Philippe Le Houérou (IFC) : « Dans les années qui viennent, le commerce intra-africain pourrait augmenter de 52 % »

Le directeur général de l’IFC, la branche secteur privé de la Banque mondiale, évoque les réformes à mettre en œuvre pour faire effectivement émerger une zone de libre-échange.

Philippe le Houerou© IFC © IFC

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Publié le 20 mars 2019 Lecture : 5 minutes.

La 4e édition du Africa CEO Forum s’est tenue à Abidjan les 21 et 22 mars. © J.A.
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Sommaire

Aide au privé, émergence d’un secteur formel, soutien à l’agriculture et à l’économie numérique, développement des infrastructures, le dirigeant français détaille pour Jeune Afrique la politique de son institution, alors que de nouveaux bailleurs de fonds internationaux ont intégré la scène africaine.

Jeune Afrique : La récente montée en puissance de nouveaux partenaires pour le développement pousse-t-elle une institution comme IFC à revoir ses procédures, changer ses objectifs et réorienter ses investissements ?

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Philippe Le Houérou : L’Afrique a en effet beaucoup changé ces deux dernières décennies. Nos équipes doivent donc constamment réévaluer la manière dont nous y investissons. Nos priorités, elles, n’ont pas varié. IFC cherche toujours à réduire le déficit du continent en infrastructures, à construire un secteur réel productif et à être un leader dans l’appui aux approches commerciales inclusives.

Ce qui est différent, c’est notre stratégie pour obtenir des résultats à plus grande échelle, par exemple en travaillant davantage avec les institutions sœurs du Groupe Banque mondiale afin de créer des opportunités d’investissement, à travers les réformes portées par les gouvernements en direction des opérateurs privés.

Nous n’intervenons jamais seuls, et IFC se réjouit de travailler avec davantage d’acteurs, notamment lorsqu’ils ont la capacité d’apporter des capitaux importants ainsi qu’une expertise sur des projets porteurs et en phase avec les défis liés au développement.

Nous constatons également l’émergence d’un certain nombre de grandes entreprises africaines leaders sur leurs marchés nationaux et qui ont la capacité d’investir ailleurs sur le continent. IFC s’adapte donc pour répondre aux besoins exprimés par des partenaires qui changent, en veillant toujours à réduire l’extrême pauvreté et à promouvoir une prospérité partagée, sa mission.

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Quelles sont les priorités pour soutenir l’émergence d’un secteur privé ?

Le développement de l’Afrique subsaharienne est une priorité pour IFC, et il ne pourra se faire sans capitaux privés. Notre présence à travers le continent a fortement progressé. Nous travaillons à partir de vingt bureaux, et nos financements sur le long terme sont passés de 163 millions de dollars en 2003 à 3,1 milliards de dollars en moyenne pour les 10 dernières années.

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IFC est déterminée à aider le privé pour qu’il joue un rôle plus important, notamment dans les pays fragiles ou sortant de conflits. Ces derniers sont le plus souvent dotés de petits marchés, marqués par des défis sécuritaires, une instabilité politique et des institutions faibles. Autant de contraintes qui freinent l’engagement des investisseurs internationaux.

Pour y réduire les risques, nous avons créé, avec l’Association internationale de développement [IDA] de la Banque mondiale, un guichet d’appui au secteur privé doté d’un budget de 2 milliards de dollars qui nous aide à intervenir prioritairement pour soutenir des projets à haut risque mais aussi pour accroître l’accès des entreprises à des prêts en monnaie locale. D’autres outils de réduction du risque sont en cours de déploiement pour aider les entreprises qui veulent se lancer sur les marchés les plus difficiles.

>> A LIRE – [Classement] Quand la Banque mondiale évalue les politiques et les institutions des pays africains

Quel est le rôle du secteur privé dans le développement du continent, quand on sait que 80 % des entreprises africaines sont informelles ?

L’Afrique a besoin de 1,7 million d’emplois supplémentaires chaque mois, et le secteur privé peut y contribuer à hauteur de 90 %. Il est donc incontournable. Mais, pour ce faire, nous devons travailler avec l’informel.

