Télévision : « C’est La Vie » et « Hospital IT », les séries médicales à succès

Qu’elles soient à portée éducative ou relèvent du simple divertissement, les séries médicales connaissent un franc succès sur le continent.

Les comédiennes de C’est la vie © Vincent Bloch

Les comédiennes de C’est la vie © Vincent Bloch

KATIA TOURE_perso

Publié le 8 juin 2018 Lecture : 6 minutes.

C’est sur la voix de l’animateur Soro Solo que démarre la saison 2 de C’est la vie, série panafricaine créée par Marguerite Abouet et coécrite avec Charli Beléteau. La fiction suit le quotidien d’un centre de santé situé dans le quartier fictif de Ratanga, à Dakar.

Dans ce premier épisode, deux des sages-femmes, la très acerbe Korsa (Awa Djiga Kane) et la douce Assitan (Fatou Jupiter Touré), soupçonnent une femme enceinte d’avoir contracté le virus Ebola.

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Autres thèmes abordés : les violences conjugales et la contraception. « Il n’est pas évident de véhiculer des messages de façon subtile. L’épisode sur la problématique de l’excision ne fut pas facile à tourner », indique Marguerite Abouet.

Portée éducative

Alexandre Rideau est le producteur de C’est la vie. Installé à Dakar depuis 2003, il a présidé l’ONG Raes (Réseau africain pour l’éducation, la santé et la citoyenneté), fondée en 2005, avant de la quitter il y a trois ans pour lancer Keewu Production. Il affirme avoir eu l’idée du programme en 2011, inspiré par le modèle des telenovelas mexicaines à portée éducative.

Entre 2011 et 2015, année de la réalisation de la série appuyée par ladite ONG, coproductrice, il s’est attelé à convaincre ses futurs partenaires financiers quant au bien-fondé du programme.

Principal argument d’Alexandre Rideau : l’éducation par le divertissement

Parmi ceux-ci, l’ambassade de France au Sénégal, à travers le service de coopération et d’action culturelle, l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), mais aussi le fonds français Muskoka en faveur de la santé des femmes, des enfants, et de la promotion des droits sexuels et reproductifs, chapeauté par quatre agences onusiennes.

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Principal argument d’Alexandre Rideau : l’éducation par le divertissement. Autant dire que nous sommes bien loin des années 2010, époque où la sitcom ivoirienne Dr Boris, inspirée par H, série française de Canal+, amusait les ménages.

Médecin et tradipraticien

Diffusée sur RTI Première en Côte d’Ivoire mais aussi au Sénégal, au Togo, au Mali, au Cameroun, au Burkina Faso et sur la webtélé de TV5 Monde Afrique, Dr Boris suivait les aventures d’un jeune médecin généraliste exerçant dans une clinique privée. Décor peu recherché, dialogues et situations aussi loufoques qu’invraisemblables assuraient le succès du programme.

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Mais aujourd’hui, c’est le réalisme qui compte dans ce genre de production, du moins du côté francophone. En témoigne la série togolaise Hospital IT, réalisée par Angela Aquereburu et son compagnon, Jean-Luc Rabatel, tous deux à la tête de la société YoBo Studios.

>>> À LIRE – Angela Aquereburu, la Shonda Rhimes togolaise

Diffusée sur TV5 Monde, Hospital IT suit le retour au Togo de Tanya (Nastia Hunlede), jeune médecin ayant suivi ses études en France, qui intègre la clinique de son père. Elle y découvre qu’on y pratique la médecine traditionnelle et se heurte aux méthodes d’Idriss (Julio Teko), tradipraticien de son état.

« L’idée de cette série nous est venue parce que l’Afrique est un continent de contrastes, où se mêlent tradition et modernité. On a pensé à la série médicale, car c’est un genre qui fonctionne sur le continent. Les Africains sont friands d’Urgences, de Grey’s Anatomy ou de Dr House », note Angela Aquereburu.

Nous avons fait appel à des médecins togolais et français en tant que consultants, mais aussi à des tradipraticiens » indique Angela Aquereburu

« Je tenais à ce que le public puisse s’identifier aux situations. Nous avons fait travailler cinq auteurs, qui se sont inspirés de faits réels. On évoque le paludisme, la drépanocytose et des maladies rares. Nous avons fait appel à des médecins togolais et français en tant que consultants, mais aussi à des tradipraticiens pour connaître les bienfaits de certaines plantes ou poudres. Avec cette série, nous nous sommes fait plaisir. »

Divertir et interroger

Financée par Côte Ouest Audiovisuel, société ivoirienne, la série allie milieu médical et histoire d’amour, abordant d’autres thèmes comme le retour au pays ou l’attitude peu regardante du personnel soignant concernant le bien-être des patients. Elle tend ainsi à divertir, tout en permettant au public de s’interroger.

