Nigeria : Muhammadu Buhari, le faucon déplumé

Les Nigérians croyaient avoir élu un homme à poigne. À un an de la présidentielle, ils déchantent. Au point qu’on se demande s’il pourra briguer un second mandat.

Muhammadu Buhari au palais présidentiel, à Abuja, en mars 2017. © Sunday Aghaeze/AP/SIPA

Muhammadu Buhari au palais présidentiel, à Abuja, en mars 2017. © Sunday Aghaeze/AP/SIPA

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Publié le 14 mars 2018 Lecture : 3 minutes.

C’était une belle fête, de celles où se presse tout le gotha nigérian. Ce 3 mars, à Kano, on mariait la fille du gouverneur de cette région du Nord avec le fils du gouverneur d’Oyo, un État du Sud-Ouest. Une union éminemment politique entre deux grandes familles du pays que n’auraient manquée pour rien au monde le puissant émir de Kano (qui célébrait la noce), une pléiade de gouverneurs, sénateurs, députés, et même… Muhammadu Buhari. Tunique immaculée et chapeau traditionnel assorti, le président arbore un sourire épanoui sur les photos souvenir.

Cela serait resté un moment heureux pour Buhari s’il n’avait eu lieu deux semaines seulement après l’enlèvement de 110 jeunes filles à Dapchi, une bourgade du Nord-Est. De tweets exaspérés en éditoriaux acerbes, les critiques ont fusé à l’encontre d’un président jugé défaillant et déconnecté des réalités. S’il a pris le temps d’assister au mariage, Buhari n’avait en revanche pas estimé nécessaire d’aller soutenir les familles des kidnappées. Pis : il avait attendu une semaine avant de reconnaître que cette « catastrophe nationale » n’était pas une « disparition » mais un nouvel enlèvement.

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Près de quatre ans après celui des 276 lycéennes de Chibok, ce kidnapping constitue un cinglant désaveu pour le chef de l’État, qui, à plusieurs reprises, a assuré que Boko Haram était « militairement défait ». À moins d’un an de l’élection présidentielle, le groupe jihadiste prouve qu’en dépit de ses divisions internes il n’a pas perdu sa capacité de nuisance.

Militaire austère

Il y a trois ans, l’ancien général avait été élu sur sa réputation d’homme à poigne. Camps de discipline, punitions en tout genre… Les Nigérians se souvenaient de ce militaire austère qui, de 1983 à 1985, avait dirigé le pays d’une main de fer. Une majorité d’électeurs ont estimé qu’il serait le mieux à même d’écarter le péril jihadiste, d’autant que ce musulman né à Daura, à la frontière Nord, jurait qu’il avait définitivement troqué son treillis de dictateur pour un costume de démocrate.

Certes, les opérations militaires se sont intensifiées. Mais, ces derniers mois, les violences ont changé de nature. Les affrontements entre agriculteurs et éleveurs peuls se sont multipliés et ont pris un tour ethnique. En janvier, ils ont fait plus de 80 morts dans l’État de Taraba (Est) et, début mars, plus de 16 victimes dans celui, voisin, de Benue.

Les Nigérians sont d’autant plus déçus qu’ils avaient fondé d’immenses espoirs dans leur nouveau président. Le candidat Buhari avait promis de relancer l’économie ? L’an dernier, le pays est entré en récession. Alors que le clientélisme ravage la société, l’intègre militaire promettait d’établir une bonne gouvernance ? Fin 2017, le premier producteur de pétrole d’Afrique a dû faire face à une absurde pénurie de carburant, et la corruption n’a nullement diminué. Buhari passait pour un homme fort ? En 2017, il a été hospitalisé pendant plus de cinq mois à Londres. On l’a même dit mourant.

Péril jihadiste, crise économique, corruption…Il n’a rien réglé

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La fronde a été ouverte par l’un de ses prédécesseurs, Olusegun Obasanjo, qui lui a demandé de ne pas briguer un second mandat. « Le moment est venu pour mon frère Buhari de se retirer et se reposer. Je lui souhaite d’être en bonne santé afin de profiter de sa retraite », a écrit l’ancien président fin janvier, dans une lettre publique. Lui qui avait rallié Buhari en 2015 a annoncé la création d’un mouvement d’opposition, la Coalition pour le Nigeria, en vue des élections de l’année prochaine. Mi-février, Ibrahim Babangida, qui avait renversé Buhari en 1985, a appelé à l’union « pour sauver la nation du précipice ». Des évêques lui ont emboîté le pas.

Précampagne

Des attaques auxquelles le bureau exécutif du All Progressives Congress (APC, au pouvoir) a répondu il y a quinze jours en incitant son chef à se présenter à la présidentielle du 16 février 2019. Un choix qui devra être confirmé par d’éventuelles primaires et accepté par l’intéressé. Le président – qui peut encore compter sur ses puissants soutiens au Nord, mais devra s’assurer une alliance avec certains États du Sud – n’a pour l’instant pas fait connaître ses intentions.

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Mais il a entamé une tournée aux allures de précampagne dans le pays. Alors que ses absences répétées avaient instillé le doute sur sa capacité à gouverner, Buhari veut rassurer les Nigérians. À 75 ans, il a encore onze mois pour trouver un nouveau souffle.

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