Zimbabwe : la Galerie d’art de Bulawayo, là où les artistes sont chez eux

Véritable refuge pour les créateurs zimbabwéens et leurs œuvres, la Galerie nationale d’art de Bulawayo affiche un programme éclectique.

Voti Thebe, directeur des lieux, a présenté son travail à la Biennale de Venise en 2013. © ROBIN HAMMOND/NYT-REDUX-REA

Voti Thebe, directeur des lieux, a présenté son travail à la Biennale de Venise en 2013. © ROBIN HAMMOND/NYT-REDUX-REA

Publié le 9 février 2018 Lecture : 5 minutes.

À l’angle des rues Joshua-Nkomo et Leopold-Takawira de Bulawayo, le bâtiment colonial construit au début des années 1900 ne passe pas inaperçu avec ses fines colonnes de fer forgé, sa jolie devanture en bois et son double balcon surplombant un centre-ville paisible, quadrillé comme une métropole anglo-saxonne.

Sur l’une des façades, les passants peuvent admirer les créations d’artistes locaux. Sur l’autre, les marches du perron peinturlurées du mot « bienvenue » en plusieurs langues locales mènent à l’entrée de ce lieu qui salue la culture sous toutes ses formes.

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Un lieu ouvert à tous

Au rez-de-chaussée, la boutique de souvenirs, envahie de statues et de tableaux, propose bijoux et objets artisanaux. On y vend aussi de vieilles cartes d’Afrique, des recueils de poésie et des reproductions d’œuvres du Britannique Thomas Baines, qui peignit les chutes Victoria à la fin du XIXe siècle. Un large escalier mène à l’étage, où d’innombrables pièces consacrées aux expositions et à la collection permanente jouxtent une petite bibliothèque de livres d’art et d’histoire.

En redescendant, à l’arrière de la galerie, un patio bordé de larges plantes en pot et d’imposantes sculptures shona abrite, telle une oasis verdoyante, une dizaine de studios où des hommes et des femmes, peintres pour la plupart, s’adonnent à leur art dans une ambiance joyeuse et décontractée. Il y a aussi une cafétéria tout en bois et des salles de musique, de danse, ainsi que des ateliers animés par des professionnels en résidence.

Partage et convivialité

Assis derrière son large bureau, Voti Thebe, directeur des lieux depuis 1994, se réjouit d’être à la tête d’une institution riche d’un programme foisonnant. « Notre approche est multidisciplinaire. Nous embrassons tous les domaines artistiques, de la photographie à la sculpture en passant par la littérature, la performance et, bien sûr, la peinture », explique l’homme, peintre de formation, âgé de 65 ans.

Révéler des vocations et stimuler la créativité font partie intégrante du projet

Si la diversité et le partage sont les maîtres mots de cet espace ouvert à tous, l’enseignement et l’apprentissage y occupent aussi une place de choix. Très orienté vers la pédagogie, le musée s’évertue à pérenniser une démarche éducative indissociable de sa philanthropie. Révéler des vocations, stimuler la créativité et donner aux jeunes la possibilité d’exploiter pleinement leur talent font partie intégrante d’un projet ambitieux où l’art est roi.

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Rendre l’art accessible

Diplômé du Mzilikazi Arts & Crafts Center de Bulawayo, où il a appris le batik, la sculpture et les arts graphiques, Voti Thebe permet aux étudiants de cette école renommée d’intégrer la galerie pendant six mois, une fois leur cursus terminé. Sans débourser un centime, les artistes peuvent y suivre des ateliers, perfectionner leurs acquis et même exposer – ce que ne manque pas de rappeler Thebe.

Par le passé c’étaient surtout des privilégiés ou des expatriés qui assistaient aux spectacles, raconte Voti Thebe

Lui-même présenta ses œuvres à la Biennale de Venise en 2013. « Par le passé, seule l’élite avait accès à la culture. Les expositions, les formations et les vernissages étaient fréquentés par un public averti. C’étaient surtout des privilégiés ou des expatriés qui assistaient aux spectacles », rappelle-t-il.

