Lieux de pouvoir (1/4) : le côté obscur de la Maison-Blanche

Son passé esclavagiste, ses présidents paranoïaques, ses hôtes indésirables… Visite guidée du Saint des Saints de la puissance américaine : la Maison-Blanche . Après Washington, prochaines étapes de notre série estivale : Pékin (Zhongnanhai), Moscou (le Kremlin),et Paris (l’Élysée). Notre série « Lieux de pouvoir » (1/4).

Obama arrive à la Maison-Blanche, en 2012. © Photo : Présidence des États-Unis

Obama arrive à la Maison-Blanche, en 2012. © Photo : Présidence des États-Unis

Publié le 21 juillet 2017 Lecture : 10 minutes.

Au 1600 Pennsylvania Avenue, à Washington DC, la Maison-Blanche fascine par sa sobriété : de simples grilles la protègent et, du mardi au vendredi, le public la visite sans bourse délier. Mais elle symbolise aussi la face la plus sombre de la démocratie américaine, de son passé esclavagiste à la paranoïa de nombre de ses occupants.

La résidence compte 132 pièces réparties entre un bâtiment principal, où se trouvent notamment les appartements privés du couple présidentiel, et deux ailes, la West Wing, où le président a son bureau, et l’East Wing, où la First Lady a le sien. Outre le Bureau ovale, les pièces les plus fameuses de la Maison-Blanche sont la Situation Room, dans le sous-sol de l’aile ouest (c’est là que, par exemple, Barack Obama a suivi en direct l’élimination au Pakistan d’Oussama Ben Laden par un commando des Navy Seals), et la Treaty Room, où furent signés les accords de Camp David, en 1978, et le traité sur les forces nucléaires intermédiaires (dit « traité FNI »), en 1987.

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On pourrait aussi citer la Lincoln Bedroom, où Abraham Lincoln signa en 1863 la déclaration d’émancipation des quatre millions d’esclaves du sud du pays, et l’East Room, où Obama annonça la mort de Ben Laden (« Ladies and gentlemen, we got him! »). Adjacent à l’aile ouest, le Rose Garden (roseraie) est aussi entré dans l’histoire lors de la signature en 1994 de la déclaration de paix entre la Jordanie et Israël.

Une histoire pas si glorieuse

La Maison-Blanche fut conçue en 1792 par James Hoban, un architecte né en Irlande, sur un site choisi par George Washington, le premier président des États-Unis d’Amérique. Son premier occupant en fut le président James Adams, en 1800. Mais, à l’époque, elle ne s’appelait pas encore The White House, nom qui ne lui sera donné qu’un siècle plus tard, en 1901, par Theodore Roosevelt. Détruite par les Britanniques en 1814 pendant la seconde guerre d’indépendance, elle fut promptement reconstruite. Dévastée par un incendie en 1929, au temps de Herbert Hoover, son aile ouest le sera à son tour cette année-là.

Michelle Obama se disait fière de se réveiller chaque matin dans « une maison construite par des esclaves »

Le fait est longtemps resté méconnu : la Maison-Blanche fut, pour l’essentiel, bâtie par des esclaves. Michelle Obama, la première First Lady noire, y fit allusion lors de la Convention démocrate de 2016 en rendant hommage à « ceux qui ont subi le joug de l’esclavage, la honte de la servitude et la blessure de la ségrégation ».

Par la suite, elle dira sa fierté de se réveiller tous les matins dans « une maison construite par des esclaves ». Le rappel de cette simple vérité provoqua des réactions d’une rare violence. Bill O’Reilly, l’animateur ultraconservateur de Fox News, déclara par exemple que des immigrants européens avaient eux aussi contribué à l’édification du bâtiment, que les esclaves étaient « bien nourris et bien logés » et que leur embauche avait cessé en 1802.

