, à In Salah dans la province de Tamanrasset. © Adam Berry/bloomberg via getty images

« L’une de ses premières réalisations fut la construction, dans l’enceinte de l’hôpital militaire d’Aïn Naadja, de trois chambres pour grands brûlés afin de pouvoir prendre en charge les travailleurs victimes d’incendie dans les champs pétrolifères, rappelle un ancien PDG de la compagnie. BRC a apporté l’expertise, le savoir-faire et les compétences qui font la renommée de Halliburton. »

De passage à Alger en 1996, Dick Cheney, l’un des dirigeants de la multinationale américaine avant de devenir vice-président de George W. Bush, n’avait pas hésité à s’afficher avec Ould Kaddour en ville ou dans des réunions de travail. Longtemps, la photo de ce dernier avec Cheney ornait l’un de ses bureaux.

Hôpitaux, bases militaires, raffineries, complexes industriels, BRC diversifie et fait fructifier ses activités. L’arrivée de Chakib Khelil en décembre 1999 ne met pas fin à l’aventure. Bien au contraire. Les marchés pleuvent. Entre 2001 et 2005, BRC en obtient ainsi quarante et un de gré à gré pour 2,1 milliards de dollars auprès de Sonatrach et du ministère de la Défense.

Enquête

Mais une enquête diligentée en février 2006 par l’Inspection générale des finances (IGF) donne un coup d’arrêt à son business. Les investigations avaient mis en lumière une vaste opération de surfacturation, de sous-traitance, de surcoût ou encore de détournements. Mis à mal par ces révélations, Chakib Khelil liquide la coentreprise dès l’été 2007.

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Une équipe de « nettoyage » est descendue dans les locaux de BRC pour récupérer documents, ordinateurs et disques durs afin de faire disparaître toutes traces. Le scandale est vite étouffé. La descente aux enfers commence pour Ould Kaddour. Éclaboussé par le rapport de l’IGF, il ne sera pas inquiété par la justice dans le cadre de ce dossier, qui n’a jamais été instruit jusqu’au bout. Mais il le sera dans une autre affaire.

Espionnage

L’une des casseroles que le nouveau PDG va sans doute devoir longtemps traîner et pour laquelle sa nomination a soulevé un tollé est sans conteste sa condamnation, en novembre 2007, à trente mois de prison par le tribunal militaire de Blida, à 40 km à l’ouest d’Alger. Ould Kaddour, un officier du Département du renseignement et de la sécurité (DRS, dissous en janvier 2016), ainsi qu’un agent des assurances étaient poursuivis dans une énigmatique affaire d’espionnage.

Intelligence avec une puissance étrangère ? Importation de mallettes d’écoutes au profit de la CIA ? Collusion avec les services de renseignements américains ou israéliens ? Beaucoup d’encre a coulé autour de cette affaire « somme toute banale », selon le mot d’un avocat.

Ils ont essuyé le couteau sur moi.

De quoi s’agissait-il au juste ? Début 2007, Ould Kaddour fait connaissance avec un officier du DRS chargé des écoutes et des interceptions. Ce dernier lui remet, via un flash-disk, la transcription d’une conversation téléphonique d’Ould Kaddour enregistrée par les services secrets, alors dirigés par le général Mohamed Mediène, dit Toufik. Il faut dire qu’entre ce dernier et Ould Kaddour le courant ne passait pas du tout. Alors, quand il apprend sa mise sur écoute, l’ex-patron de BRC redouble d’amabilité à l’égard de Toufik chaque fois qu’il évoque son nom au téléphone.

De son côté, le redoutable ancien patron des services resserre un peu plus l’étau autour de sa proie. Celle-ci est désormais placée sous discrète surveillance. Un jour, alors qu’Ould Kaddour s’apprêtait à prendre l’avion pour l’Italie, la présidence est aussitôt alertée. Et, sur ordre de Bouteflika, il se fait débarquer manu militari. Un prélude à son arrestation et à son procès.

Blanchi

Libéré en 2009 après seize mois d’incarcération, le prévenu s’exile aux Émirats arabes unis, où il officie comme consultant international. Aujourd’hui encore, il vit mal son séjour carcéral. « Ils ont essuyé le couteau sur moi », s’est-il plaint à l’un de ses proches. « Ils », c’est-à-dire ses anciens amis du cercle présidentiel et les services secrets.

Il a fait les frais d’une chasse aux sorcières.

Pour Ould Kaddour, cela ne fait pas de doute : il a été victime d’une cabale montée par Toufik et ses hommes. « Sa condamnation marque le début du démantèlement de l’équipe de Chakib Khelil, juge un membre du gouvernement. Il a fait les frais d’une chasse aux sorcières. » L’intéressé s’en est d’ailleurs expliqué avec un émissaire du pouvoir qui l’avait rencontré dans le courant du mois de mars pour lui proposer la direction de la compagnie pétrolière.

« Ils m’ont libéré et demandé de partir, sans plus d’explications. J’ai été blanchi par la justice, se justifie-t-il alors devant son interlocuteur. Je suis clean. » Un éminent cadre au ministère de l’Énergie confirme : « Croyez-vous que l’on puisse nommer à la tête de Sonatrach un responsable qui n’ait pas un casier judiciaire vierge ? Il a payé sa dette. »

Même mission

Dette payée ou non, cet antécédent judiciaire n’a pas eu d’effet rédhibitoire sur la réhabilitation d’Abdelmoumen Ould Kaddour. La crainte des dirigeants qui ont fait appel à lui était ailleurs : a-t-il les reins suffisamment solides pour supporter le tollé qu’allait provoquer son come-back ? « Je lui ai posé la question de savoir s’il était prêt à assumer la campagne médiatique que son retour au premier plan allait déclencher », raconte cet émissaire. Réponse du futur PDG de Sonatrach : « Oui, je suis prêt à l’assumer. »

Quid de la mission qui lui a été confiée ? Elle se résume aux points suivants : augmenter les capacités de production, investir dans l’exploration, attirer de nouveaux partenaires étrangers, mettre en place une politique plus agressive en matière commerciale, mobiliser les cadres et instaurer la transparence dans les décisions à l’égard du personnel et des promotions.

En somme, presque la même mission que celle qui avait été confiée en mai 2015 à Amine Mazouzi. Son successeur pourra-t-il relever le défi ? La tâche est colossale dans la mesure où le pays fait face à une crise économique et où les recettes pétrolières ont chuté de moitié entre 2014 et 2016, passant de 60 à 30 milliards de dollars. Elle l’est par ailleurs d’autant plus qu’Ould Kaddour entame son exercice avec des préjugés pour le moins défavorables. Son premier défi réside peut-être dans son aptitude ou non à changer, à défaut de la gommer, cette image d’ancien patron de BRC passé par la case prison.

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