Transports : « Les risques pays sont trop grands pour les investisseurs »

Le trafic de marchandises va doubler, mais les financements privés dans les infrastructures tardent encore, explique Maïdadi Sahabana, directeur transport du cabinet Louis Berger.

Maidadi SahabanaDempossit eossit ella doloresci di cuptas dit, © Vincent Fournier/JA

Maidadi SahabanaDempossit eossit ella doloresci di cuptas dit, © Vincent Fournier/JA

Rémy Darras © Francois Grivelet pour JA

Publié le 8 mars 2018 Lecture : 5 minutes.

Le pont Henri-Konan-Bédié, à Abidjan. © Jacques Torregano pour JA
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Transport routier et ferroviaire : des investissements malgré les risques

En matière de transports, de grands projets sont lancés, dont la réhabilitation du chemin de fer entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso ou la LGV marocaine. Mais les financements, surtout privés, sont insuffisants, le secteur étant considéré comme encore trop risqué.

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Jeune Afrique : Les investissements réalisés ces dernières années ont-ils permis d’améliorer l’état des routes ?

Maïdadi Sahabana : En dépit d’efforts significatifs consentis en Côte d’Ivoire, en Guinée et au Sénégal, le retard à combler reste globalement très important en Afrique francophone. Le niveau de bitumage est d’environ 20 % sur le réseau routier classé. Par exemple, seule la moitié du corridor Abidjan-Ouagadougou est en bon état. La RD Congo a moins de kilomètres bitumés [3 000 km sur 17 000 km de routes nationales] que le Congo voisin pour une surface et une population bien plus importantes…

Pour le riz, les surcoûts peuvent représenter jusqu’à 162 dollars tous les 100 km en Afrique de l’Ouest

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Ce mauvais entretien des réseaux ou leur non-revêtement ont une incidence directe sur le matériel et les coûts d’exploitation des transporteurs. Y a-t‑il un moyen d’en réduire l’impact ?

Il reste difficile pour les transporteurs d’être rentables alors que ces coûts de transport sont parmi les plus importants au monde ! Mais sur la plupart des corridors transnationaux, ce surcoût n’est pas le seul fait de l’exploitation. Il provient également des paiements illicites réclamés par les policiers ou les douaniers sur les routes. En RD Congo, le prix du ciment peut passer du simple au triple de Lubumbashi à Kananga, selon le niveau d’enclavement des villes.

Pour le riz, les surcoûts peuvent représenter jusqu’à 162 dollars [131 euros] tous les 100 km en Afrique de l’Ouest. Sur un corridor de 1 000 km, cela représente 1 600 dollars, qui renchérissent le prix du produit pour le consommateur final et entravent la compétitivité des exportations sur le marché mondial.

La construction d’autoroutes ne permettrait-elle pas une meilleure optimisation du circuit logistique ?

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Oui, sauf que, en dehors des grandes agglomérations comme Dakar et Abidjan, le trafic sur les liaisons interurbaines n’est pas suffisant pour justifier la construction d’autoroutes [il faudrait entre 10 000 et 20 000 véhicules par jour] et générer assez de revenus de péage. Si l’on aménage les 230 km qui séparent Yaoundé de Douala, à 7 millions de dollars le kilomètre, il faudrait des niveaux de péage très élevés [que les usagers ne sont pas en mesure de payer] pour parvenir à la rentabilité. L’idée d’une couverture totale du financement d’une autoroute par le péage n’est pas réaliste. Ces projets nécessitent obligatoirement une contribution financière publique.

Quelle est la réalité du port sec de Bolloré entre le Gabon et le Congo ? Combien de conteneurs transitent par ces ports secs ? Zéro

Le trafic n’est pas suffisant. On évoque souvent une saturation des circuits logistiques…

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La saturation n’est pas tant le fait des flux que de leur gestion. Les investisseurs portuaires ont investi dans des grues qui permettent de décharger des navires très rapidement. Or, dans les enceintes portuaires, pour des questions de coût et de sécurité, les marchandises peuvent rester stockées plusieurs semaines ou plusieurs mois, le temps de mobiliser les ressources nécessaires au dédouanement des importations. C’est à l’entrée des villes et des ports que les routes sont envahies par des activités urbaines, par des marchés qui débordent et qui viennent perturber le fonctionnement des chaînes logistiques. Sinon, elles ne sont pas saturées.

Cependant, les marchandises s’entassent sur les corridors…

Il n’y a actuellement qu’un seul « poste-frontière juxtaposé » qui permet de faire une opération de contrôle conjointe sur un même point, à Cinkassé entre le Burkina Faso et le Togo. D’autres projets similaires vont émerger entre le Bénin et le Nigeria, entre le Bénin et le Togo, entre le Bénin et le Niger. Beaucoup de ports secs sont à l’étude au Gabon, au Congo, au Bénin, en Côte d’Ivoire. Ils ne seront pleinement fonctionnels que si le chemin de fer leur apporte une cargaison suffisante pour organiser le transfert sur la route. Mais ce n’est pas encore le cas. Quelle est la réalité du port sec de Bolloré entre le Gabon et le Congo ? Combien de conteneurs transitent par ces ports secs ? Zéro.

Comme pour les routes, les risques pays sont trop importants pour pouvoir susciter la confiance des financeurs privés

Pourquoi le réseau ferroviaire n’est-il pas devenu une alternative plus importante à la route ?

La période de désinvestissement des années 1980-1990 n’a pas encore été rattrapée. Aucun investissement significatif n’a été fait. Le réseau de Sitarail est sur le point d’être réhabilité, il transporte 800 000 à 900 000 tonnes de fret par an. C’est très peu par rapport aux 21,7 millions de tonnes traitées par le port d’Abidjan.

En dehors de la Camrail, qui représente 17 % de la part de marché du port de Douala, la plupart des chemins de fer sont réduits à un trafic quasi nul. Le chemin de fer Bamako-Dakar n’est pas opérationnel, tout comme celui de Benirail au Bénin. Au Togo, le ferroviaire ne sert qu’à transporter du ciment et non des conteneurs. Le chemin de fer Congo-Océan est interrompu. Il y a un trafic insuffisant entre Matadi et Kinshasa. Des efforts de réhabilitation sont entrepris en RD Congo, mais on est encore loin du compte.

Les investissements sont plus lourds à mobiliser dans le ferroviaire – ils sont de l’ordre de dizaines de millions de dollars le kilomètre – que dans le routier, où ils équivalent à 1 million de dollars le kilomètre. Un chemin de fer sera rentabilisé au bout de vingt ans. Comme pour les routes, les risques pays sont trop importants pour pouvoir susciter la confiance des financeurs privés.

Les projets routiers ne sont pas suffisants pour faire face au doublement à venir du trafic dans les ports d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale

Pourtant, dans les prochaines années, on fera face à un doublement du volume des marchandises…

Un port qui génère 10 millions de tonnes peut se passer de ferroviaire. Dans dix à vingt ans, ces ports généreront 30 millions de tonnes, soit plus de 3 000 camions par jour. Le ferroviaire est plus adapté à l’évacuation de ces gros volumes, délestant ainsi la route d’un trafic trop important avec un coût de transport bien moindre. Les projets routiers ne sont pas suffisants pour faire face au doublement à venir du trafic dans les ports d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale.

Des chargeurs encore peu rentables

Pour le secteur des transports, qui reste en grande partie informel, il est difficile d’être rentable. Les chargeurs font de la surcharge et minimisent le prix d’entretien, ce qui peut entraîner des immobilisations. La moindre panne peut causer des pertes de marchandises.

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