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De même, on ignore généralement que le président Washington, qui possédait plusieurs centaines d’esclaves, ordonna de kidnapper l’une d’entre eux, une certaine Oney Judge, qui avait réussi à s’échapper pour vivre dans le New Hampshire.

En vain, puisque Judge est morte en femme libre. Selon l’universitaire africain-américain Clarence Lusane, auteur de The Black History of the White House, l’histoire a été soigneusement gommée afin de ne donner des présidents américains qu’une image uniformément positive.

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Luttes d’influence

L’aile ouest sert de cadre à plusieurs séries télé comme The West Wing ou Veep. Elle y est décrite comme le théâtre de féroces luttes d’influence. Pour simplifier : plus son bureau est proche du Bureau ovale, plus un conseiller est influent.

Et l’administration Trump ne fait certes pas exception à la règle ! Les bureaux les plus proches de celui de l’actuel président sont occupés par Jared Kushner, son beau-fils, que seules deux pièces séparent du Bureau ovale, et par Hope Hicks, sa porte-parole. Récemment évincé du National Security Council, Steve Bannon, qui a lui aussi son bureau dans l’aile ouest, pourrait en être prochainement délogé.

L’un et l’autre ont le droit d’entrer sans s’annoncer dans le bureau du président. Quant à Reince Priebus, le chef de cabinet, il est relégué très loin, près du bureau du vice-président, ce qui illustre sa marginalisation au sein du staff présidentiel.

Ivanka, la fille de Trump, qui jusqu’à présent conseillait officieusement son père, vient d’emménager dans l’aile ouest, où elle travaillera sur les questions relatives aux femmes, définition de poste sans doute un peu vague. Elle ne sera pas rémunérée, mais risque quand même d’être confrontée à des conflits d’intérêts en raison de ses activités commerciales – elle est notamment propriétaire d’une marque de vêtements.

Non, le fameux téléphone rouge ne se trouve pas à la Maison-Blanche, mais au Pentagone

Le conseiller à la sécurité nationale, chargé d’alerter le président en cas d’attaque nucléaire, se trouve également dans l’aile ouest. Contrairement à une idée reçue, le fameux téléphone rouge mis en place en 1963 pour permettre une communication de crise entre les États-Unis et l’Union soviétique se trouvait non à la Maison-Blanche mais au Pentagone. Depuis 2008, un nouveau système a été mis en place, qui permet d’envoyer des messages électroniques de manière quasi instantanée.

Si le président a toute latitude pour décorer comme il l’entend le Bureau ovale et ses appartements privés – où, selon le New York Times, Trump a coutume, seul le soir, de regarder la télévision en peignoir –, certaines pièces ont un caractère historique qui ne peut être altéré. La Lincoln Bedroom ou la Yellow Oval Room sont par exemple de véritables musées, qui appartiennent au peuple américain davantage qu’au président. Un conservateur du patrimoine vit d’ailleurs sur place.

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Une décoration qui fait office de patrimoine national

Qui oserait d’ailleurs toucher au piano offert à Franklin D. Roosevelt par Theodore Steinway en 1938 ? Ou à la copie du portrait de George Washington peint par Gilbert Stuart en 1797 (l’original se trouve à la Smithsonian Institution, dans la National Portrait Gallery), que Dolley, l’épouse du président James Madison, sauva en 1814 alors que les Britanniques marchaient sur Washington ?

Dans l’aile est sont exposés des portraits de First Ladies des temps (plus ou moins) anciens qu’aucune de leurs héritières ne pourrait décrocher sans être aussitôt accusée d’indélicatesse. Pourtant, le couple présidentiel s’expose parfois aux critiques en raison de ses lubies décoratives. Pendant la grande dépression, Eleanor Roosevelt fut dénigrée pour son projet d’achat d’un service de table de mille pièces en porcelaine.

Idem pour Nancy Reagan, qui, en 1981, commanda un service en porcelaine alors que Ronald, son président de mari, venait d’imposer des coupes budgétaires drastiques. Reste que, à l’instar d’une Jackie Kennedy, Nancy Reagan manifesta un goût très sûr dans la décoration de la Maison-Blanche.

