Procès Gbagbo : Emmanuel Altit et Jean-Paul Benoît, huit années d’un duel d’avocats à La Haye

Depuis le début du procès de Gbagbo à La Haye, deux avocats se sont affrontés dans le prétoire de la Cour pénale internationale. Retour sur huit ans d’un combat acharné entre Me Emmanuel Altit, qui a défendu Laurent Gbagbo, et Me Jean-Paul Benoît, avocat de l’État ivoirien, qui est également l’avocat personnel d’Alassane Ouattara.

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Publié le 12 février 2019 Lecture : 3 minutes.

L’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo lors de l’audience ayant prononcé son acquittement à la CPI, le mardi 15 janvier 2019. © Peter Dejong/AP/SIPA
Issu du dossier

Gbagbo acquitté : une nouvelle donne pour la Côte d’Ivoire

Sept ans après son transfèrement à La Haye, l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo a été acquitté le 15 janvier par la CPI, ainsi que son ancien ministre Charles Blé Goudé. De quoi rebattre les cartes en vue de la présidentielle de 2020.

Sommaire

En cette nuit du 29 novembre 2011, alors que, dans le plus grand secret, un avion quitte Abidjan pour La Haye, aux Pays-Bas, le destin de Laurent Gbagbo bascule. Tandis que Me Altit apprend que son célèbre client, inculpé pour crimes contre l’humanité, est transféré à la Cour pénale internationale, Me Benoit est à la manœuvre aux côtés d’Alassane Ouattara, le nouveau président ivoirien. Avec Luis Moreno-Ocampo, alors procureur de la CPI, ils monteront un dossier contre le chef d’État déchu.

C’est le début d’années d’enfermement pour Laurent Gbagbo, mais aussi d’un face-à-face médiatique, politique et juridique entre deux ténors du barreau, qui maîtrisent tous les arcanes du droit international. Un combat acharné où tous les coups sont permis. Jusqu’à ce 1er février 2019, où Gbagbo sort en catimini de prison : entre Jean-Paul Benoit et Emmanuel Altit, le rapport de force semble s’être inversé.

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Huit ans de face-à-face

Leurs différences vont bien au-delà de leur style, de leur parcours ou de leurs amitiés. Le premier est un politique, adepte du soft power ; le second est un technicien, orfèvre du décorticage de dossier… Benoit et Altit ne sont pas faits du même bois. Alors qu’ils ont ferraillé près de huit ans sur la même affaire, les deux Français se connaissent d’ailleurs mal et n’ont eu que de rares tête-à-tête.

Du côté de l’accusation, Jean-Paul Benoit est un homme d’expérience, mais presque un jeune avocat. Le droit est une seconde vie pour celui que l’on dit octogénaire (il refuse de donner son âge : « Je ne suis pas gâteux, voilà l’essentiel ! ») et qui a fait carrière en politique. Ce Charentais, dont les parents connaissaient bien François Mitterrand, devient, en 1974, le directeur de cabinet de Pierre Abelin, ministre de la Coopération. Estimant que « l’Afrique est indispensable à la France », il se lie avec Alpha Condé, mais aussi avec Faure Gnassingbé et Ali Bongo Ondimba, rencontrés du temps où leurs pères étaient présidents.

Partie d’échecs

Au service de l’État de Côte d’Ivoire depuis 2011, avec son comparse Jean-Pierre Mignard, Jean-Paul Benoit est également l’avocat personnel d’Alassane Ouattara, qu’il a croisé pour la première fois il y a plus de vingt-cinq ans et qui est devenu un ami. Autant de relations qui, couplées à celles qu’il entretient avec des responsables politiques français, font de lui un homme d’influence. « Si j’ai mes entrées à l’Élysée ? Disons qu’on trouve toujours des portes à ouvrir si besoin », sourit cet homme qui tutoyait François Hollande et connaît Emmanuel Macron.

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Ces « réseaux » franco-africains (un terme que Benoit dit détester), Laurent Gbagbo n’a cessé de les décrier. Pour le défendre, l’ex-président a choisi Emmanuel Altit. Souvent pincé, peu expansif, cet homme de 55 ans fut l’avocat de Hormisdas Nsengimana devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda. Il a travaillé au Burundi et a défendu les infirmières bulgares incarcérées en Libye.

Pas à pas, nous avons construit notre stratégie

Au lendemain de l’acquittement retentissant de Gbagbo, il assure n’avoir jamais douté : « Pas à pas, nous avons construit notre stratégie. Il s’agit ensuite d’avancer ses pions et de bien jouer. Comme aux échecs. »

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Le 15 janvier, il n’a manifesté aucune joie, pas plus que son confrère, de signe de déception. « La partie n’est pas terminée », rappelle Altit, alors que le procureur a annoncé qu’il ferait appel. Si l’un est échec, aucun n’est encore mat. Après huit ans de joutes, les deux ténors s’apprêtent à jeter leurs dernières armes dans la bataille.

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