Les réglementations et les services financiers doivent répondre à ses attentes afin d’encourager l’entrepreneuriat, de soutenir le développement des entreprises et l’embauche. Pour que ces entreprises puissent un jour rejoindre l’économie formelle et donner du travail, elles doivent d’abord être identifiées et localisées par les banques, qui pourront alors leur offrir les services financiers dont elles ont besoin.

Pour y parvenir, le passage au numérique est crucial. Cela permet aux petites entreprises de migrer d’un écosystème informel fondé sur l’argent en espèces vers le paiement électronique. Il est donc urgent de réduire le déficit technologique qui empêche de trop nombreux entrepreneurs du continent de participer pleinement aux échanges commerciaux. Il faut enfin que gouvernements et secteur privé travaillent ensemble pour accroître l’accès aux marchés et aux financements. Pour y parvenir, la formalisation – notamment la création d’entreprise et le respect de la réglementation – doit coûter moins et apporter plus de bénéfices.

La nouvelle fiscalité doit convaincre les acteurs informels de l'économie à régulariser leur situation. ici, le grand marché de fruits de Lomé, en 2014. © Jacques Torregano pour Jeune Afrique

La nouvelle fiscalité doit convaincre les acteurs informels de l'économie à régulariser leur situation. ici, le grand marché de fruits de Lomé, en 2014. © Jacques Torregano pour Jeune Afrique

Si l’inclusion financière est passée de 23 % à 43 % en dix ans, l’accès aux services financiers formels demeure insuffisant dans les zones rurales

Comment expliquez-vous que votre portefeuille comprenne beaucoup plus d’opérations dans le secteur financier ou bancaire que dans des filières comme l’agriculture ?

Nous finançons beaucoup de projets dans l’agro-industrie et cherchons à faire encore bien plus, mais il faut au préalable trouver la formule permettant d’accroître l’envergure des installations énergétiques nécessaires à l’éclosion de ces projets.

Scaling Solar, par exemple, nous a permis de réaliser des infrastructures d’énergie renouvelable de grande capacité en Zambie, au Sénégal et sous peu dans d’autres pays. Ce qui ne nous empêche pas de travailler déjà avec des entreprises agro-industrielles à travers le continent. Nous aidons par exemple Sosagrin-IBS à conquérir de nouveaux marchés en Afrique de l’Ouest.

En Côte d’Ivoire, nous facilitons l’accès aux financements pour les coopératives agricoles qui travaillent avec Cargill. Notre travail avec les institutions financières nous permet de soutenir le secteur privé local, notamment dans la filière agricole. Si l’inclusion financière est passée de 23 % à 43 % en dix ans, l’accès aux services financiers formels demeure insuffisant dans les zones rurales. Aider à mettre sur pied un secteur financier robuste et inclusif est essentiel.

De nombreuses études montrent que l’implémentation d’une telle zone de libre-échange aura un impact positif

Quel peut être l’impact de l’accord portant création de la Zone de libre-échange continentale ? Êtes-vous optimiste quant à sa mise en place ?

De nombreuses études montrent que, de manière générale, l’implémentation d’une telle zone aura un impact positif. À ce jour, le commerce intra-africain représente environ 20% du commerce Africain total.

Certaines études estiment que dans les années qui viennent, le commerce intra-africain pourrait augmenter de 14 % grâce à la levée des barrières tarifaires. Cette augmentation pourrait aller jusqu’à 52 % si les barrières non tarifaires sont aussi éliminées.. L’impact global sur le PIB pourrait varier entre 0,1 % et 1 %. Les principaux gains viendront de la réduction des barrières non tarifaires, de la mise en œuvre effective des mesures d’encouragement des échanges commerciaux et de la réduction des barrières réglementaires dans le domaine des services.

L’objectif de cet accord, portant sur la création d’un marché unique continental pour les biens et les services, est très ambitieux et, pour en renforcer l’impact, nous devons développer et financer beaucoup plus de projets d’infrastructures et de connectivité.

Les gouvernements devront également mettre en œuvre les réformes nécessaires pour faciliter les échanges transfrontaliers de biens et de services. Plus généralement, IFC et ses partenaires doivent offrir plus de solutions pour faciliter le développement du secteur privé à travers le continent.

Plus d’informations sur le sitehttps://www.theafricaceoforum.com/fr/.

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