Obama n’a pas davantage échappé aux reproches. N’avait-il pas eu l’audace de transférer un buste de Winston Churchill du Bureau ovale vers l’Executive Residence ? Et n’avait-il pas installé à la place des bustes d’Abraham Lincoln et de Martin Luther King ?

Certaines de ces critiques n’étaient manifestement pas exemptes de racisme. « Obama, qui a grandi au Kenya [sic], a probablement entendu dire que les Britanniques étaient une bande d’impérialistes qui avait persécuté son grand-père », commenta par exemple le gouverneur Mike Huckabee, ancien candidat républicain à la présidentielle. Pas très classe.

Des locataires, du moins différents

Si les murs pouvaient parler, gageons qu’ils raconteraient d’étranges histoires. C’est tout l’intérêt de The Residence. Inside the Private World of the White House, le livre publié en 2015 par la journaliste Kate Andersen Brower (traduit en français chez Michel Lafon).

Les Bush étaient habitués à être servis, alors que les Clinton et les Obama, qui venaient de milieux modestes, se montraient plus réservés » écrit Brower

Dans cet ouvrage fondé sur les témoignages du personnel de la Maison-Blanche (96 salariés à temps plein et 250 à temps partiel), on apprend que le couple présidentiel le plus apprécié était celui formé par George Herbert et Barbara Bush, le premier n’hésitant pas à jouer au lancer de fer à cheval avec les domestiques.

« Les Bush étaient habitués à être servis, alors que les Clinton et les Obama, qui venaient de milieux modestes, se montraient plus réservés », écrit Brower. Reste que le personnel de la Maison-Blanche, majoritairement africain-­américain (même si, en mai dernier, Melania Trump a congédié la majordome en chef, une Noire nommée Angella Reid, pour la remplacer par un salarié – blanc – de l’hôtel Trump International, à Washington), manifestait aux Obama « beaucoup de respect et de compréhension ».

Brower raconte l’histoire de l’huissier Worthington White, qui, le soir de leur installation à la Maison-Blanche, le 20 janvier 2009, tombe sur les époux Obama. Soudain, une musique retentit. C’est Real Love, la chanson de Mary J. Blige. S’adressant à White, Obama lance : « J’imagine que vous n’avez pas souvent entendu ça dans cette maison ? »

Dans The Residence, on apprend aussi que Lyndon B. Johnson avait une singulière façon de prendre une douche : « L’eau provenait de plusieurs pommeaux. Et les jets partaient, très fort, dans toutes les directions. » Le plombier chargé de l’installation en avait fait une crise nerveuse et avait dû être hospitalisé. Richard Nixon, le successeur de Johnson, s’empressera de se débarrasser de cet étrange appareillage…

Une maison pleine de secrets

Les Clinton étaient, eux, très discrets. Voire secrets. Surtout pendant l’affaire Monica Lewinsky. Le fleuriste Ronn Payne raconte qu’il entendit un jour Bill et Hillary se disputer au ­deuxième étage de la résidence privée. Il y eut le bruit d’un objet lancé avec violence contre un mur… « Ils usaient d’un langage extrêmement grossier », se souvient-il.

Dans les moments de crise, Hillary ordonnait à Roland Mesnier, le chef pâtissier français, de lui préparer son dessert préféré. « Avec une toute petite voix, qui tranchait avec son assurance habituelle, elle demandait : “Roland, pourrais-je avoir un cake au moka, ce soir ?” »

Avant que Bill n’avoue publiquement sa relation avec Monica Lewinsky, Hilary s’était offert une après-midi de solitude

« Les Clinton étaient sans doute les plus paranos de tous. Il leur a fallu un an pour qu’ils se hasardent à tenir une conversation en présence des domestiques », écrit Brower. Ils avaient aussi demandé l’installation d’un réseau téléphonique ultrasécurisé afin de ne pas être entendus. Hillary donnait un surnom charmant aux agents chargés de la protection de Chelsea, sa fille : « les porcs ».

