Musique : Aya Nakamura, la phénoménale ascension

La chanteuse était déjà sous le feu des projecteurs grâce à son tube « Djadja ». La parution de son deuxième album, « Nakamura » vient conforter sa surprenante ascension.

L’artiste au pseudo japonais est née à Bamako, au Mali. © fifou

L’artiste au pseudo japonais est née à Bamako, au Mali. © fifou

KATIA TOURE_perso

Publié le 28 mars 2019 Lecture : 5 minutes.

Elle arrive en retard, en chantant. Et ce les yeux rivés sur son smartphone, qu’elle tient à hauteur de son visage. Perruque bleu électrique, plusieurs couches de fond de teint, sourcils ultra-dessinés, faux ongles parfaitement manucurés, jean délavé et veste assortie, débardeur noir – le tout parfaitement moulé – et paire de boots Louis Vuitton. La digital native banlieusarde dans toute sa splendeur.

L’heure tourne, mais la jeune femme de 1,80 m ne se pressera pas. Aya Nakamura chante visiblement pour ses fans avec un maniérisme à faire sourire. Diction zéro et vibes tous azimuts. Snapchat ou Instagram ? Ils sont près de 1 million à la suivre sur ce dernier, et plus de 100 000 sur Twitter.

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Si Aya, née à Bamako, n’est pas tout à fait la reine des réseaux sociaux, elle est, du moins, la reine du dance floor et des charts depuis plus d’un an. La recette : mélodies afro-pop teintées de zouk ou de R’n’B, dégoulinantes d’auto-tune et portées par des textes dont l’argot est pour le moins difficile à saisir.

Cœur brisé

Qui pourrait oublier la ritournelle « Djadja, y a pas moyen Djadja », qui aura fait danser l’équipe de France de football, le styliste français Simon Porte Jacquemus ou le top égypto-marocain Imaan Hammam ? Premier extrait de son deuxième album, sobrement intitulé Nakamura et publié en avril 2018, le single finit numéro un des charts en France, aux Pays-Bas et en… Roumanie.

Quand on évoque son succès, la réaction d’Aya Danioko, de son vrai nom, a de quoi déconcerter. « Cool, je suis bien, je profite et je savoure. » Et qu’est-ce que cette notoriété a changé à sa vie ? « Pas grand-chose. Je vais toujours faire mes courses, je me balade avec ma fille de deux ans, tranquille. » On ignore si cela tient de la modestie ou alors d’un magistral je-m’en-foutisme.

S’assumer, dire ce que l’on pense sans se soucier de ce que les gens pourraient dire, c’est ce que je cherche à transmettre

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Mais on nous avait prévenus. Aya Nakamura – qui doit son pseudo de star à Hiro Nakamura, personnage japonais de la série Heroes – n’est pas ce que l’on pourrait appeler une bavarde. Pis, elle n’aurait purement et simplement rien à dire.

Mais cette jeune maman, qui a désormais quitté la banlieue d’Aulnay-sous-Bois, où elle a grandi, pour vivre à Paris, a bien plus de bagout qu’il n’y paraît. « S’assumer, dire ce que l’on pense sans se soucier de ce que les gens pourraient dire, c’est ce que je cherche à transmettre. » Quelque part, ça se tient. Dès lors que la critique fuse, la chanteuse de 23 ans – au cœur moult fois brisé, si l’on en croit les chansons dont elle signe les paroles – n’en a cure.

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« Quelqu’un de simple »

Quand, en août 2018, circule une photo d’elle sans maquillage, les moqueries pleuvent sur les réseaux sociaux. « J’ai trouvé ça bizarre. D’accord, les gens me trouvent moche, mais je n’ai pas compris pourquoi ils en faisaient tout un plat. Et puis, d’un autre côté, il faut savoir assumer quand, d’habitude, on est maquillée et bien coiffée. Là, je sortais d’un train, j’étais fatiguée, j’ai pris une photo avec un fan. Je n’imaginais pas que ça allait créer un bad buzz. Et au final je me suis dit que cela ne servait à rien de me prendre la tête et que les gens finiraient par passer à autre chose. Je m’en foutais parce qu’en réalité je suis une meuf qui se fout un peu de tout. »