J’ai appris énormément de choses, comme le fait que des plantes de chez nous sont capables de soigner des cas graves » raconte l’actrice Nastia Hunlede

« J’ai été contactée par énormément de gens, dont une jeune étudiante en médecine qui m’a confié être motivée par la série, raconte l’actrice Nastia Hunlede. J’ai appris énormément de choses, comme le fait que des plantes de chez nous sont capables de soigner des cas graves. »

La série, tournée à Lomé, compte pour le moment une saison de 26 épisodes de vingt-six minutes. Le budget de chaque épisode avoisine 20 000 euros. Hospital IT est, avant tout, une série divertissante, bien loin des problématiques sociales et sanitaires mises en scène dans C’est la vie. Toutefois, Alexandre Rideau soutient que C’est la vie n’a rien d’une série militante.

Nous ne sommes pas les porte-parole des pays du Nord » souligne le producteur de C’est la vie

« Nous faisons parvenir des informations au grand public. Il y a parfois des projets empreints d’un militantisme un peu déplacé sur le continent quant à des choses qui sont taboues, voire interdites, dans certains pays : nous ne sommes pas les porte-parole des pays du Nord. C’est la vie est surtout un média qui permet de divertir les familles tout en informant et en suscitant des discussions sur le chemin de l’école, dans les transports en commun ou au travail. »

Le producteur évoque ainsi le concept d’« edutainment ». « Il s’agit d’une stratégie de communication et de diffusion très utilisée en Amérique latine, en Asie du Sud-Est mais aussi en Amérique du Nord. » Un concept que l’on retrouve dans moult productions d’Afrique anglophone.

Changer les mentalités

Divertir en éduquant est aussi le credo de Marguerite Abouet. « Les thèmes abordés sont sensibles. Nos personnages sont des messages en eux-mêmes. Chacun d’entre eux permet d’ouvrir une fenêtre sur la réalité. Toutefois, le divertissement est important. La capacité de pouvoir changer les mentalités est favorisée par l’humour. »

Elle ajoute que les épisodes de C’est la vie, qui nécessitent chacun un budget de 50 000 euros, suscitent le débat entre hommes et femmes parmi les téléspectateurs. « Et une fois le débat lancé, on a déjà fait un grand pas. »

Les 26 épisodes de la saison 1, diffusés sur A+, TV5 Monde et plusieurs chaînes africaines, ont été réalisés par le Sénégalais Moussa Sène Absa entre 2014 et 2015. Pour la saison 2, diffusée sur A+ et TV5 Monde – et prochainement sur des chaînes africaines –, l’équipe a fait appel à sept réalisateurs de nationalités différentes (Sénégal, Bénin, Mali, Cameroun, Niger, Burkina Faso) chargés de trois épisodes chacun. Bientôt, elle devrait être doublée en wolof, haoussa, bambara et lingala.

En Afrique anglophone, la médecine sur petit écran a plutôt la faveur des téléfilms et des talk-shows. Si quelques séries existent, elles sont purement comiques (Clinic Matters au Nigeria) ou, à l’instar de Jozi-H, série sud-africaine diffusée en 2006 et en 2007, flirtent avec le soap opera.

Quelle audience ?

Impossible d’obtenir des chiffres d’audience chez TV5 Monde, mais la chaîne avance que les succès de C’est la vie et de Hospital IT se traduisent par « les retours enthousiastes des téléspectateurs ». Diffusée à la fois en anglais et en français dans 44 pays d’Afrique, C’est la vie peut prétendre à une audience potentielle de 100 millions de téléspectateurs.

Au Sénégal, deux équipes des universités de Californie (Ucla) et Cheikh-Anta-Diop mènent des recherches qualitatives et quantitatives sur la série, estampillée « programme à succès » en Afrique de l’Ouest.

Pour Hospital IT, Côte Ouest Audiovisuel parle d’un « retour positif des téléspectateurs » sur les réseaux sociaux. Sans compter que la série a reçu le prix de la meilleure série au festival Vues d’Afrique de Montréal, en 2017.

Divertissement éducatif

L’edutainment, pour educational entertainement (« divertissement éducatif »), est un concept développé par les Anglo-Saxons qui consiste à mêler divertissement, pédagogie et éducation.

Concernant les séries télévisées, l’écriture des scénarios repose sur de la recherche et sur une méthodologie propre au milieu dépeint. La série fait ensuite l’objet d’un suivi scientifique et d’une évaluation d’impact.

De plus en plus de telenovelas mexicaines proposent des pitchs autour du respect de la femme ou de la sexualité. Au Nigeria, la série Shuga, qui suit les aventures de jeunes étudiants, a donné lieu à des études récentes révélant, entre autres, que ceux qui la regardent sont deux fois plus susceptibles de faire un test de dépistage du VIH.

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