Juste avant que Bill avoue publiquement sa relation avec Monica Lewinsky, Hillary s’était, par exception, offert un après-midi de solitude à la Maison-Blanche. Elle avait demandé à un huissier de l’accompagner à la piscine et d’avertir ses gardes du corps de ne la déranger sous aucun prétexte. On peut la comprendre.

Bien entendu, la Maison-Blanche est aussi le cadre de moments plus innocents, comme la quête des œufs de Pâques, à laquelle sont chaque année conviés des enfants venus de tout le pays. Ou l’amnistie offerte à la dinde de Thanksgiving.

C’était d’ailleurs ce moment que choisissait Obama pour se laisser aller publiquement à des blagues douteuses qui embarrassaient beaucoup Malia et Sasha, ses filles. Michelle entretenait quant à elle un potager pour inciter les Américains à mieux manger.

Mais les Clinton n’avaient quand même pas l’apanage de la paranoïa ! Dans le genre, Nixon n’était pas mal non plus. N’avait-il pas fait installer dans son bureau (et ailleurs) un système d’écoute afin d’enregistrer les conversations qui s’y tenaient ?

Il ne faisait que reprendre à son compte une pratique imaginée trente ans auparavant par Roosevelt, mais peu importe. En 1974, les enregistrements en question se retournèrent contre lui lors du scandale du Watergate, qui aboutit à sa destitution.

En 2013, ceux qui ne l’avaient pas été sur le moment – trois cent quarante heures au total – furent rendus publics. On y découvre un Nixon ordurier, parano et antisémite. L’administration Trump serait-elle aussi parano ? L’accusation farfelue lancée contre Obama d’avoir mis sur écoute l’appartement new-yorkais du futur président, avec l’aide des services secrets britanniques, inciterait presque à le penser.

Répondant à l’article du New York Times évoqué plus haut, Sean Spicer, le porte-parole de la Maison-Blanche, a fait savoir que son patron n’avait jamais possédé de peignoir. Aussitôt, les twitteurs ont posté des photos de Trump jeune prouvant à l’évidence le contraire.

En février, ce même Spicer avait collecté par surprise les téléphones portables des membres de son équipe afin d’identifier la provenance des fuites qui secouaient l’administration. Et tout cela n’est sans doute encore qu’un début !

Clandestins au paradis

Comment empêcher les déséquilibrés en tout genre de franchir les grilles de la résidence présidentielle sans y avoir été invités ? Les allumés s’y évertuant avec des intentions plus ou moins bienveillantes sont le cauchemar des agents de sécurité.

Le dernier en date se nomme Jonathan Tuan-Anh Tran. Il est originaire de Californie et souffre probablement de schizophrénie. Début mars, il a été interpellé sur une pelouse interdite au public. Devant les policiers, il a soutenu être un ami de Trump et avoir rendez‑vous avec lui. C’était faux, bien sûr, mais il s’est quand même baladé pendant dix-sept minutes dans la résidence présidentielle avant d’être arrêté.

Mais le pire a sûrement été évité en septembre 2014, quand un homme armé d’un couteau, un certain Omar Gonzalez, réussit à neutraliser un agent de sécurité et à s’aventurer jusque dans l’East Room avant d’être arrêté. Julia Pierson, la directrice de la sécurité, a aussitôt été limogée, tandis que décision était prise de rehausser les grilles. L’an prochain, elles devraient théoriquement culminer à près de 4 mètres…

Mais que faire contre les pique-assiettes s’invitant aux réceptions sans y être conviés ? En 2009, un couple de Virginie, Michaele et Tareq Salahi, avait réussi à s’incruster clandestinement dans un dîner d’État donné en l’honneur de l’Inde.

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