À Canaa, au Sud-Liban, « ceux qui ont réussi en Afrique reviennent avec beaucoup d’argent »

De nombreux Libanais établis en Afrique depuis parfois plusieurs générations font le choix de rentrer au pays. Une aubaine pour l’économie locale.

Clyde Fakhoury, le fils de Pierre Fakhoury, a pris la direction opérationnelle de PFO depuis 2011. © Chloe Domat pour JA

Clyde Fakhoury, le fils de Pierre Fakhoury, a pris la direction opérationnelle de PFO depuis 2011. © Chloe Domat pour JA

Publié le 28 mars 2019 Lecture : 3 minutes.

 © Laurent Parienty pour JA
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Libanais d’Afrique : une histoire de familles

Le continent compte maintes dynasties d’entrepreneurs venues du pays du Cèdre. Discrète mais puissante, cette communauté bien intégrée conserve des liens très forts avec sa terre d’origine. Enquête.

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Canaa, 24 000 habitants, est un village du Sud-Liban comme beaucoup d’autres. Quelques vieilles maisons de pierre, une mosquée, une église, des champs d’oliviers et une rue principale bordée de boutiques. C’est là que le Dr Hussein Attié a ouvert son cabinet. La plaque à l’entrée surprend un peu : « Médecine générale, pédiatrie, malaria. » La malaria n’étant nullement une maladie endémique dans la région, pourquoi cette spécialisation incongrue ? L’explication est simple : 20 % des habitants de Canaa sont des Libanais d’Afrique de l’Ouest. Et au moins 70 patients du Dr Attié souffrent de ce mal.

Enrichissement de la culture locale

« Il y a tellement de monde qui va et vient en Afrique que c’est un peu comme prendre un bus pour Beyrouth », dit-il en riant. Lui-même est né à Abidjan. Ses parents ont quitté le Sud-Liban dans les années 1960 pour s’installer d’abord au Sénégal, puis en Mauritanie et, pour finir, en Côte d’Ivoire. Ce n’est qu’à l’âge de 45 ans que Hussein a fait le choix de rentrer à Canaa avec femme et enfants.

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« J’aime la tranquillité de ce village, dit-il. Au début, personne n’a cru que j’allais rester, mais je me suis vite intégré. Je me sens appartenir aux deux pays », explique-t-il dans un français teinté d’accent ivoirien. Tous les membres de la famille ont la double nationalité.

>>> À LIRE – Côte d’Ivoire : insubmersibles Libanais

À la mairie, les retours comme celui-ci sont bien vus. « Ceux qui ont réussi en Afrique reviennent avec beaucoup d’argent. Ils construisent des maisons, aident à financer des projets municipaux et ouvrent des commerces », approuve Mohamad Attié, le maire.

Sur les hauteurs du village, quelques luxueuses villas témoignent de la réussite matérielle des « Africains ». « Ils enrichissent aussi la culture locale, renchérit le maire. Ils ont, par exemple, importé ici un sport naguère inconnu : la pétanque ! » En contrebas de la mosquée, on aperçoit en effet des boulistes s’affairant sur des terrains flambant neufs. Mais aussi le siège de la fédération libanaise…

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Le Liban compte environ 4 millions d’habitants, mais plus de douze millions de Libanais vivent à l’étranger. Il va de soi que son économie bénéficie des transferts de fonds de cette diaspora.

L’un des Libanais d’Afrique les plus connus ici se nomme Nabih Berri. Né en 1938 à Freetown, en Sierra Leone, il est aujourd’hui président du Parlement et chef du parti Amal. Au Sud-Liban, ses portraits sont partout.

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Conservatisme

Reste que, pour ceux qui ont vécu en Afrique, la réinsertion ne va pas toujours de soi dans une société libanaise devenue très conservatrice, comme en témoigne le spectaculaire essor du Hezbollah, le puissant parti chiite soutenu par l’Iran. Comme ses parents et ses grands-parents, Nour Ezzeddine a grandi en Côte d’Ivoire. Longtemps, elle n’a eu de son pays d’origine qu’une image des plus floues.

« Pour moi, il n’avait qu’une valeur symbolique, c’était une destination de vacances, rien de plus », se souvient-elle. Quand elle a débarqué à Tyr, la grande ville du Sud-Liban, elle avait 11 ans et ne parlait pas un mot d’arabe. « À la maison, on parlait le français africain. À l’extérieur, je ne comprenais rien, je confondais le oui et le non ! »

Ici, les gens nous trouvent différents, on a un mode de vie qui n’est pas complètement le leur

Aujourd’hui, elle enseigne le français au lycée Elite, sur les hauteurs de la ville. Ouvert il y a quelques années, cet établissement accueille beaucoup d’enfants de la diaspora. Les fréquents allers-retours de ses membres entre l’Afrique et le Liban ont contribué au maintien de la francophonie dans ce pays où l’anglais progresse à vitesse grand V.

Trente ans après son retour, Nour se sent toujours tiraillée entre deux cultures. À son domicile, on remarque nombre d’objets africains : un plateau à fruits taillé dans le bois, des instruments de musique… Et elle continue de cuisiner des plats comme le foutou ou le techéké !

À Canaa, elle fréquente surtout des Libanais d’Afrique, comme elle. Son mari a lui aussi longtemps vécu en Côte d’Ivoire, et ses enfants ont la nationalité ivoirienne : « C’est plus facile, on se comprend mieux, on a des affinités. Ici, les gens nous trouvent différents, on a un mode de vie qui n’est pas complètement le leur. » Même si le retour au Liban n’est pas toujours évident, des milliers de jeunes du Sud partent chaque année tenter leur chance en Afrique.

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