Rwanda : le Mille Collines, hôtel de luxe aux murs chargés d’histoire

Il fut l’un des premiers établissements quatre étoiles du Rwanda avant de devenir le refuge de 1 268 personnes durant le génocide. Depuis 2001, les groupes se succèdent à sa tête pour tenter de rivaliser avec les nouveaux concurrents.

L’hotel Mille Collines, à Kigali. © SP

L’hotel Mille Collines, à Kigali. © SP

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Publié le 28 septembre 2018 Lecture : 6 minutes.

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Avec son imposante façade de béton beige, le Mille Collines pourrait n’être qu’un hôtel parmi d’autres à Kigali. Une fois les portes automatiques et le traditionnel contrôle de sécurité passés, on entre dans le hall d’une austère bâtisse de cinq étages aux allures de forteresse. Ce n’est qu’en contrebas de la réception, grande salle à la décoration fleurie, que l’on accède à la spacieuse terrasse, à la piscine et au comptoir, repaire du Tout-Kigali dans les années 1970.

Rien ou presque n’a changé au Mille Collines. Ses jardins ornés de palmiers et de plantes tropicales surplombés par les collines brumeuses de Kigali. Son bar, où l’on peut venir siroter un jus frais dans un silence de cathédrale, ou bien la paillote à l’ombre de laquelle prendre un cocktail. Sa piscine, où clients et sportifs occasionnels viennent se rafraîchir le temps de quelques longueurs dans l’eau turquoise. Un havre de paix, à l’abri de l’agitation du quartier de Kiyovu, qui tranche avec la devanture somme toute banale d’un établissement pourtant bien à part.

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C’était un endroit assez sûr pour parler politique autour d’un verre

Seul sur le marché de l’hôtellerie de luxe à son ouverture, en 1973, aux prémices du régime Habyarimana, l’Hôtel des Mille Collines devint vite l’adresse favorite du Kigali cosmopolite. « C’était l’hôtel le plus luxueux de la ville. Celui des diplomates, des intellectuels, des étrangers qui travaillaient dans l’humanitaire. Ce n’était pas vraiment le lieu du pouvoir. L’entourage de Habyarimana avait ses propres repaires, avec une clientèle moins internationale. C’était un endroit assez sûr pour parler politique autour d’un verre », se souvient Bernard Makuza, président du Sénat et habitué des lieux.

Dans le restaurant qui domine la ville, il y avait aussi des businessmen et des trafiquants d’armes ou de diamants venus conclure leurs affaires, discuter de futurs contrats dans les salons du « Mille Combines », comme on surnommait l’hôtel à l’époque. Les soirs de week-end, pendant les concerts de jazz, ces messieurs venaient également flirter avec la clientèle féminine de l’établissement. « On l’appelait aussi le Mille Copines », glisse un ancien habitué avec un sourire entendu.

De la simple chambre à la suite avec fauteuil en cuir et vue panoramique sur les collines de Kigali, le quatre-étoiles propose tous types d’installations. L’intérieur se veut élégant, mobilier en bois verni et moquette rouge. « Beaucoup de ministres locaux ou étrangers, des dignitaires haut placés viennent dans notre établissement. Nos suites sont réservées pour ce type de clientèle, certains d’entre eux ont leurs préférences », explique Claire Kangwage, directrice marketing de l’établissement.

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Rafles et massacres

La 203 était la chambre de Gasamagera Wellars, un des « réguliers » de l’endroit. Il a découvert le Mille Collines dans les années 1980, lorsqu’il travaillait à l’ambassade de Libye à Kigali, située à l’époque à quelques rues de l’hôtel. « La bière était à 100 francs rwandais. À l’époque, il fallait pouvoir se la payer », se souvient-il. Lorsque les massacres éclatent dans les rues de Kigali, dès le 7 avril 1994, il se rend naturellement au Mille Collines.

« Quand les premières rumeurs de tueries nous sont parvenues, on a immédiatement pensé au Mille Collines. C’était déjà un refuge pour nous qui ne partagions pas les idées du régime », ajoute-t-il. Il logera dans cette chambre du second étage, avec sa femme et 21 autres personnes, pendant le génocide.

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Au total, 1 268 personnes, Tutsis mais aussi Hutus opposés au régime, trouveront refuge dans l’hôtel. L’histoire inspirera le film Hôtel Rwanda, sorti en 2004 et qui donne, selon certains rescapés, le beau rôle à la figure controversée de Paul Rusesabagina, le directeur de l’établissement.