Je suis un peu je-m’en-foutiste. Je suis quelqu’un de simple

À la bonne heure, elle l’admet enfin : « Je suis un peu je-m’en-foutiste. Je suis quelqu’un de simple. » On ne compte plus les bad buzz autour de l’interprète de Djadja : son nom écorché par l’animateur Nikos Aliagas aux NRJ Music Awards, le douteux blackface réalisé par une internaute et censé la représenter ou encore son passage au Sénégal critiqué parce qu’elle aurait refusé de prendre des selfies avec les fans.

Mais ce n’est sûrement rien comparé au chemin de croix emprunté pour s’imposer au sein de la scène urbaine française. « Tu débutes, tu es une femme et, en plus, tu es noire. Ça pose deux fois plus de problèmes. On m’a plusieurs fois dit d’arrêter et de retourner faire à manger. Dans des maisons de disques, on m’a demandé de mettre un fond de teint plus clair. Quand je suis tombée enceinte et que j’ai accouché, on m’a dit que j’avais gâché ma carrière et que plus rien n’était possible. » En deux minutes, la chanteuse pose sur la table la question de l’intersectionnalité, évoque le sexisme et le racisme.

Disons que, parfois, je ressens le besoin de dire que je suis une femme, que je m’assume et je n’attends pas que l’on prenne des décisions à ma place

« Aujourd’hui, je remercie toutes ces personnes. Tu peux faire tous les enfants que tu veux, ça ne modifie pas ta voix et n’enlève rien à ton talent, que je sache. » Serait-elle féministe ? « Je ne revendique rien de spécial, donc je ne me considère pas comme féministe. Disons que, parfois, je ressens le besoin de dire que je suis une femme, que je m’assume et je n’attends pas que l’on prenne des décisions à ma place. »

Serait-ce alors la définition de la nakamurance, ce terme dont elle use pour désigner son univers ? « Avec ce deuxième album, j’ai juste voulu me dévoiler, montrer qui je suis, que ça plaise ou non. »

C’est avec le titre J’ai mal qu’Aya Nakamura sort du bois en 2015. Deux ans plus tard, elle dévoile son premier album, Journal intime, dans lequel elle rend notamment hommage à Oumou Sangaré dans une chanson du même nom. « Je la trouve belle et charismatique. Elle s’affirme, se bat pour faire avancer le Mali. C’est ce genre de femme que je veux être à son âge. »

En 2017, Aya Nakamura se produisait en concert à Bamako, sa ville natale. Bambara, elle est née au sein d’une famille dont la mère est griotte. « Petite, je l’accompagnais aux mariages et autres cérémonies. Je me disais que je ne serais jamais capable de chanter haut et fort devant plein de gens. »

Autant dire que le temps a fait son œuvre. Et celle qui aura signé des collaborations avec Fally Ipupa ou Davido foulera la scène du mythique Olympia, à Paris, le 31 mars. Celle qui est « dans son comportement » promet : « Ça va être le feu ! »

Auréolée

En 2018, la chanson « Djadja » a cumulé les titres de single d’or, de platine, puis de diamant. Elle a également été nommée aux NRJ Music Awards 2018 dans la catégorie « chanson francophone de l’année », tandis que son interprète concourait comme « révélation francophone de l’année ».

Le clip a été visionné plus de 300 millions de fois. « Copines » (single d’or) et « La Dot », autres extraits de l’album Nakamura, semblent être sur le point de connaître le même destin. Sorti le 2 novembre 2018, Nakamura était déjà estampillé disque d’or, avec 50 000 exemplaires écoulés en moins de deux semaines.

Il a par ailleurs été nommé aux Victoires de la musique française dans la catégorie « meilleur album de musiques urbaines » (et « chanson originale » pour « Djadja »). À l’issue de sa tournée en France, Aya Nakamura mettra le cap sur le continent africain.

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