Turquie-Égypte : les graves reculs de la démocratie

Le désenchantement est aujourd’hui de mise sur les cinq continents, où de nouvelles dictatures apparaissent et où les démocraties vont mal, notamment en Turquie et en Égypte.

Une grande manifestation a été organisée le 25 avril 2016 contre le pouvoir de Abdel Fattah al-Sissi,. © Mostafa Darwish/AP/SIPA

Une grande manifestation a été organisée le 25 avril 2016 contre le pouvoir de Abdel Fattah al-Sissi,. © Mostafa Darwish/AP/SIPA

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Publié le 8 février 2018 Lecture : 5 minutes.

Recep Tayyip Erdogan, le président turc, et Mohamed Ould Abdel Aziz, le président mauritanien, à Nouakchott le 28 février 2018. © Kayhan Ozer/AP/SIPA
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Sommaire

La démocratie a-t-elle progressé depuis le début du siècle ? Le monde compte-t-il plus de pays démocratiques qu’il y a dix-huit ans ? Les avis des experts sont partagés, et il revient à vous comme à moi de chercher à y voir plus clair.

Il semble que le désenchantement soit aujourd’hui de mise sur les cinq continents : de nouvelles dictatures apparaissent et les démocraties vont mal, même en Amérique latine et en Europe, où les dictatures avaient presque disparu.

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À en croire le dernier rapport de Freedom House, la démocratie est partout sur la défensive, menacée par les autocrates et par le populisme. Il relève un net recul des droits des citoyens et des libertés publiques dans 71 pays, tandis que 35 seulement ont connu des avancées dans ces domaines. Et rappelle que le recul de la démocratie est une tendance qui se confirme année après année.

Freedom House classe les pays et leurs populations en trois catégories : libres, partiellement libres, privés de liberté. Ces deux dernières catégories représentent 55 % des États et 61 % de la population mondiale.

Ne voit-on pas des pays démocratiques depuis des décennies, comme la Thaïlande, quitter le camp des démocraties pour rejoindre celui des dictatures ?

Vous et moi n’avons pas besoin de Freedom House pour observer que les deux pays les plus peuplés du monde, la Chine et l’Inde, se trouvent dans des camps opposés. Ils rassemblent à eux deux près de 40 % des 7,5 milliards d’habitants que compte la planète, mais l’Inde est une démocratie depuis 1947, date de son indépendance. Tandis que la Chine, réunifiée en 1949, vit depuis près de 70 ans sous la férule d’un parti unique (communiste).

À vrai dire, nul ne sait si la démocratie recule ou progresse : on peut tout aussi bien soutenir que la bouteille est à moitié pleine et se remplit tout doucement ou, à l’inverse, qu’elle est à moitié vide et semble devoir le rester. Ne voit-on pas des pays démocratiques depuis des décennies, comme la Thaïlande, quitter le camp des démocraties pour rejoindre celui des dictatures ?

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La Russie, qui s’apprête à réélire Vladimir Poutine, lequel la dirige depuis le début de ce siècle, n’est plus la dictature qu’elle fut pendant 70 ans. Mais peut-on pour autant la classer dans le camp des démocraties ?

Les États-Unis, qui se sont donné pour président, il y a plus d’un an, un populo-­nationaliste à tendances dictatoriales nommé Donald Trump, ne sont-ils pas eux-mêmes menacés de sortir de ce camp ?

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Plus proche de nous et très préoccupant est le cas de deux grands pays du Tiers Monde, arrivés aux portes de la démocratie et qui sont en train de redevenir des dictatures.

Arabo-musulman et africain, le premier, l’Égypte, est issu d’une civilisation millénaire ; le second, la Turquie, est l’héritier d’un grand empire.

Avec quelque 100 millions d’habitants, l’Égypte représente 7,5 % de la population du continent africain et plus de 5 % des musulmans de la planète ; les 81 millions de Turcs en représentent eux près de 5 %.

1. L’Égypte

Je peux vous annoncer, deux mois à l’avance et avec certitude, que l’actuel président de l’Égypte, Abdel Fattah al-Sissi, sera réélu, fin mars, président avec un score très élevé. Si je suis en mesure de le faire, c’est parce que l’Égypte est redevenue une dictature au sens plein du terme, même si son chef ne le reconnaît qu’implicitement.

Une dictature débute en mettant en œuvre des projets qui améliorent la vie des gens, mais finit toujours en catastrophe

Lisez ce qu’en dit son écrivain le plus connu dans le monde, Alaa El Aswany, auteur, entre autres, de L’Immeuble Yacoubian.

En 2011, lors de la chute du précédent dictateur, Hosni Moubarak, il a cru que son pays allait enfin accéder à la démocratie ; en 2018, avec d’infinies précautions, il décrit une dictature : « Une dictature débute en mettant en œuvre des projets qui améliorent la vie des gens, mais finit toujours en catastrophe. Nombreux sont ceux qui peuvent pardonner le fait qu’un seul monopolise le pouvoir s’il apporte des changements bénéfiques à la société. Ce fut le cas avec Nasser, le fondateur de la dictature égyptienne, qui était et reste très populaire. Le pouvoir des Frères musulmans, avec le président Mohamed Morsi élu en 2012, avait des tendances fascistes qui ont terrorisé les gens. Puis est apparu un héros issu de l’armée – adorée des Égyptiens – qui a promis de protéger le peuple, mais a dit que le moment n’était pas venu pour la démocratie et les droits de l’homme. “On ne peut pas appliquer la démocratie avant vingt ans”, a dit M. Sissi. Le régime a tout, nous n’avons que notre plume et nos idées. »

2. La Turquie

Au pouvoir depuis le début de ce siècle, l’AKP a réussi l’exploit de faire de la Turquie, en moins de deux décennies, un pays économiquement et socialement développé : l’espérance de vie y est de 76 ans, le taux d’alphabétisation est de 96 %, le PIB annuel de 864 milliards de dollars et le revenu par tête de 11 000 dollars. Le pays est dans la première moitié du classement des nations pour le développement humain et le bonheur.

L’AKP a failli faire de la Turquie une démocratie, et nous avons cru que l’ambition stratégique du chef de ce parti, Recep Tayyip Erdogan, aujourd’hui président de la République, était d’en être l’artisan. Il répétait qu’il voulait parvenir au « zéro problème » avec ses voisins comme avec le reste du monde.

Sous sa férule, la Turquie redevient peu à peu une vraie dictature où s’instaure le culte du chef

Au lieu de cela, M. Erdogan s’est employé, avec l’aide de l’Europe, à décapiter l’armée pour se prémunir contre les coups d’État. Cela obtenu, il a écarté de la direction de l’AKP tous les démocrates, révélant ainsi qu’il n’avait jamais cessé d’être un islamiste, et jeté aux orties les valeurs démocratiques qu’il avait semblé défendre.

Il s’est servi du coup d’État avorté du 15 juillet 2016, qui était dirigé contre lui, pour conquérir méthodiquement les pouvoirs exécutif, législatif, judiciaire et militaire. Et le voici, en 2018, avec mille problèmes avec ses voisins, mais maître de son pays et de ses destinées. Sous sa férule, la Turquie redevient peu à peu une vraie dictature où s’instaure le culte du chef.

Certains pensent qu’Erdogan quittera le pouvoir en 2023 après avoir célébré le centenaire de la République. N’y comptez pas et prévoyez pour le pays de graves difficultés économiques dès l’année prochaine.

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