Énergie : avec ses bons résultats, Taqa voit au delà du Maroc

Porté par ses bons résultats financiers et par son expertise sur la centrale à charbon de Jorf Lasfar au Maroc, l’émirati Taqa veut diversifier sa production. Et regarde vers le sud du Sahara.

Dix ans après le rachat de Jorf Lasfar, le groupe étudie de nouveaux projets dans le royaume et en Afrique de l’Ouest. © Michel Teuler/TaqaGlobal

Dix ans après le rachat de Jorf Lasfar, le groupe étudie de nouveaux projets dans le royaume et en Afrique de l’Ouest. © Michel Teuler/TaqaGlobal

Publié le 25 mai 2017 Lecture : 4 minutes.

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Énergie : quelle place pour le secteur privé ?

Faire appel à des acteurs privés pour la production d’énergie en Afrique est financièrement plutôt avantageux. Si les autorités étatiques envisagent parfois cette solution, elles ne sont pas prêtes à renoncer à tout contrôle sur le secteur de l’énergie.

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La moitié de l’électricité consommée chaque jour par les Marocains provient de six turbines alignées sous une imposante falaise, face à l’océan Atlantique. La méga centrale à charbon de Jorf Lasfar, à une centaine de kilomètres au sud de Casablanca, cumule à elle seule 2 056 MW de capacité installée, ce qui fait d’elle la plus grande unité thermique d’Afrique du Nord. Un black-out sur ce site sensible, refroidi à l’eau de mer et constamment alimenté par les montagnes de charbon stockées sur le quai de déchargement voisin, et c’est tout le Maroc qui serait plongé dans le noir.

« Cela n’a jamais eu lieu, et tout est mis en œuvre pour que cela ne se produise jamais », s’enorgueillit le directeur du pôle support et membre du directoire de Taqa Morocco (ex-Jorf Lasfar National Energy Company), Mehdi Belghiti, dans son bureau où la force dégagée par les chaudières toutes proches fait légèrement trembler les meubles.

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Les bons comptes de Taqa

Depuis que l’émirati Taqa (« énergie », en arabe, Abu Dhabi National Energy Company, de son nom officiel) a fait l’acquisition du site, en 2007, il a multiplié les procédures de contrôle et misé sur les ressources humaines, en renforçant la formation interne de sa filiale marocaine auparavant détenue par le consortium helvético-suédois ABB Energy Ventures et l’américain CMS Generation.

Il a aussi boosté la production : sur le site, deux nouvelles unités ont été inaugurées en 2014. Pilotées depuis une salle de commandes futuriste et soumise aux derniers standards internationaux en matière d’émission de CO2, elles ont été en grande partie financées par un emprunt de 1,4 milliard de dollars (1,03 milliard d’euros), auprès notamment de banques japonaises et coréennes.

Le producteur d’énergie a publié en mars un résultat net consolidé pour l’année 2016 de plus de 10 % supérieur à ses prévisions, à 1,3 milliard de dirhams (120 millions d’euros), et versera un dividende de 37 dirhams par action, qualifié d’« exceptionnel » par les analystes.

Taqa Maroc est son actif par excellence, d’autant que la maison mère a publié des résultats catastrophiques pour les neuf premiers mois de 2016, avec des performances négatives

« La filiale du groupe émirati confirme la solidité de son business model, ont souligné dans la foulée les experts d’Upline Group. Depuis son introduction en Bourse [fin 2013], Taqa Morocco enchaîne les bonnes performances, capitalisant sur sa maîtrise opérationnelle et sur la sécurité offerte par son contrat avec l’Onee [Office national de l’électricité et de l’eau potable, le distributeur public du royaume]. »

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Ces bons chiffres proviennent à la fois de la disponibilité très élevée des unités de production (de 92 %, une moyenne « extrêmement élevée », fait valoir Mehdi Belghiti), mais aussi d’un facteur extérieur clé, le cours du charbon, qui a connu une tendance baissière sur la majeure partie de 2016.

Joyaux du groupe

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Pour Salma Kharbachi, du cabinet AlphaMena, la filiale marocaine de Taqa est devenue le joyau du groupe émirati : « C’est son actif par excellence, d’autant que la maison mère a publié des résultats catastrophiques pour les neuf premiers mois de 2016, avec des performances négatives [le chiffre d’affaires devrait accuser une chute de 26 % pour l’ensemble de l’année] », souligne l’analyste, qui voit encore un potentiel de progression pour Taqa Maroc en 2017, malgré la remontée des cours du charbon depuis le troisième trimestre de 2016.

Fort de ses performances, le groupe émirati n’entend pas s’arrêter là. Les équipes de Taqa se tiennent prêtes à construire de nouvelles unités de charbon à Jorf Lasfar, et, surtout, à se positionner sur d’autres projets, tous types d’énergie confondus.

Et pour cause : leur maison mère n’est pas focalisée sur le charbon, un combustible qu’elle n’utilise même qu’à Jorf Lasfar. Elle gère en revanche une capacité de 15 000 MW de centrales à gaz, ainsi qu’une ferme éolienne. « Ce sont les autorités qui fixent le mix énergétique, nous ne faisons que répondre à leurs demandes », explique le directeur Afrique de Taqa, Majid Iraqui, depuis son bureau cossu de Casablanca.

Objectif Afrique

Les projets du groupe s’inscrivent ainsi dans le sillage des grands axes de la politique énergétique marocaine pour les prochaines années. L’exploitation du gisement considérable d’énergies renouvelables (solaire et éolien), tout d’abord : le pays ayant fixé un objectif ambitieux de 52 % d’électricité verte en 2030, Taqa Morocco développe actuellement un projet éolien de 150 à 200 MW près de Tanger, à travers une nouvelle filiale, Taqa Wind.

Le royaume chérifien mène parallèlement un grand plan Gas to Power (« du gaz à l’énergie »), qui, en plus d’un terminal GNL, prévoit notamment la construction d’importantes centrales à gaz à Jorf Lasfar et à Dhar Doum, au nord de Kenitra. Un dossier que Majid Iraqui affirme étudier « très sérieusement ».

Taqa ambitionne de devenir au cours de la prochaine décennie le leader indépendant dans la production d’énergie électrique en Afrique

Mais Taqa ne limite pas ses ambitions africaines au seul Maroc. Déjà présent au Ghana avec Takoradi, une centrale au fuel (héritée du même portefeuille d’actifs que Jorf Lasfar), il prospecte actuellement dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest, à commencer par le Sénégal et la Côte d’Ivoire. Quelque 1 500 MW s’accumulent dans son pipeline de projets, mais ses dirigeants n’en diront pas plus avant d’éventuelles signatures, espérées pour « 2017 ou 2018 ».

Au sud du Sahara comme au Maroc, Taqa assure qu’il ne boycottera pas le charbon, qui, malgré la problématique des émissions de CO2, reste compétitif dans nombre de pays africains. Le groupe, qui dans un document de présentation affiche l’ambition de « devenir au cours de la prochaine décennie le leader indépendant dans la production d’énergie électrique en Afrique », trouvera sur son chemin bon nombre de concurrents, dont certains sont déjà très implantés au sud du Sahara, comme la plateforme Globeleq (Côte d’Ivoire, Cameroun) ou encore Eranove (Côte d’Ivoire, Mali). Mais, qu’il s’agisse de l’Afrique de l’Ouest ou de l’Afrique centrale, aucun d’entre eux ne possède sa maîtrise du charbon.

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