Françafrique : Jacques Foccart, le prince des ténèbres

De 1960 à 1974, le « Monsieur Afrique » des présidents français tira toutes les ficelles de la Françafrique. Son ombre tutélaire continue d’écraser ses successeurs.

Voyage en France du président de la République gabonaise Albert-Bernard Bongo du 6 au 10 juillet 1970. Arrivé, à l’Élysée, il est accueilli par Jacques Foccart, secrétaire général de l’Élysée aux Affaires africaines, le 6 juillet 1970. © Présidence Gabon

Voyage en France du président de la République gabonaise Albert-Bernard Bongo du 6 au 10 juillet 1970. Arrivé, à l’Élysée, il est accueilli par Jacques Foccart, secrétaire général de l’Élysée aux Affaires africaines, le 6 juillet 1970. © Présidence Gabon

Christophe Boisbouvier

Publié le 15 septembre 2017 Lecture : 3 minutes.

Albert-Bernard Bongo, président de la République du Gabon s’entretient avec Jacques Foccart, secrétaire général de l’Elysée aux Affaires africaines. Les autres personnages autour de la table non identifiés – France,8 juillet 1970. © Présidence /Gabon
Issu du dossier

La cellule africaine de l’Élysée, entre fantasmes et réalité

La « cellule Afrique de l’Élysée » est une sorte d’objet non identifié au sein de l’administration française, dont aucun document officiel n’atteste l’existence. Pourtant, il s’agit d’un véritable lieu de pouvoir. Et si de Jacques Foccart à Franck Paris le bureau est resté le même, beaucoup de choses ont changé entre-temps.

Sommaire

C’est une rencontre secrète qui en dit long sur la fascination que Foccart a exercée sur ses contemporains. En mai 1981, quand la gauche est arrivée au pouvoir, tout le monde a cru que l’homme des coups tordus serait mis sur la touche une bonne fois pour toutes. Mais aujourd’hui, Jacques Godfrain révèle à Jeune Afrique que, quelques mois après son élection, François Mitterrand a reçu très discrètement Jacques Foccart dans son bureau.

« C’est Guy Penne [le premier « Monsieur Afrique » du président] qui a joué les intermédiaires, précise l’ancien ministre de la Coopération. L’entretien a duré un bon moment et s’est mieux passé qu’on n’aurait pu le croire, car les deux hommes partageaient l’idée que l’Afrique donnait une dimension plus grande à la France dans le monde. » Mitterrand et Foccart avaient aussi un ami commun : Houphouët-Boigny, le pivot de la Françafrique.

Indépendance de la Côte d'Ivoire, proclamée à Abidjan par le ministre d'Etat français Louis Jacquinot, le 7 août 1960. De gauche à droite : Jacquinot et Houphouêt Boigny, Yves Guéna, Alain Plantey (adjoint de Jacques Foccart); Jean Delafosse et Félix Houphouêt . © Archives JA

Indépendance de la Côte d'Ivoire, proclamée à Abidjan par le ministre d'Etat français Louis Jacquinot, le 7 août 1960. De gauche à droite : Jacquinot et Houphouêt Boigny, Yves Guéna, Alain Plantey (adjoint de Jacques Foccart); Jean Delafosse et Félix Houphouêt . © Archives JA

la suite après cette publicité

Le premier des coups tordus de l’ère Foccart a été un crime d’État. Le 3 novembre 1960, l’opposant camerounais Félix Moumié est empoisonné au thallium dans un restaurant de Genève par William Bechtel, un agent du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (Sdece) – l’ancêtre de la DGSE – qui s’est fait passer pour un journaliste. Face au tollé diplomatique, l’agent français est « mis au vert » sur la Côte d’Azur. À cette date, Foccart dirigeait le secrétariat général des Affaires africaines et malgaches depuis déjà plus de six mois. Au soir de sa vie, dans Foccart parle, coédité en 1995 par JA et Fayard, l’homme de l’ombre reconnut qu’il était au parfum, tout en niant être à l’origine de l’assassinat.

C’était un humaniste. Je ne le vois pas commanditer la mort de quelqu’un », estime Jacques Godfrain

Peut-on le croire ? « On lui a attribué bien des turpitudes, car beaucoup se sont servis de son nom pour se couvrir, mais c’était un humaniste. Je ne le vois pas commanditer la mort de quelqu’un », estime Jacques Godfrain, qui connaît bien « son » Foccart – il l’a rencontré pour la première fois en octobre 1965. De son côté, Frédéric Turpin, son dernier biographe, écrit à son propos : « Gaullisme ardent, pragmatisme voire réalisme de terrain et dureté dans l’action forment les ingrédients de [sa] longévité. »

Albert-Bernard Bongo et Jacques Foccart, à Pau, le 9 juillet 1970.

Albert-Bernard Bongo et Jacques Foccart, à Pau, le 9 juillet 1970.

Un jour de février 1964, juste après que les troupes françaises eurent réinstallé Léon M’Ba à la tête du Gabon, Foccart confia à Alain Peyrefitte, le porte-parole du gouvernement : « Il ne faut jamais que le Général soit en première ligne pour ce genre de coups durs. Il faut les régler sans lui en parler. On parle en son nom. On le met au courant quand c’est fini. Il peut toujours nous désavouer si ça rate. »

la suite après cette publicité

Zones d’ombre

Pour la mort de Moumié – un « coup dur » ? –, il est donc possible que de Gaulle n’ait pas donné d’ordre formel et se soit abrité derrière son Premier ministre, Michel Debré, Foccart et le patron du Sdece, qui auraient servi de fusibles en cas d’échec. Déjà, le 24 décembre 1942, lors de l’assassinat de l’amiral Darlan à Alger, le chef de la France libre avait su rester très habilement en retrait, tout en étant informé des préparatifs de l’attentat.

La France a-t‑elle trempé dans l’assassinat de Sylvanus Olympio, le 13 janvier 1963 ? Le président togolais ayant été capturé dans l’enceinte de l’ambassade des États-Unis à Lomé, beaucoup espèrent que le département d’État américain finira par ouvrir ses archives.

la suite après cette publicité

La France est-elle derrière l’élimination physique de Thomas Sankara, le 15 octobre 1987 ? En octobre 2016, la justice burkinabè a enfin lancé une commission rogatoire pour demander à Paris la levée du secret-défense. La France est-elle impliquée dans l’assassinat, en mars 1988, d’une proche de Nelson Mandela, Dulcie September, représentante de l’ANC à Paris ? Comme le crime a eu lieu sous la cohabitation Mitterrand-Chirac, certains y voient encore la main de Foccart, qui était à l’époque conseiller à Matignon. C’est peut-être prêter beaucoup à l’homme de l’ombre…

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image