Angola – Isabel dos Santos : chronique d’une chute annoncée

Particulièrement ciblé par l’opération mains propres du président João Lourenço, l’empire économique de la fille de l’ex-président tangue. Mais la « Princesse » est déterminée à le maintenir à flot.

A 45 ans, l’Angolaise Isabel dos Santos est devenu le symbole des dérives de l’ancien pouvoir. © Daniel Rodgrigues/Bloomberg via Getty Images

A 45 ans, l’Angolaise Isabel dos Santos est devenu le symbole des dérives de l’ancien pouvoir. © Daniel Rodgrigues/Bloomberg via Getty Images

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Publié le 24 septembre 2018 Lecture : 8 minutes.

Isabel dos Santos, à Londres en octobre 2017. © REUTERS/Toby Melville/File Photo
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Angola : Isabel dos Santos, touchée coulée ?

Particulièrement ciblé par l’opération mains propres du président João Lourenço, l’empire économique de la fille de l’ex-président tangue. Mais la « Princesse » est déterminée à le maintenir à flot.

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Luanda, le 8 septembre. João Lourenço vient d’être élu triomphalement à la tête du Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA), avec plus de 98 % des voix. Il succède à José Eduardo dos Santos, qui a mené le parti durant trente-neuf ans. Lorsque le président monte à la tribune, il prend le contre-pied des hommages qui viennent d’être rendus à son prédécesseur et se lance dans une violente diatribe contre la corruption et le népotisme. Dans son viseur, sans la citer, Isabel dos Santos, 45 ans, devenue à la fin du règne de son père le symbole des dérives du pouvoir angolais.

En quelques années, la fille aînée de l’ex-président, surnommée la « Princesse », s’est imposée comme une personnalité incontournable de l’économie angolaise. Placée à la tête de la Société pétrolière angolaise (Sonangol) par la présidence en 2016, elle est aussi propriétaire de 25 % d’Unitel, l’opérateur de télécoms leader du marché. Mais, depuis le départ de son père du pouvoir, en septembre 2017, le vent a tourné.

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Une opération mains propres ciblée

Candidat de consensus du MPLA pour prendre la suite de José Eduardo dos Santos, João Lourenço est doublement motivé par ce qui ressemble à une opération mains propres ciblée. Il mise habilement sur les attentes des Angolais écœurés par la fin de règne de la famille dos Santos et prend en même temps sa revanche. En 2003, alors qu’il était secrétaire général du parti, il avait été mis au placard après avoir dévoilé ses ambitions présidentielles.

À la mi-novembre 2017, Isabel dos Santos est limogée de la présidence de Sonangol, et sa demi-sœur Tchizé ainsi que son demi-frère Coréon Dú sont écartés de la gestion de la chaîne publique TPA 2. Début décembre, Sodiam, l’entreprise publique chargée de la commercialisation des diamants, met fin au partenariat noué avec le groupe suisse De Grisogono, qu’Isabel contrôle avec son mari, Sindika Dokolo, cassant le quasi-monopole dont bénéficiait le joaillier de luxe pour la vente des gemmes angolais.

Puis, en avril, après une pause de quelques mois, le nouveau pouvoir angolais, contraint à la réforme en raison de la grave crise que traverse le pays, reprend son œuvre. Un décret présidentiel transfère le plan de rénovation urbaine de Luanda au ministère de l’Aménagement du territoire, un projet jusque-là mené par Urbinvest, propriété de la milliardaire.

>>> À LIRE – Sonangol : la justice angolaise enquête sur la gestion d’Isabel dos Santos

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Visée par deux enquêtes, à Luanda et Paris

Fin juin, Atlantic Ventures, une société contrôlée par l’un de ses représentants légaux, Fidel Kiluange Assis Araújo, a perdu l’attribution de la construction du port de Barra do Dande (au nord de Luanda), pour lequel l’État avait accordé une garantie de 1,5 milliard de dollars. Et à la mi-juillet, le consortium réunissant le groupe chinois CGGC et la société Niara, détenue par Isabel dos Santos, s’est vu retirer par décret la création d’un complexe hydroélectrique de 4,5 milliards de dollars à Caculo Cabaça (Kwanza Norte), que l’État lui avait pourtant octroyé en 2015. Dernier désaveu en date, le gouvernement a annoncé fin août son retrait du capital d’Efacec, groupe énergétique portugais, dont il avait pris le contrôle il y a trois ans en s’alliant avec Isabel dos Santos (via la société Winterfell Industries).

