Lutte contre la corruption au Nigeria : Muhammadu Buhari, chef désarmé

Le président en avait fait une de ses grandes promesses de campagne. Mais deux ans et demi après son élection, la lutte contre la corruption n’a pas donné de grands résultats…

Le président nigérian Muhammadu Buhari lors d’une allocution à la Nation depuis le palais présidentiel d’Abuja, le 21 août 2017. © Bayo Omoboriowo/AP/SIPA

Le président nigérian Muhammadu Buhari lors d’une allocution à la Nation depuis le palais présidentiel d’Abuja, le 21 août 2017. © Bayo Omoboriowo/AP/SIPA

Publié le 16 novembre 2017 Lecture : 3 minutes.

« La corruption n’a pas de place dans mon administration. » Ce slogan de Muhammadu Buhari avait fait rêver plus d’un Nigérian. D’autant qu’il était répété à longueur de journée, comme un mantra, durant sa campagne présidentielle, en 2015. « Il nous recevait chez lui pieds nus. Son humilité nous impressionnait », souligne un diplomate.

Son physique d’ascète et sa raideur de militaire renforçaient cette impression d’austérité à toute épreuve. C’est d’ailleurs cette volonté affichée de lutter contre la culture du bakchich qui a fait la différence lors du scrutin, tant les Nigérians étaient lassés par les scandales à répétition, notamment la disparition d’une dizaine de milliards de dollars des caisses de l’État quelques mois avant l’élection. Selon la presse locale, ils étaient sans doute « destinés en grande partie à financer la campagne du président sortant, Goodluck Jonathan ».

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Les positions du vieux général lui ont permis de capter des voix au-delà de son électorat traditionnel du Nord musulman, et notamment de s’attirer le soutien d’une partie des jeunes, notamment parmi les chrétiens du Sud. Mais cet électorat est aujourd’hui désabusé. « Nous avons l’impression d’avoir été floués », note Seun Fayinde, avocat, qui a voté pour lui en 2015.

Combattre la corruption

Deux ans et demi après son arrivée au pouvoir, Buhari a en effet connu très peu de succès dans sa lutte contre la corruption. Les milliards détournés n’ont pas été récupérés. « Les enquêtes piétinent. Les personnalités accusées disposent de très bons avocats et des moyens de corrompre les juges », note un de ses conseillers. Et le président ne possède plus les mêmes armes que lors de son premier passage au pouvoir.

Le coût de son élection oblige peut-être le président à faire des concessions

À la tête du pays de 1983 à 1985, il pouvait faire jeter en prison toute personne soupçonnée de corruption sans avoir de comptes à rendre. « Il forçait les fonctionnaires arrivés en retard à faire des pompes ou à marcher en canard. Mais aujourd’hui, c’est la démocratie, il n’a pas envie d’être traité de dictateur », souligne l’un de ses proches. Autre écueil : du fait de son état de santé, Buhari a passé près de la moitié de son temps à Londres depuis le début de l’année. Il est donc dans l’impossibilité de suivre de près les dossiers « sensibles ».

Par ailleurs, le coût de son élection oblige peut-être le président à faire des concessions. « Même si Buhari n’est pas corrompu, l’argent ayant servi à le faire élire est bien venu de quelque part. Aujourd’hui, il peut difficilement s’attaquer à ceux qui lui ont permis de gagner », estime l’un des hommes politiques ayant fait campagne pour lui.

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Pas égaux

Cependant, dans cette lutte contre la corruption, les proches de Buhari sont le plus souvent épargnés. Ce sont essentiellement les dignitaires de l’ancien régime qui sont visés. Par ailleurs, l’opinion estime que les « Nordistes musulmans » bénéficient d’un traitement de faveur. Un sentiment renforcé par l’affaire Abdulrasheed Maina, haut fonctionnaire accusé d’avoir détourné 4,8 millions d’euros.

L’opinion se demande s’il a vraiment les moyens de lutter contre les malversations

Un mandat d’arrêt international a été lancé contre lui en 2015. Pourtant, il a continué à toucher une rémunération de l’État. Il est revenu vivre au Nigeria et a bénéficié d’une escorte policière jusqu’à ce que la presse révèle cette affaire, fin octobre. Selon le quotidien Vanguard, les « sommets de l’État ne pouvaient ignorer la situation ». « La lutte anticorruption de Buhari n’est-elle pas comme si Satan accusait Judas d’avoir péché ? » a réagi Ayodele Fayose, l’un des dirigeants de l’opposition, sur Twitter.

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Buhari conserve tout de même une réputation d’intégrité. Mais l’opinion se demande s’il a vraiment les moyens de lutter contre les malversations. Une question qui surgit au plus mauvais moment pour lui. Ses partisans ont déjà lancé une campagne pour sa réélection en 2019. Une perspective qui laisse songeurs bien des Nigérians, compte tenu de son âge, 74 ans. Feyi, une enseignante qui lui avait donné sa voix lors de la présidentielle, s’interroge : « Si le Buhari de 2015 n’avait pas l’énergie suffisante pour vaincre l’hydre de la corruption, comment imaginer que celui de 2019 en sera capable ? »

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