Festivals tunisiens : l’initiative privée fait souffler un vent nouveau sur la scène artistique

De Dream City, à Tunis, au Sicca Jazz, au Kef, en passant par les Journées du documentaire de Djerba, les festivals d’initiative privée ont trouvé leur public et font bouger les régions.

Jazz à Carthage, en avril. © Andrea Rotili

Jazz à Carthage, en avril. © Andrea Rotili

Publié le 14 juin 2017 Lecture : 3 minutes.

Le drapeau tunisien, en mars 2015 à Tunis pendant une éclipse. © Christophe Ena/AP/SIPA
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La Tunisie sur le qui-vive

Citoyens, milieux d’affaires, communauté internationale… En Tunisie, alors que les élections locales doivent se tenir d’ici la fin de l’année, l’inquiétude demeure palpable et les défis sont nombreux. Pourtant, lentement mais sûrement, le pays avance.

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C’est le Festival de la médina – dont la 35e édition se tient à Tunis du 30 mai au 17 juin – qui donne le top départ de la saison estivale des festivals, lesquels s’enchaîneront jusqu’à la fin d’août un peu partout à travers le pays. L’un des temps forts est le vénérable Festival de Carthage, qui jouera cette année sa 53e session, du 13 juillet au 19 août. Organisées soit par le ministère de la Culture, soit par les communes, nombre de ces manifestations ne répondent cependant pas à une réelle politique culturelle. Déficitaires, leurs programmes restent sans originalité et leurs formats gagneraient à être dépoussiérés.

Mohamed Zine el-Abidine, musicologue et ministre de la Culture, a opté pour la formule du partenariat public-privé, qui s’avère gagnante. « L’éveil d’une nation », grande exposition sur la période du réformisme en Tunisie, portée par la Fondation Olfa Rambourg, qui a drainé plus de 40 000 visiteurs au palais Ksar es-Saïd du Bardo, entre le 27 novembre 2016 et le 27 février 2017, démontre que la recette fonctionne.

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Il en est de même pour Jazz à Carthage, qui, depuis douze ans, fait swinguer le Tout-Tunis au printemps – cette année, ce fut du 31 mars au 9 avril. Son promoteur, Mourad Mathari, se bat pour une qualité de la scène culturelle et compte sur la renommée du festival pour convaincre les sponsors.

« Il n’y a pas de concurrence entre public et privé »

« Il n’y a pas de concurrence entre public et privé, mais il faut en finir avec les règlements obsolètes, les lenteurs administratives et les procédures lourdes pour qu’un artiste étranger puisse se produire en Tunisie, explique-t-il. Pour avoir un écho à l’étranger, un festival se prépare un an à l’avance ! »

Est-ce le rôle de l’État d’être opérateur culturel ? En guise de réponse, l’initiative privée a pris les devants et impose un ton nouveau à la scène artistique. Ainsi, malgré les embûches, l’association L’Art Rue a investi la médina de Tunis depuis 2008, où elle organise Dream City, une biennale multidisciplinaire et interculturelle, « comme une manière de s’inscrire dans l’espace public qui était interdit », souligne son directeur artistique et directeur général, le danseur chorégraphe Sofiane Ouissi.

Les offres culturelles diversifiées ont trouvé leur public, font bouger les régions et suscitent un tel intérêt qu’elles créent un courant qui s’apparente à une véritable movida version tunisienne. Depuis 2015, Sicca Jazz met Le Kef (Nord-Ouest) à l’honneur et est devenu un événement pour lequel on vient de loin. Cette année, entre le 15 et le 19 mars, plus de 5 000 festivaliers ont vécu des soirées magiques et ont fait le bonheur des commerçants de la ville.

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« Cette 3e édition est encourageante, mais nous sommes surtout fiers d’avoir fait des émules dans la région. Dougga vient aussi de lancer son festival de musique [Dougga Fest, les 29 et 30 avril] », se réjouit Ramzi Jebabli, avocat et fondateur de Sicca Jazz. Il s’était familiarisé avec les circuits artistiques et événementiels en créant un café-théâtre à Tajerouine (Nord-Ouest), en 2008.

Un festival qui séduit au-delà de sa région

Le financement de son festival reste classique : fonds propres, sponsors et subventions des ministères du Tourisme et de la Culture lui permettent de boucler une programmation préparée en concertation avec des amis, managers d’artistes. Hors des sentiers battus, le mont Sammama (Ouest), fief des menées jihadistes en 2013, devient une scène engagée contre le terrorisme, avec la Fête des bergers, créée en 2012 par le Centre culturel de la montagne.

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Poésie, musique, littérature, résidences artistiques et performances sont d’abord destinées aux habitants de la région, mais on vient désormais depuis Tunis participer à cet hommage aux pâtres et à la paix. Mieux, pour sa 6e édition, le festival a accueilli du 18 au 21 mai des artistes de douze pays (Algérie, Congo, Guinée équatoriale, France, Pays-Bas, Italie, Espagne, Colombie, Mexique, Uruguay, Argentine, Brésil).

Depuis 2016, la menace terroriste a fait migrer de Douz (Sud) à Djerba les Journées du documentaire, organisées par Hichem Ben Ammar. La 6e édition de Docs Days s’est tenue sur l’île du 23 au 28 mars. « J’ai mis un point d’honneur à pérenniser ce festival du documentaire soutenu par des sponsors militants », précise le cinéaste, qui tempête contre les stratégies des ONG et ambassades. « Sous le couvert de l’arrosage à coups de subventions, elles contribuent à la désertification du champ culturel, estime-t-il. Le saupoudrage ne permet pas de construire des actions pérennes. » Frida Dahmani

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