« Les nantis avaient leurs chambres, les ministres avaient leurs gardes, la plupart des gens dormaient dans les corridors ou les salles de conférences. Rusesabagina, lui, buvait des coups avec les miliciens et exigeait que l’on paie les chambres », assure l’un des anciens locataires. Des accusations que l’ex-directeur a niées à plusieurs reprises. Alors que les massacres s’intensifiaient à l’extérieur, les miliciens en profitaient pour rafler les personnes prenant la route de l’hôtel. À l’intérieur du quatre-étoiles, la survie s’organisait.

Gasamagera Wellars n’a jamais cessé de fréquenter l’établissement. Dès sa réouverture et dans les années qui suivent, cet ancien sénateur, aujourd’hui porte-parole du Front patriotique rwandais, instaure même une tradition : un « pèlerinage de deux jours » dans « sa » chambre 203.

L’hôtel est resté fermé trois mois après la fin du génocide, avant de rouvrir fin septembre 1994, une fois les opérations de nettoyage réalisées. Le groupe belge Sabena, propriétaire historique de l’établissement, a été mis en liquidation en 2001 avant de céder le Mille Collines au sud-africain Mikcor Hotel Holding et au milliardaire rwando-congolais Miko Rwayitare, fondateur de Telecel, pionnier de la téléphonie mobile sur le continent. La famille Rwayitare possède également le Mont Rochelle Hotel and Mountain Vineyard du Cap, en Afrique du Sud.

Bière ou vin

Ainsi, au bar, on pouvait à cette époque choisir entre une bière rwandaise ou un vin sud-africain de la richissime famille pour accompagner une cuisine locale ou européenne. Les enfants de Miko Rwayitare ont hérité du quatre-étoiles à sa mort, en 2007. Ils y ont réalisé des travaux en 2010, avant de déléguer la gestion de l’établissement au groupe hôtelier allemand Kempinski, qui ambitionnait alors d’en faire un palace. L’aventure n’a duré que deux ans.

L’hôtel fait désormais face à une forte concurrence dans la capitale rwandaise sur ce créneau. Le Marriott, le Radisson ou encore l’Ubumwe Grande Hotel, à une rue de là, ont ouvert en 2016, allongeant la liste des hôtels de luxe d’une capitale très ambitieuse sur le marché du tourisme. « Le Mille Collines est toujours considéré comme the place to be », assure néanmoins Claire Kangwage.

Tous les vendredis soir, Gasamagera Wellars se rend au Mille Collines pour écouter le groupe de jazz ou de musique traditionnelle venu se produire au bord de la piscine. « L’offre hôtelière s’est diversifiée, dit-il, mais on se retrouve toujours ici. C’est comme si l’hôtel était devenu pour nous un lieu de thérapie. »

Un héros controversé

Avait-il imaginé devenir un héros hollywoodien ? L’histoire de Paul Rusesabagina, directeur de l’Hôtel des Mille Collines au moment du génocide, a été immortalisée dans le film Hôtel Rwanda, sorti en 2004 et réalisé par Terry George. Don Cheadle y incarne son rôle. Son parcours était, il faut le dire, taillé pour le grand écran. Rusesabagina prend la direction du Mille Collines en 1984. Il restera neuf années à la tête du quatre-étoiles, avant de rejoindre en 1993 l’équipe de l’Hôtel des diplomates, autre établissement de luxe de Kigali.

Lorsque les massacres commencent, début avril 1994, le manager néerlandais du quatre-étoiles est évacué tandis que les premiers réfugiés affluent. Paul Rusesabagina est appelé à la rescousse au Mille Collines. C’est là que les versions divergent. Si l’on suit le scénario du film, que l’ex-directeur a assuré avoir « supervisé », Rusesabagina a le beau rôle ; humain, calme et stratège, grand artisan de la survie de 1 268 personnes.

Paul a voulu accaparer toute la lumière sur cette histoire, mais il n’est pas la raison pour laquelle nous avons survécu

Une version hollywoodienne particulièrement indigeste pour certains anciens clients qui voient dans l’ancien manager au mieux un « opportuniste », au pire un « traître ». « Paul a voulu accaparer toute la lumière sur cette histoire, mais il n’est pas la raison pour laquelle nous avons survécu », estime Bernard Makuza actuel président du Sénat. Kigali reproche également au héros controversé ses liens avec les mouvements rebelles établis au Congo, dont les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR).

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