Nigeria : Muhammadu Buhari, un second mandat sous pression

Le président du Nigeria a été aisément reconduit dans ses fonctions le 23 février. Inflation, chômage, corruption, lutte contre Boko Haram… Pour Muhammadu Buhari, les ennuis, c’est maintenant !

À son QG de campagne, le 23 février, après la proclamation des résultats. © Bayo Omoboriowo/Nigeria Presidency/Handout via Reuters

À son QG de campagne, le 23 février, après la proclamation des résultats. © Bayo Omoboriowo/Nigeria Presidency/Handout via Reuters

Fiacre Vidjingninou

Publié le 5 mars 2019 Lecture : 4 minutes.

Affiches électorales dans une rue d’Abuja, à la veille de la présidentielle du 16 février 2019. © Ben Curtis/AP/SIPA
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Présidentielle au Nigeria : Buhari réélu, Abubakar rejette les résultats

84 millions d’électeurs, 72 candidats. La présidentielle qui se joue samedi 23 février, après avoir été repoussée le 16 février à quelques heures de l’ouverture des bureaux de vote, est à l’image de ce géant de l’Afrique de l’Ouest : colossale. Face à Atiku Abubakar, son principal challenger, Muhammadu Buhari a été réélu président du Nigeria avec 56 % des suffrages.

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Face à Atiku Abubakar, le principal candidat de l’opposition, Muhammadu Buhari a été réélu, le 23 février, président du Nigeria avec 56 % des suffrages – soit davantage qu’en 2015 et avec plus de 4 millions de voix d’avance, alors qu’on s’attendait à un scrutin serré. Sa large victoire en témoigne : Buhari continue de séduire les Nigérians, même si ses électeurs veilleront sans nul doute à ce qu’il tienne ses promesses.

Le premier mandat de « Baba » (« le vieux »), comme on le surnomme mi-ironiquement mi-affectueusement, n’a pourtant pas été très brillant, marqué qu’il fut par les ennuis de santé du chef de l’État, mais aussi, en 2016, par une sévère (– 1,6 %) récession qui éroda le pouvoir d’achat des Nigérians. L’inflation culmine à 11,3 %, tandis que le taux de chômage est passé de 8 % à 18 % entre 2015 et 2017, que la dette publique a explosé (de 13 % à 21 % du PIB) sur la même période et que le déficit s’est dangereusement creusé (5 % du PIB).

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La situation n’a commencé à s’améliorer qu’en 2017, grâce à un plan de relance dont les premiers résultats incitent le FMI et la Banque mondiale à l’optimisme. Pour 2018-2019, leur prévision de croissance avoisine 2,5 %. Pourtant, d’importants défis restent à relever, surtout dans le secteur agricole, bien que 120 milliards de nairas (300 millions d’euros) de prêts soient destinés à 720 000 petits exploitants. Selon le FMI, la croissance agricole demeure « morose », en raison des affrontements entre agriculteurs et éleveurs, des inondations dans les régions clés de la « ceinture moyenne » et de l’insurrection endémique dans le Nord-Est.

« Monsieur Propre »

Pour sortir de l’impasse, le président réélu promet de ne pas ménager ses efforts pour diversifier l’économie, accélérer la croissance et ainsi créer des emplois. Dans son programme, il annonçait son intention de « former 200 000 jeunes afin de répondre à la demande du marché dans les domaines de la technologie, des services et des loisirs ». Notre objectif, disait-il, est de « créer 15 millions d’emplois ». Il table sur la réduction du déficit budgétaire amorcée l’an dernier grâce à la forte augmentation (+ 82 % en un an) des recettes pétrolières, à l’instauration d’une TVA sur les produits de luxe et à une amnistie fiscale.

Il s’est engagé à mettre fin à « l’insurrection cruelle » de Boko Haram

Sur le plan sécuritaire, Buhari s’est engagé à mettre fin à l’« insurrection cruelle » de Boko Haram, le groupe jihadiste qui a fait plus de 20 000 morts et 2,6 millions de déplacés depuis 2009. La secte a plié en plusieurs endroits mais n’a jamais rompu. Qu’en sera-t-il quand le gouvernement sera confronté à la reprise des conflits entre agriculteurs et éleveurs dans la ceinture fertile du pays ? L’an dernier, ces conflits avaient tourné à l’affrontement entre communautés ethnico-­religieuses : plusieurs centaines de victimes, au total.

Le président nigérian Muhammadu Buhari lors d'une manifestation à Lagos, au Nigeria, le 9 février 2019. © Sunday Alamba/AP/SIPA

Le président nigérian Muhammadu Buhari lors d'une manifestation à Lagos, au Nigeria, le 9 février 2019. © Sunday Alamba/AP/SIPA

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« Nous voulons instaurer une politique d’ensemble qui mette fin au conflit entre agriculteurs et éleveurs », a promis Buhari dans un discours télévisé. Le président est, il est vrai, un homme à poigne qui dirigea le pays entre 1983 et 1985, à l’époque des dictatures militaires… Mais il sait que son pays est très divisé et que 60 % des électeurs ont boudé le récent scrutin. « Nous allons renforcer notre cohésion, de sorte que personne ne se sente à la traîne ou laissé-pour-compte », a-t-il fait savoir après l’annonce des résultats définitifs.

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L’une des grandes réussites de son premier mandat est la lutte contre la corruption, ce « cancer ». Certains n’y ont vu qu’une tentative d’intimidation de l’opposition, mais les résultats de l’opération ne sont le plus souvent pas contestés, tant ses compatriotes sont excédés par l’ampleur du fléau : en 2017, le versement de pots-de-vin à des fonctionnaires a atteint 4,6 milliards de dollars, selon une étude onusienne.

La lutte contre la corruption peut être gagnée

D’abord transférées à l’étranger, des sommes considérables provenant de la corruption ont été rapatriées. La Commission des crimes économiques et financiers (EFCC) les évalue à 9 milliards de dollars en 2016 et à 2,3 milliards de dollars en 2018, sans compter la saisie de villas, bijoux, voitures, etc. « Ces fonds ont été réinvestis en toute transparence dans des projets d’infrastructures en faveur des plus pauvres », écrit Buhari sur sa page Facebook, en appelant ses compatriotes à la patience : « Cette lutte peut être gagnée », estime-t-il.

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Hospitalisations

Les premiers mots de Buhari après sa réélection ont été jugés convaincants : « Nous avons à cœur l’intérêt des Nigérians, nous voulons faire en sorte qu’ils vivent dans un meilleur pays… » En revanche, son état de santé continue d’inquiéter, après un premier mandat ponctué d’hospitalisations, à Londres – plus de six mois d’absence, au total.

Je vous assure que je suis bien moi

« Je vous assure que je suis bien moi », répète-t-il, pour tordre le cou aux rumeurs sur sa mort et son remplacement par un sosie soudanais. « Il a recouvré sa santé ; le fait qu’il ait fait toute la campagne sans être hospitalisé en témoigne », lance un militant au siège du Congrès des progressistes (APC), le parti au pouvoir. Quoi qu’il en soit, Yemi Osinbajo, le vice-président (62 ans), est « prêt à faire face à toute éventualité ». Ce technocrate chrétien originaire du Sud bénéficie, comme son mentor, d’une image d’homme intègre ; il a surtout montré ses compétences et son efficacité pendant l’intérim qu’il a assuré en 2017. Osinbajo devra-t-il renouveler l’expérience au cours des prochaines années ? Ce sera l’une des clés de ce second – et dernier mandat.

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