De Conakry à Kribi, les ports africains se livrent une bataille acharnée

Les ports africains rivalisent d’innovations pour accueillir les plus gros navires. Volumes, transbordement, corridors vers l’hinterland, JA livre les clés de cette compétition.

Le port de Lomé (Togo), géré par MSC et Bolloré, tire son épingle du jeu en tant que plateforme régionale. © àprésent

Rémy Darras © Francois Grivelet pour JA

Publié le 8 septembre 2017 Lecture : 4 minutes.

Le malheur des uns fait le bonheur des autres. Si la chute des prix du pétrole a porté un mauvais coup aux mégaprojets portuaires nigérians (Lekki et Badagry), actuellement en sommeil, il n’en est pas de même pour les autres sites de la façade ouest. De Conakry à Kribi en passant par San Pedro, Abidjan ou Tema, tous rivalisent de volonté d’extension et de modernisation. « La mise à niveau concerne des installations des années 1970. Elle a débuté en 2010 avec Lomé et Pointe-Noire, et vise à les élever au standard mondial de la conteneurisation », rappelle Paul Tourret, directeur de l’Institut supérieur d’économie maritime (Isemar).

Une course qui s’accompagne de lourds investissements. Comme dans le terminal à conteneurs en eau profonde de Kribi, destiné à décongestionner le port de Douala. Un projet de 574 millions de dollars (environ 490 millions d’euros) pour lequel le consortium franco-chinois composé de Bolloré, CMA-CGM et China Harbour Engineering Company (CHEC, filiale du conglomérat China Communications Construction Co., CCCC) a signé une concession de vingt-cinq ans le 25 juillet.

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Disposant déjà depuis 2015 d’un bassin d’une profondeur de 16 m, d’un quai de 350 m et d’une capacité de 8 000 EVP, Kribi comptera à l’issue des travaux 715 m de quais et pourra accueillir des navires transportant 11 000 boîtes.

Une concurrence féroce

Si les opérateurs français Bolloré, danois APM Terminals (filiale de l’armateur Maersk) ou encore l’italo-suisse Mediterranean Shipping Company (MSC, via Terminal Investment Limited, TIL) – qui s’allient souvent au niveau mondial mais marchent séparément en Afrique – cherchent tous à conquérir une position régionale, ce sont en revanche de grandes entreprises de l’empire du Milieu comme China Harbour Engineering Company qui se retrouvent aux commandes de la construction.

Cette dernière investira ainsi 774 millions de dollars dans l’extension du port de Conakry. La société chinoise réalise également le port à transbordement de São Tomé-et-Príncipe, estimé à 800 millions de dollars, et le deuxième terminal à conteneurs d’Abidjan. Cinq cents millions d’euros seront aussi investis dans l’extension du port de San Pedro, pour lequel MSC a obtenu une concession de trente-cinq ans en mai.

De son côté, Bolloré a annoncé en février investir 150 milliards de F CFA (près de 229 millions d’euros) dans l’agrandissement du site de Pointe-Noire.

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Face à cette concurrence, les structures plus modestes essaient de résister. Ainsi Cotonou, durement chahuté par ses voisins plus étendus que sont Abidjan, Tema et Lomé, a lancé cette année l’agrandissement de ses bassins afin d’abriter des bateaux de 14 m de tirant d’eau et de 300 m de long.

Signe de cette concurrence acharnée, Bolloré et CCCC lorgnent depuis juillet la modernisation du port de Banjul (Gambie) tout proche

Le Sénégal fourbit lui aussi ses armes en envisageant un nouveau port à N’Dayane (visant les 20 m de tirant d’eau), à 50 km de Dakar, dont la construction serait assurée par l’émirati DP World. Autre signe de cette concurrence acharnée, Bolloré et CCCC lorgnent depuis juillet la modernisation du port de Banjul (Gambie) tout proche.

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Objectif poursuivi par tous ces complexes portuaires : « Attirer les navires de 9 000 EVP, format moyen de la globalisation et équivalent maritime de l’Airbus A380, qui permettent aux armateurs de réaliser des économies d’échelle », indique Paul Tourret.

Il est loin le temps où ces ports se contentaient de traiter des navires de 3 000 EVP et où les échanges restaient modestes sur ce marché, se résumant aux routes européennes. « Les armateurs imposent leurs diktats aux ports, qui doivent suivre en matière de tirant d’eau et de rapidité de manutention. Soit ils s’adaptent, soit ils voient les plus gros navires passer chez le voisin et ne sont plus desservis que par de petites unités pour des coûts élevés », explique Gilbert Meyer, expert du cabinet Catram Consultants.

Un gros navire n’ayant pas vocation à entrer dans chaque port, un des nœuds de la bataille réside dans la capacité de transbordement et de transit, qui permet de réorienter les conteneurs vers d’autres ports de la région.

Bénéficiant d’eaux profondes, de 1050 m de quais et d’une position centrale dans le golfe de Guinée, le port de Lomé, géré par MSC et Bolloré depuis 2009, tire actuellement son épingle du jeu en tant que hub.

« Le fait que deux conteneurs sur trois proviennent désormais d’Asie a aussi redistribué les cartes en faveur de Pointe-Noire et de Port-Gentil – Dakar, à l’inverse, étant pénalisé », souligne Paul Tourret. San Pedro sert désormais également de plateforme de redistribution vers les ports secondaires du golfe de Guinée tels Takoradi (Ghana), Freetown (Sierra Leone) ou Monrovia (Liberia) pour MSC.

Un avenir meilleur

Autre aspect du combat, l’efficacité des corridors par lesquels transitent les marchandises jusque dans les pays de l’hinterland (Burkina Faso, Mali, Niger, Tchad, Centrafrique…). Celui qui relie Pointe-Noire à Kinshasa via Brazzaville a été ouvert fin 2016.

En dépit de communications terrestres trop encombrées, avec des passages trop coûteux et pas assez sécurisés, les ports d’Abidjan et de Tema semblent plus favorisés, même si Lomé devrait bénéficier des efforts du Togo en matière d’infrastructures routières. Pour retrouver un second souffle, le corridor Dakar-Bamako devra attendre la rénovation de la liaison ferroviaire.

À court terme, tous ne seront pas rentables, mais on investit pour cinquante ans », constate Gilbert Meyer

Si la fluidification du trafic est une nécessité, la plupart des experts s’inquiètent cependant de la profusion de mégaprojets dans une ère de surcapacité des navires marchands. « À court terme, tous ne seront pas rentables, mais on investit pour cinquante ans », constate Gilbert Meyer.

« La spécialisation de ces mégaports dans les produits pétroliers et minéraliers, avec l’émergence de grands chantiers navals, est une piste de réflexion », plaide Bara Sady, ancien directeur général du Port autonome de Dakar. Au siège suisse de MSC, on affiche aussi son optimisme : « Compte tenu de la croissance des échanges à venir, les lignes maritimes s’appuieront de plus en plus sur des navires plus gros pour transporter de plus grands volumes »

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