Des déconvenues économiques qui se doublent d’ennuis judiciaires. Le parquet de Luanda enquête sur sa gestion de Sonangol, et la Chambre de commerce internationale de Paris se penche sur celle de l’opérateur de téléphonie mobile Unitel dans le cadre d’une demande d’arbitrage déposée par le groupe brésilien Oi. Certains voient dans les déboires de la milliardaire une revanche du général Fernando Garcia Miala, nommé chef des services de renseignements au début de l’année. Il y a dix ans, celui qui était déjà chef des services du renseignement extérieur avait été condamné à quatre ans de prison pour insubordination envers le chef de l’État.

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« Cette volonté de moraliser la vie économique a été bien perçue par les chefs d’entreprise comme par la population, mais il faut un changement global des mentalités pour que cela profite à l’Angola », commente Francisco Viana, le président de la Confédération entrepreneuriale d’Angola (CEA), nouvelle organisation patronale créée début 2017.

Une équipe de communicants à son service

Malgré la tourmente, Isabel dos Santos n’entend pas rendre les armes et continue de gérer ses affaires depuis ses bureaux de Londres, de Lisbonne et, plus rarement, de Luanda. « Il y a deux catégories de personnes, celles qui se voilent la face devant la réalité et celles qui agissent pour trouver une solution. Je fais partie de la ­deuxième », twittait-elle le 23 août dernier. Le lendemain, elle postait sa photo avec un casque de chantier, expliquant « superviser la construction d’un nouveau projet » et affirmant « continuer d’investir en Angola ».

À l’inverse de son autre demi-frère José Filomeno dos Santos, discret depuis son limogeage du fonds souverain angolais et coopératif avec la justice, qui le soupçonne de corruption, Isabel dos Santos ne veut pas faire profil bas. Accompagnée par une équipe de communicants issue de l’agence portugaise LPM, elle alimente son site internet, diffuse des communiqués, multiplie les publications sur les réseaux sociaux et a donné un long entretien filmé au quotidien portugais Jornal de Negócios.

Réfutant les accusations de mauvaise gouvernance portées par son successeur à la tête de Sonangol, Carlos Saturnino, elle a défendu son bilan, chiffres à l’appui, et pointé les errements des directions passées, visant sans le nommer Manuel Vicente, ex-vice-président de la République et patron de la compagnie pétrolière pendant plus de dix ans. Elle a aussi balayé les récriminations de Sonangol, actionnaire avec elle au sein du groupe pétrolier et gazier portugais Galp, qui s’est plaint de ne pas avoir reçu les dividendes dus.

Avec sa chute, c’est la fin d’une ère où une famille avait pris en otage l’État, souligne Marcolino Moco, ex-Premier ministre et figure historique du MPLA

« C’est une information fausse qui vise à me dénigrer. Je ne suis pas membre du conseil d’administration de Galp, ni des organes sociaux qui décident de la répartition des dividendes », a-t-elle répondu, expliquant avoir demandé à la société de lui fournir la copie des paiements effectués comportant bien des versements à Sonangol.

Même attitude combative au sujet du projet portuaire de Barra do Dande : elle a demandé à l’exécutif de revenir sur sa décision de lui retirer le contrat, en défendant la transparence du processus qui lui a permis de l’emporter. Enfin, elle a démenti l’information de l’hebdomadaire angolais Expansão selon laquelle Niara aurait reçu des subventions réservées aux structures publiques. Et, fidèle à un thème qui lui est cher, elle a appelé le président à ne pas décourager l’investissement privé dans le pays.