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Un espace de liberté

Créée en 1970 par un groupe d’artistes locaux, la galerie était autrefois logée dans un autre immeuble du quartier. Son déménagement lui a permis d’avoir pignon sur rue. « C’est devenu une plateforme de création et d’échange, où tout le monde est le bienvenu », se réjouit le responsable, dos à une étagère où une petite carte postale trône en évidence.

Sur cette dernière, un personnage cerné de noir sur fond rouge sang attire l’attention. Il s’agit d’une œuvre d’Owen Maseko, artiste réputé de la ville. Son exposition dans la galerie en mars 2010 entraîna la fermeture du musée pendant cinq longues années. Accusé de « discréditer l’autorité » de l’ex-président Robert Mugabe (une peine passible de vingt ans d’emprisonnement), Maseko fut arrêté moins de vingt-quatre heures après le vernissage et subit un long interrogatoire avant d’être libéré sous caution.

Maseko, l’artiste qui raconte l’horreur

Intitulé Sibathontisele (« qu’on les égoutte sur eux »), son travail expose les terribles exactions subies par la population ndébélée dans les années 1980 et en particulier le massacre de Gukurahundi, perpétré dans les montagnes de Matobo en janvier 1983.

Sibathontisele fait référence à l’ingéniosité perverse des milices de la « 5e brigade », entraînées par la Corée du Nord. Elles lâchaient sur des personnes emprisonnées dans une fosse des sacs plastique enflammés. La rivière avoisinante serait devenue rouge à force de charrier des cadavres.

L’impunité de Mugabe

Orchestrées par un Robert Mugabe alors Premier ministre, les opérations de répression furent pilotées par son bras droit et futur successeur, Emmerson Mnangagwa. Alors ministre de la Sécurité nationale, ce dernier était aussi à la tête des services de renseignements, responsables de nombreuses tueries. Cette tentative d’épuration ethnique a fait plus de 20 000 morts dans le Matabeleland, territoire de l’opposition dont Bulawayo est le fief.

Selon Voti Thebe, la liberté d’expression est bien réelle au Zimbabwe, malgré quelques limites à ne pas dépasser

Face à ces événements, Mugabe, qui n’a jamais reconnu publiquement son implication, n’a pas hésité à célébrer ses 93 ans le 25 février 2017 dans les monts Matobo, à quelques kilomètres à peine des lieux où se sont déroulés les meurtres en masse. Quant à Emmerson Mnangagwa, il était à ses côtés pour découper le gigantesque gâteau.

Une galerie militante

Mis en grande difficulté pour sa série de toiles, Owen Maseko avait été relaxé en septembre 2010 par la Cour suprême, sa « création artistique représentant des événements qui se sont incontestablement déroulés ». Pendant sa fermeture, la galerie n’a jamais cessé ses activités malgré l’interdiction formelle d’exposer ses réalisations, une injonction concrétisée par sa façade entièrement couverte de papiers journaux parfaitement opaques.

Avec un sourire timide et assez mal à l’aise lorsqu’il s’agit d’évoquer cette période trouble, Voti Thebe n’esquive pas le sujet. Selon lui, la liberté d’expression est bien réelle au Zimbabwe, malgré quelques limites à ne pas dépasser – des barrières politiques et idéologiques que le directeur peine à définir.

Artistes : liberté sous conditions

Nonny Matse, une peintre de 41 ans, raconte dans le petit studio qu’elle partage l’époque où elle se réfugiait dans son atelier sans pour autant être rassurée : « On ne savait pas ce que l’on pouvait dire ou pas. On était toujours sur le qui-vive. »

Un portrait politique

Fière de ses trouvailles en matière de couleur et de texture, elle aime coucher sur le papier les réalités du Zimbabwe. Comme les ambitions d’une ex-­­première dame qui se serait bien vue bien accéder au poste suprême. Créée quelques mois avant la démission de Robert Mugabe le 21 novembre, l’aquarelle baptisée « Dans ses rêves » est un portrait de l’épouse de l’ancien président coiffée d’une toque réservée aux chefs traditionnels.

Vendu très rapidement et en catimini, le tableau trône désormais chez un particulier de la ville. Certes, les récents bouleversements politiques ne manqueront pas d’inspirer les artistes ; reste à savoir si ceux-ci pourront s’exprimer pleinement.

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