Mais ses efforts n’ont pas suffi à contrer sa perte d’influence. « Avec sa chute, c’est la fin d’une ère où une famille avait pris en otage l’État, souligne Marcolino Moco, ex-Premier ministre et figure historique du MPLA, nommé administrateur non exécutif de Sonangol par João Lourenço. Isabel ne va plus recevoir d’affaires des mains de son père, ni empêcher la distribution des richesses aux autres entrepreneurs du pays. » C’est maintenant João Lourenço qui dispose de tous les pouvoirs.

>>> À LIRE – Angola : comment Lourenço a pris (tout) le pouvoir

Pour nombre d’observateurs, les difficultés de la « Princesse » révèlent son vrai visage. « Elle n’est que la femme de paille de son père », affirme Ana Gomes. Dans le secteur des diamants, explique cette eurodéputée portugaise, une enquête de la justice belge a montré comment la société anversoise Omega Diamonds et Ascorp, que l’héritière contrôle, a sous-estimé la valeur de pierres précieuses pour réduire le montant des taxes dues à l’État angolais.

Outre les diamants, la fille de dos Santos a eu accès aux télécoms, à l’immobilier, aux banques et à tous les secteurs clés de l’économie, toujours grâce à des décrets présidentiels et à une confusion entre fonds privés et étatiques, dénonce depuis des années l’activiste anticorruption Rafael Marques. Autant de passe-droits qui lui ont permis de se bâtir une stature de femme d’affaires en Angola comme à l’étranger. « La majeure partie des investissements qu’elle a réalisés au Portugal ont été financés avec de l’argent public angolais », déplore Rafael Marques. Pour lui, c’est ainsi qu’elle a fondé un empire, rassemblant à travers d’opaques montages financiers internationaux plus d’une centaine de sociétés et holdings (dont certains ont été cités dans le cadre des Panama Papers). Une lecture que conteste la principale intéressée.

Une fortune évaluée à 2,2 milliards de dollars

Affaiblie, Isabel dos Santos n’est toutefois pas à terre. Il est très difficile d’évaluer les répercussions de ses revers sur sa situation financière. Sa fortune, si elle a été réévaluée à la baisse par Forbes en raison de la crise pétrolière, se chiffrerait encore à 2,2 milliards de dollars.

Et la femme d’affaires conserve d’importantes sources de revenus, notamment à travers sa participation de 25 % au capital d’Unitel, qui domine le marché des télécoms angolais, et grâce à la brasserie Sodiba, fabricant des bières Sagres et Luandina, codétenue avec son époux. Elle garde aussi de solides positions au Portugal, où elle reste maîtresse d’Efacec, groupe aux 431 millions d’euros de recettes l’an passé, et du groupe de médias et de télécoms NOS, figurant dans l’indice européen Next 150 et dont le résultat net a atteint 124 millions d’euros en 2017. Et elle garde le contrôle de la banque EuroBic, dont elle détient 25 %.

Reste que son avenir dépend en très grande partie de sa capacité à normaliser ses relations avec la présidence angolaise. Ne bénéficiant plus d’un accès privilégié au palais, elle est contrainte de rentrer dans le rang et d’évoluer dans un environnement concurrentiel. Pour décrocher des contrats, il lui faut désormais être la plus compétitive, ce qui pourrait la conduire à revoir la taille de certains de ses projets.

Ce qui s’est passé en Angola est si grave que cela ne peut se réduire à une seule personne, affirme Francisco Viana, le patron de la CEA

Autrefois alignés, les intérêts économiques de l’État et ceux de la femme d’affaires divergent désormais, le premier cherchant à récupérer la maîtrise de son budget, la seconde défendant ses profits. Ce qui promet des tensions entre Sonangol et Isabel dos Santos, coactionnaires dans nombre de sociétés, dont Unitel et Galp. « Nous ne voulons pas de chasse aux sorcières, insiste cependant Francisco Viana, le patron de la CEA. Isabel dos Santos dirige des entreprises qui fonctionnent bien. Comme tout le monde, elle a sa place en Angola. »

Pour Marcolino Moco, les déboires de la « Princesse » ne représentent que la partie émergée de la lutte contre la corruption. « Ce qui s’est passé en Angola est si grave que cela ne peut se réduire à une seule personne, affirme-t-il. Il s’agit de transformer le régime éduardiste dans son ensemble. »

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